Project Mémoire

Steve Lubky

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Institut Historica-Dominion
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Steve Lubky
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mais le pauvre gamin m’a vraiment remué. Maintenant je ne vois plus les enfants de la même façon. Aucun enfant ne devrait avoir à souffrir comme ça.

Je m’appelle Steve Lubky et je suis originaire du Manitoba. Je suis né en 1920. J’avais 21 ans quand j’ai commencé mon service. J’étais chauffeur mécanicien déployé sur le terrain; ça consiste à conduire les véhicules et à faire soi-même les réparations simples. Au Lake Superior Regiment, il y avait toutes sortes de chauffeurs mécaniciens car tous les véhicules étaient motorisés. J’ai conduit tous les véhicules qu’ils avaient. En fait, j’étais qualifié dans les portes mitrailleuses Bren et je conduisais un semi-chenillé [transport de troupes blindé] le reste du temps. Un véhicule semi-chenillé vous savez, eh bien, ça a des roues à l’avant et des chenilles à l’arrière. On transportait huit personnes à l’arrière. Le véhicule était équipé d’une mitrailleuse de calibre 50 montée à l’avant; de deux calibres 30 de côté; d’une mitrailleuse Bren et de huit fusils, des armes légères. On avait huit gars de l’infanterie là-dedans. On les emmenait juste à la base la plus proche et ils allaient de l’avant. Nous, on restait dans le véhicule avec un téléphone, en cas d’embarquement hâtif, on se cachait là, prêt à embarquer les gars.

La première fois qu’on est arrivé en Allemagne, on était en train de se reposer et …[quelqu’un?] nous a apporté à manger, vous voyez. Tout à coup, en bas de la route, il y a cette femme et ce gamin qui viennent vers nous en geignant. Ils étaient Ukrainiens, ils parlaient en ukrainien. Alors je me suis dis je vais aller voir ce qui leur est arrivé. Je les ai arrêté. Ils avaient peur de parler, mais quand ils ont vu que quelqu’un parlait leur langue, ils se sont un peu détendus. Je leur ai dit qu’on était des Canadiens, pas des terroristes. La façon dont ils étaient habillés et ce qui leur était arrivé, ça m’a vraiment remué. Leurs vêtements, c’étaient plutôt des chiffons. Le gamin était maigre et sous-alimenté. En guise de souliers, leurs pieds étaient enveloppés de chiffons et c’est comme ça qu’ils marchaient. Quand je leur ai demandé pourquoi ils étaient dans cet état, ils m’ont dit qu’ils venaient d’une ferme, qu’ils faisaient du travail forcé.

Ce matin-là, apparemment le fermier s’était rendu compte que nos troupes approchaient. Alors ils ont été chassés de la ferme. Mais avant de les chasser, c’était le matin, ils ne leur ont rien donné à manger; ils leur ont pris leurs souliers et leurs vêtements et leur ont donné des chiffons et même pas un morceau de pain à emporter pour l’enfant. J’ai essayé de savoir qui était le fermier mais la femme n’a rien dit parce qu’elle avait peur. Je lui ai demandé où était son mari mais elle ne m’a rien dit, soit dans un camp de concentration, soit dans un camp de travaux forcés. Vous savez, elle ne voulait pas être mêlée à ça. Quand j’ai fini de lui parler, je me suis dit, voilà pourquoi on nous a envoyé ici, pour essayer d’empêcher tout ça. J’ai vu la guerre sous un autre éclairage. Je lui ai dit que nos campements n’étaient pas très loin. Je vais vous emmener au campement je leur ai dit, comme ça vous n’aurez plus besoin de vous en faire. Je leur ai dit, on vous donnera de la nourriture et des vêtements et… mais le pauvre gamin m’a vraiment remué. Maintenant je ne vois plus les enfants de la même façon. Aucun enfant ne devrait avoir à souffrir comme ça.

En dehors de ça, la guerre c’est la guerre. Ils tiraient, et nous on tirait aussi et voilà. Des choses arrivent. On était en Allemagne, je ne pourrais pas dire où, déployé quelque part sur le terrain parce que je me rappelle qu’on était assis, la guerre était finie, alors on était là à se détendre, à se reposer. Ce jour-là, je me suis réveillé, après le repos, à 4 h du matin environ et j’ai attendu. Et tout semblait si étrange, c’était bizarre. C’était si calme après tout ce bruit, tellement tranquille. Tout à coup, vers 6 h, les cloches de l’église se sont mises à sonner. Ça m’a semblé tellement bizarre. Après ça, on a déchargé l’armement du semi chenillé et on nous a envoyé chercher des militaires allemands isolés en bas de la route. J’étais tout seul avec les mitrailleuses Sten [pistolet-mitrailleur] posées dans le siège à côté de moi, mais elles n’étaient pas chargées, le chargeur garni était à côté. J’ai fait monter six militaires. Ils étaient tous tellement aimables et polis. Tout le monde est descendu et on s’est serré la main, ils m’ont remercié de les avoir embarqué et je pense qu’ils avaient faim. Je les ai emmené et on leur a donné à manger. Voilà. Ces gens, ils ne voulaient pas se battre, pas plus que nous d’ailleurs.