Stanley « Sam » Carr (source primaire) | l'Encyclopédie Canadienne

Project Mémoire

Stanley « Sam » Carr (source primaire)

« Alors je suis parti et j’ai trouvé un type qui avançait sur un sentier en rampant, et il s’appelait [Gordon] Manktelow, et je suis arrivé près de lui et il avait été poignardé 26 fois sur tout le corps – on voyait très bien les marques, avec sa propre baïonnette, celle de son propre fusil. »

Pour le témoignage complet de M. Carr, veuillez consulter en bas.


Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Transcription

On était sur une colline et on était plus près du côté gauche du flanc du front tout entier, et on avait… voyons, on avait trois positions – une en haut et deux à l’arrière — et celle d’en haut ici, on avait un poste avancé à surveiller, et le poste avancé était à peu près – oh, bien 1000 mètres devant nous. Et c’était pour ceux-là qu’on devait faire la navette avec les rations, et devant lui il y avait un poste d’écoute. Et le poste d’écoute, on avait toujours quatre hommes pour s’en occuper, devant, et ensuite le poste d’observation était… Les Américains ont pris le relais à partir de cette position une fois.

En tout cas, moi j’étais le gars qui accompagnait les porteurs, comme je vous l’ai déjà dit. Et une nuit aux alentours d’une heure du matin je montais la garde et il faisait très sombre; je veux dire nuit noire, pas de lune, quelques étoiles, et je me tiens debout là et le sergent major braille mon nom et je ne répondais pas. Et je savais qu’il se passait quelque chose parce que je vais tout le temps à cette position et j’ai pensé : « Bon, ça recommence. » Alors je l’ai ignoré et j’ai continué de l’ignorer et il a continué à tourner autour de la position en criant mon nom. Et puis finalement il est arrivé en haut derrière moi et a braillé mon nom et bien sûr j’ai crié : « Sergent major » et puis il a ajouté : « On a eu… On a un problème au poste avancé, ils ont été salement touchés et je veux que tu prennes 26 brancardiers dans les Compagnies A et que tu leur montres le chemin et ils vont ramener les morts et les blessés. Alors je veux que tu prennes trois sergents avec toi et tu dois leur dire où tu veux les mitrailleuses Bren [mitrailleuses légères] ». J’ai répondu : « Sergent major, où moi je veux les mitrailleuses Bren? » Il a dit : « Tu connais la vallée, tu peux leur suggérer d’en placer une à certains endroits, et tu la connais beaucoup mieux que moi. » Ce n’était pas à moi de dire à ces sergents où placer leurs armes.

Mais on est allés là-bas, et j’ai dit au sergent, je lui dis : « Si vous en mettez une ici à cause de la ravine, et ils pourraient tomber sur n’importe quel ennemi là-haut et on aurait la route coupée. » Et il a dit : « Pour qui tu te prends à me dire ça? » J’ai répondu : « Je fais seulement passer l’info. » Alors je dis : « Ce n’est pas obligé, je fais juste une suggestion à propos de ce que je vois. Parce que, ai-je dit, je viens ici tout le temps. »

Alors je suis remonté et encore la même chose. C’était une espèce d’enfilade de ravines, alors il fallait couvrir toutes ces ravines où il était facile de se faire couper la route en traversant. Alors après j’ai emmené les brancardiers jusqu’à la position du haut et on voyait les premières lueurs du jour quand je suis arrivé là-bas, et ça nous a pris du temps de nous rassembler et on ne pouvait pas se déplacer très vite – vous savez, il fallait faire très attention parce qu’on ne savait pas s’il y avait une autre patrouille qui était devant en arrivant d’une autre position.

Alors on est montés jusqu’à la position et on est arrivés et la première chose que j’ai faite, parce qu’on voyait à peine où se trouvaient les gens à ce moment-là, ou quoi qu’il arrive, et j’ai demandé aux sergents et ils ont dit : « Qui est là-bas au poste d’écoute? » J’ai répondu : « Je ne sais pas. » J’ai dit : « c’est vous qui les avez envoyés là-bas. » « Absolument pas, dit-il, c’est le commandant de peloton. » J’ai dit : « Bon, n’êtes-vous pas exactement au courant de ce qu’il dit en général? » Et il a répondu, je pense qu’il était un peu ébranlé parce que c’était un de ces anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale; on avait beaucoup d’anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale. Et j’ai dit : « Bon, n’êtes-vous pas allé les voir là-bas? » Il a dit : « Moi je ne vais pas là-bas » parce que le poste d’écoute a été mitraillé, et encore plus que la position principale.

