Ruth St. Clair (née Jarvis) a servi dans le service féminin de la marine britannique pendant la Deuxième Guerre mondiale.
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Transcription
La guerre faisait rage, ce devait être en 1942 ou 1943. J’ai dû suivre une instruction avant mon enrôlement. J’ai donc suivi un cours de secrétariat et j’ai appris à sténographier et à taper à la machine. C’est ensuite que j’ai été mobilisée, sans avoir acquis aucune autre compétence professionnelle. Je me suis portée volontaire pour le service féminin de la marine parce que je ne voulais entrer ni dans le service territorial auxiliaire ni dans le service féminin de la force aérienne auxiliaire.
J’ai été nommée aux transmissions et je portais donc un écusson ou deux drapeaux au bras gauche. Ce sont mes compétences en secrétariat qui m’ont emmenée au quartier général des transmissions, lequel se trouve au fin fond des tunnels sous le château de Douvres [Kent, Angleterre]. Quelle aventure c’était! Nous travaillions 72 heures par semaine, ce n’était pas mal. Mais ce nombre a augmenté lorsque nous avons commencé à faire des doubles quarts. J’ai fait le calcul et je gagnais 18 shillings et six cents, soit cinq dollars. Après deux ans, j’étais parvenue à cinq dollars et 90 cents. Nous étions nourries et habillées gratuitement, nous nous déplacions gratuitement. Les seules dépenses que nous avions, c’étaient le vernis à ongles, le shampooing et le petit pain vendu par les NAAFI [Navy, Army and Air Force Institutes, une organisation du gouvernement britannique qui vendait des produits au personnel militaire].
J’ai occupé le poste jusqu’en 1943 puis je suis passée au service féminin ordinaire jusqu’en janvier 1944, je crois. C’est à ce moment qu’on m’a demandé de me présenter à l’officier supérieur des transmissions, qui voulait que je devienne sa secrétaire. Je venais d’entendre parler du jour J [débarquement des Alliés en Normandie le 6 juin 1944] quand, en mars ou avril 1944, un messager m’a fait parvenir une enveloppe. Il était écrit dessus en grosses lettres rouges que c’était très secret et réservé au commandant seulement. Je n’étais même pas censée être au courant d’une telle chose. En dessous, on pouvait lire « Overlord ». J’ai mis l’enveloppe sur le bureau de mon patron et je l’ai recouverte parce que c’était très secret. Il y avait beaucoup de circulation dans la pièce.
À son retour, il m’a demandé où j’avais eu l’enveloppe. Je lui ai répondu qu’un messager l’avait simplement laissée là. Il était très fâché et m’a dit de la mettre dans le coffre-fort et de faire comme si ce n’était pas arrivé. J’ai répondu dans l’affirmative, et c’est ainsi que l’enveloppe est restée là jusqu’à deux ou trois jours avant le jour J, lorsqu’on m’a demandé d’ouvrir le coffre-fort et de lui apporter la lettre, ce que j’ai fait. Il a pris connaissance du contenu et m’a dit de simplement tout oublier, ce qui était très généreux de sa part compte tenu de mon rang. Il me faisait confiance tout de même.
Je me souviens avoir marché sur la promenade de Douvres, sous les falaises, vers le môle est du port, question de faire un peu d’exercice. C’était un très grand port. Un camion de la marine s’est arrêté et on m’a demandé si j’étais en service. J’ai répondu dans l’affirmative, ce après quoi on a voulu que je monte parce qu’on avait besoin de moi. J’ai demandé pourquoi et on m’a répondu que des marins avaient été secourus d’un pétrolier en flammes. On m’a transportée jusqu’au môle est, où les marins en question étaient couchés sur la pierre après avoir été sortis de l’eau en flammes. Ils étaient terriblement brûlés. On m’a dit de simplement leur parler doucement et de leur tenir la main pour les réconforter. Je regardais ces jeunes hommes terriblement brûlés, ils étaient de mon âge ou peut-être un peu plus vieux. L’odeur qu’ils avaient me revient chaque fois que je sens du pétrole brûlé aujourd’hui.
J’ai vu des corps sortir de la cantine de l’Armée du Salut, où nous étions tout le temps. C’étaient des femmes pour la plupart, j’en ai vu sortir trois, écrasées et en sang. Je me promenais tout bonnement et je me suis réfugiée dans une grotte quand l’obus est tombé. Lorsque le calme est revenu, on a excavé les restes, c’était triste à voir. C’était la guerre qui débordait jusque chez nous.
C’est un côté moins reluisant. Le plus amusant était de prendre 24 heures de congé, d’aller chercher un titre de transport pour Londres en train et d’aller se déhancher comme s’il n’y avait pas de lendemain. C’était un pur plaisir. Nos compagnons s’occupaient de nous, ils faisaient attention, ne cherchaient pas à nous embrasser sans notre consentement. J’ai fini par me fiancer à un Canadien. Je l’ai rencontré à une danse de Noël, si je ne m’abuse. J’étais en congé de Noël et je logeais chez une amie. Nous sommes allées au club des officiers à Aldershot [Hampshire, Angleterre]. Nous étions habillées en civil et nous devions être gentilles avec nos partenaires à l’étranger.
J’ai dansé avec un homme de Toronto et je suis tombée amoureuse de lui. Il m’a demandé de l’épouser et j’ai dit oui, après des mois de correspondance. Nous avons convenu d’une date en avril avant qu’il m’annonce que les congés étaient annulés et qu’on l’envoyait ailleurs. Ce n’était pas comme si on avait le choix… Il m’a dit qu’il m’écrirait pour me dire où il serait. C’est la dernière fois que j’ai entendu parler de lui pour au moins trois ans. Il avait été envoyé en Italie [pour la campagne d’Italie de 1943 à 1945].
J’ai eu de ses nouvelles alors qu’il était en Italie. C’était un petit colis en provenance d’Italie, quelque chose d’assez rare. Il y avait deux citrons à l’intérieur. Nous n’avions pas vu de citrons depuis des années! J’en avais maintenant deux! Ce soir-là, j’étais avec une amie en congé et je lui ai dit que nous irions au Crypt et que j’y apporterais mes citrons. J’en ai finalement apporté un. J’ai failli déclencher une émeute!
Le Crypt était un bar sous un bâtiment de Douvres. L’endroit avait été une sorte de crypte d’église à l’époque médiévale, avec des arches de pierre. Le bar était à l’abri des bombardements. Quoi qu’il en soit, il y avait beaucoup de monde et j’ai reconnu deux ou trois personnes au bar. Je les ai saluées et leur ai montré que j’avais un citron. Le barman, surpris, m’a demandé où j’avais bien pu le trouver. J’ai répondu qu’on me l’avait envoyé. Il y a planté un couteau et, comme si c’était Excalibur, il l’a brandi devant le bar et l’a montré aux autres. « Regardez ce que la soldate a apporté! » Le chaos s’est ensuivi! Les gens voulaient voir, toucher, sentir le citron. Ainsi étaient les simples plaisirs de l’époque!