J’ai habité Détroit jusqu’à l’âge de 10 ans. Nous avons déménagé à Pittsburg (Pennsylvanie). On était à Brooklyn (New York) pendant mes années de lycée et ensuite dans le nord du Maine jusqu’à ce que je sois appelé sous les drapeaux le 10 juillet 1944.
Ce jour-là précisément, comme je l’ai dit, nous (le 696ème bataillon blindé de l’artillerie de campagne américaine) étions censés suivre l’infanterie. Ils étaient toujours censés être devant nous. Cette fois-ci, on a découvert qu’on était trop rapides ou alors c’était eux qui ne faisaient pas leur travail, on n’a jamais su pourquoi. Mais notre premier sergent a ouvert la porte d’une maison dans ce petit village et il a pensé que ça conviendrait à notre capitaine. De l’extérieur, ça donnait l’impression d’être un bon poste de commandement.
Quand la porte s’est ouverte, il a vu que la maison était remplie de soldats allemands. Il a refermé la porte en la claquant. Je me souviens qu’il a couru, a sauté d’un balcon et a couru en criant en direction de là où une partie d’entre nous se trouvait, en criant, disant, il y a des allemands, il y a des boches, ce qui lui passait par la tête. Nous étions avec notre capitaine, un petit groupe où on donnait les indications pour installer le canon. Nous avons compris que l’infanterie avait contourné ce minuscule village, notre mission c’était soit de capturer soit d’éliminer de quelque manière que ce soit l’ennemi dans ce secteur. Le capitaine a affecté deux d’entre nous dans chacune des petites, il y avait trois ou quatre petites rues. C’était des chemins plus que des rues. John Nardine était en tandem avec moi quand on creusait des trous de tirailleurs. Entre nous on s’appelait des potes de trou et on le fait encore aujourd’hui. Donc lui et moi avons été choisi pour couvrir une petite rue, aller de maison en maison et soit capturer soit tuer les soldats.
En entrant dans la maison, or, nous n’étions pas entrainés pour ça, nous étions formés, c’était un travail pour les gens de l’infanterie, mais nous on a dû faire ça après une dizaine de minutes d’entrainement à peine. Or, nous devions entrer dans les maisons un par un. Par exemple si John entrait en premier, j’alternais et j’étais le second. Or, la raison en était, évidemment, que si deux personnes entraient en même temps, qu’il s’agisse d’une maison ou d’une pièce, ça pouvait être une embuscade, et les deux tombaient dans l’embuscade. Mais avec plus d’un, un de garde à l’extérieur, c’était presque impossible que ça se produise.
Alors on procédait de la même manière en entrant dans nos maisons et sous-sols. Je suis entré dans une maison, j’ai trouvé une vitrine, et là dedans, c’était plein de cigares hollandais. J’étais un gamin de18 ans, mais j’adorais les cigares. Je remplissais mes poches de ces petites merveilles quand John est entré, il m’a rappelé que notre mission, ce n’était pas de fumer des cigares, c’était de se débarrasser des allemands. Et ensuite, on devait faire le tour de la cave, voir s’il y avait quoi que ce soit dans la cave. C’est là que le, j’allais dire que ça a commencé à devenir amusant, mais ce n’était pas amusant. On arrivait dans la cave par un long, escalier de pierre en colimaçon, que j’ai commencé à descendre. Pendant ma descente j’ai cru entendre des voix étouffées et ça m’a fait peur. Et j’ai entendu pleurer, je croyais que c’était des pleurs. Alors j’ai vérifié ma carabine, j’avais une carabine de calibre 30, c’était un petit fusil. On prendrait ça pour un pistolet à bouchon de nos jours. Je voulais m’assurer que le cran d’arrêt était enlevé pour que je puisse tirer quand j’appuierai sur la détente. J’étais tellement nerveux que j’ai appuyé sur le bouton qui servait à éjecter la cartouche usée. J’entendais la cartouche éjectée rebondir sur les marches en descendant. Ça n’a fait qu’accroitre ma peur évidemment.
J’ai appelé mon copain John et je voulais le, avec de la chance, je pensais que s’il y avait des allemands là en bas, ils devaient imaginer que l’armée du Général Patton toute entière se trouvait en haut. J’ai réussi à enlever le cran de la cartouche dans le noir, et je suis entré dans une pièce avec des femmes et des enfants qui criaient et pleuraient. Quand je dis pleuraient et criaient, c’est bien ce qu’ils faisaient. De fait, je l’ai dit après, ils étaient pratiquement aussi effrayés que moi. Il devait bien y avoir, oh, dans les 20 à 30 femmes.
Je me suis frayé un chemin au milieu de ce groupe hystérique et j’ai remarqué que quelques femmes faisaient un rempart devant un grand buffet en bois, et dessus il y avait un soldat allemand blessé. Quand il m’a vu, il a lentement levé son bras et à dit en murmurant, nicht schiessen, ne tire pas, ne tire pas. J’ai appelé John là-haut et lui ai demandé d’amener Kadedis, qui était notre toubib. Je ne me souviens pas de son prénom, mais je me souviendrai toujours de Kadedis. Je l’ai appelé pour l’allemand blessé.
Il y avait un autre groupe d’allemandes et elles protégeaient une porte, une petite porte. Je les ai poussées sur le côté et quand je dis pousser, il m’a fallu faire usage de ma carabine, pas pour leur tirer dessus, mais c’était la seule manière de me faire entendre. J’ai ouvert la porte. La pièce, je dirais qu’elle faisait peut-être 15 par 30, c’était une pièce d’une bonne taille, ça devait être la majeure partie du sous-sol. C’était rempli de soldats allemands. Il y avait 23 soldats là-dedans – du simple soldat au major général. Je pense qu’ils savaient que l’infanterie les avait contournés. Ils espéraient sans doute pouvoir rester là pendant quelques jours et changer de vêtements finalement et se joindre aux civils, et éviter ainsi d’être capturés. Mais certains d’entre eux étaient tellement pleins de fierté de ce qu’ils étaient, qu’ils portaient même des uniformes d’apparat avec des épées et des pistolets de cérémonie.
Mais ils n’ont pas, je suis entré et la première chose que j’ai faite, parce que le général a ouvert la porte. Je l’ai ouverte et il l’a ouverte au même moment, et j’ai mis ma carabine, le canon, sur sa gorge. Je lui ai demandé de se rendre et il parlait anglais, un peu anglais. Il a demandé à ses hommes de déposer leurs armes et le reste de l’armement ; et je me tenais là, ne sachant toujours pas quoi faire avec tous ces allemands et juste moi. Je crois que j’avais 19 ans à cette époque. Et alors à ce moment-là, j’ai fait le tour et je rassemblais les souvenirs. J’ai recueilli les épées et j’ai recueilli les drapeaux que ces gens avaient eus là-bas, quelqu’un avait posé sur des tables, les pistolets qu’ils portaient. À ce moment-là, John est arrivé non seulement avec Kadedis, mais aussi avec notre capitaine et notre premier sergent, et quelques autres. Ils ont pris tous ces soldats, ils les ont faits prisonniers.
Date de l'entrevue: 15 juillet 2010