Alors je suis parti et j’ai trouvé un type qui avançait sur un sentier en rampant, et il s’appelait [Gordon] Manktelow, et je suis arrivé près de lui et il avait été poignardé 26 fois sur tout le corps – on voyait très bien les marques, avec sa propre baïonnette, celle de son propre fusil. Mais grâce à la parka qu’il avait sur le dos, une parka polaire avec une doublure rembourrée, il avait 26 marques sur le corps, mais… c’était très juste la peau qui était éraflée. Et si jamais vous retournez au Toronto Star, il y a eu un article dedans à l’époque qui parlait de « L’homme que les Chinois n’ont pas réussi à tuer. » Et ils avaient écrit un article sur ce sujet-là dans le Toronto Star.

En tout cas, j’ai essayé de le soulever, mais il faisait plus d’un mètre quatre-vingts, la même taille que vous, peut-être plus étoffé, et je sentais l’odeur de la gangrène et tout son dos était… complètement ravagé à cause de tous les éclats d’obus qui lui avaient giclé dessus, et il avait une grenade dans la main. Quand j’ai réussi à le soulever et à le mettre debout, j’ai dit : « Tu peux lâcher cette grenade. » Sans penser qu’elle était peut-être déjà dégoupillée, parce que j’avais dans l’idée qu’on lui avait donnée la grenade pour qu’il puisse se tuer lui-même, je suppose. Alors j’ai vérifié et j’ai eu de la chance; elle n’était pas dégoupillée. Alors j’ai essayé de marcher avec lui, mais c’était impossible parce qu’il était trop grand et sa jambe traînait derrière alors j’ai appelé les brancardiers et on l’a sorti de là.

Quand je suis remonté à la position un homme s’était fait tuer, il se tenait à l’extérieur des barbelés – pas debout, en partie allongé dans les barbelés à l’endroit où il avait essayé de revenir à l’intérieur parce qu’ils avaient violemment bombardé cette position – et il avait juste réussi à aller jusque-là et il s’était fait tuer en arrivant aux barbelés. L’autre qui était à l’intérieur des barbelés, son histoire à lui c’était… l’obus l’a atteint ou alors il s’est fait tuer – on n’est jamais arrivé à savoir parce qu’il avait été frappé à la tête et il était aussi… un obus l’avait frappé dans le dos et lui avait complètement enlevé la peau du dos; ce n’était plus que de la chair à vif. On n’est pas arrivés à trouver ses jambes, ni ses chaussures, on n’a pas retrouvé ses pieds. On a retrouvé les pieds deux jours plus tard, dans les chaussures.

Le gars qui avait envoyé ce gars là-bas, ce type avait déjà autorisé tout le bataillon à repartir à l’échelon B pour rentrer chez eux et suivre une formation de saut en parachute parce que son bataillon, le 2e bataillon rentrait au pays. Il s’appelait Gilmore, et Gilmore avait été renvoyé là-bas. Comme ils n’avaient pas d’endroit pour le faire dormir, ils l’avaient renvoyé tout là-bas au poste avancé. Personne ne connaît vraiment l’histoire, à savoir pourquoi il est reparti aussi loin, s’il s’était porté volontaire ou s’il avait voulu aller dire bonjour aux autres gars ou quelque chose comme ça, sans penser qu’on risquait de se faire attaquer.

Les autres gars, un de mes amis, il s’appelait Mitchell, il était étendu là les yeux grands ouverts, qui regardaient le ciel, ses yeux regardaient tout droit en l’air – des yeux bleus et les dents serrées. Je me suis approché de lui et j’ai pensé : « Bon sang, il l’a l’air tout à fait normal. Il n’était pas touché sur le dessus au ventre ou ailleurs. » Apparemment, un éclat d’obus avait traversé le caoutchouc de ses bottes, ce dont je vous ai parlé, et avait tournoyé à l’intérieur tranchant net la cheville et il s’était vidé de son sang immédiatement, en quelques secondes.

Alors je me suis proposé pour le ramener sur une civière parce que mon travail, en fait, était pour ainsi dire terminé. Et je suis allé le chercher, mais comme il dépassait du brancard son pied n’arrêtait pas de me cogner dans les parties. J’ai dit au gars : « Tiens-le. Je n’y arrive pas. » Et il a dit : « Où est le problème? » J’ai répondu, il a dit : « Il ne va y voir que du feu. » J’ai demandé : « Qu’est-ce que tu vas faire? » Et il a posé la paume de sa main sur son genou, il l’a empoigné et l’a brisé. Et puis il l’a entouré de fil de fer et il a dit : « Bon, soulève. » J’ai dit : « Non. Je ne peux plus m’en occuper maintenant. » J’ai dit : « Tu n’as donc aucun respect pour ces gars? » Et j’ai ajouté : « Peu importe qu’il soit vivant ou mort, c’est un des nôtres, tu sais. »

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