La lieutenante-colonelle Susan Beharriell, O.M.M, CD,
a donné l’entrevue ci-dessous en 2002, après avoir commencé son nouvel emploi
au sein du personnel du Collège des Forces canadiennes de Toronto. Elle fait
référence à son peloton de formation de base d’élève officier et à son succès
en tant qu’unité entièrement féminine à la Officer Candidate School de
Chilliwack, en Colombie-Britannique. Avec à son actif plus de 35 ans de service
dans les Forces canadiennes, la lcol Susan Beharriell a été analyste en chef
des renseignements et responsable des briefings pour le quartier général des Forces
aériennes alliées du Centre Europe durant la première guerre du Golfe (de 1990
à 1991).
Mon nom est lieutenante-colonelle Susan Beharriell, et je suis officière supérieure des renseignements des Forces aériennes dans les Forces canadiennes.
Les femmes portent une fière histoire dans l’armée canadienne, qui a commencé en 1885, durant la Rébellion du Nord-Ouest. Un total de douze infirmières militaires ont servi dans les hôpitaux de campagne de l’armée, à Saskatoon et Moose Jaw. Elles ont reçu la médaille de campagne de la Rébellion du Nord-Ouest et sont devenues les premières femmes à servir dans l’armée canadienne. Entre 1914 et 1918, 2500 infirmières ont également servi avec distinction sur les champs de bataille de l’Europe lors de la Première Guerre mondiale.
Au Canada, les opportunités pour les femmes dans les années1930 et 1940 étaient bien différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. La plupart des femmes travaillaient à la maison et prenaient soin de leur famille, alors que d’autres femmes occupaient des postes de bureau, d’enseignement, et de soins infirmiers. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale a éclaté en 1939, le gouvernement a eu besoin des femmes pour occuper plusieurs postes de soutien afin de libérer les hommes pour le combat. Les femmes servaient pour que les hommes puissent combattre. Entre autres choses, les femmes étaient signaleuses, estafettes, mécaniciennes, maintenancières d’avions, traceuses de batterie dans l’artillerie antiaérienne, commis des postes, et elles emballaient même des parachutes. De nos jours, ce genre de travail n’a rien d’inhabituel ou de spécial. Mais à l’époque, ces emplois étaient considérés comme étant assez révolutionnaires, voire même scandaleux. Les femmes n’étaient pas censées faire ce genre de choses. Mais plus de 50 000 femmes pionnières canadiennes ont prouvé que les femmes étaient capables de faire plus que ce que les traditions, et les hommes, n’avaient jamais imaginé. Après la guerre, l’armée canadienne s’est démobilisée, et les hommes et femmes sont retournés à leurs rôles traditionnels. Le gouvernement ne voyait pas la nécessité d’employer des femmes militaires en temps de paix.
Lorsque je me suis enrôlée dans l’armée en 1973, de grands changements se produisaient dans la société canadienne. Les femmes réclamaient l’égalité des droits et le mouvement de libération de la femme acquérait de la force. Tout au long de ma carrière, les hommes m’ont souvent dit que je ne pouvais pas faire certaines choses parce que je suis une femme. Ils m’ont dit que je ne pourrais pas suivre la même formation de base des officiers que les hommes, parce que les « femmes ne peuvent pas faire ça. » Personne ne croyait que nous pouvions le faire, pas même notre propre personnel. Mais les filles du 12e peloton [en formation de base à Chilliwack, en Colombie-Britannique] ont joint leurs forces et ont prouvé à tout le monde qu’ils avaient tort. L’esprit de corps forgé à travers cette adversité est toujours aussi fort aujourd’hui.
Ils m’ont dit que je ne pourrais pas me joindre à la Branche des services de sécurité, parce que le manuel disait que seuls les hommes en avaient l’autorisation. J’ai persisté, et éventuellement, ils ont envoyé plusieurs officiers supérieurs pour m’interviewer. Ils ne pouvaient pas en apprendre beaucoup avec mon dossier seulement, et compte tenu de l’époque, ils voulaient voir si j’étais une « féministe brûleuse de soutien-gorge » qui voulait juste s’enrôler parce que le système disait non. Je crois qu’ils ont décidé que ce n’était pas le cas parce que j’ai été acceptée à la branche. Mais ils m’ont tout de suite dit que j’avais intérêt à être à la hauteur ou ils ne laisseraient jamais une autre femme entrer dans cette branche: « Pas de pression, ma chère. »
Lorsqu’on m’a envoyée suivre le cours d’interprétation photographique, l’instructeur-chef a catégoriquement refusé d’accepter une « foutue » dans sa classe. En fait, il a présenté sa démission. Des têtes plus froides l’ont calmé et il l’a retirée, mais c’est cette attitude que j’ai eu à confronter lorsque je suis entrée dans la classe. Aucun professeur et aucun étudiant ne m’a parlé pendant des semaines. Après beaucoup de travail acharné, j’ai terminé au premier rang de ma classe. Lors de la remise des diplômes, l’instructeur-chef m’a prise à part et s’est excusé de son comportement. Il a dit que je lui avais prouvé que les femmes pouvaient effectivement réussir et qu’il accueillerait une femme dans sa classe à tout moment. Cela a fait en sorte que toutes les difficultés en ont valu la peine.
Ils m’ont dit que je ne pourrais pas travailler au sein du personnel des opérations de la base des chasseurs parce que l’état-major avait catégoriquement refusé d’accepter une femme. Des messages ont fait des allers-retours entre le quartier général national et la base, et finalement, mon patron a reçu l’ordre direct de m’accepter. C’est l’attitude à laquelle j’ai dû faire face quand je suis arrivée à Cold Lake, en Alberta. Ils m’ont dit que je ne pouvais pas voler dans un jet à haute performance parce que mes « parties féminines seraient endommagées ». J’ai plus de 80 heures de vol dans le siège arrière d’un avion de chasse à mon actif, incluant le plus moderne, le CF-18. C’était excitant de briser le mur du son à 100 pieds, de grimper à la verticale, et de faire des vrilles et des boucles au-dessus des nuages. Sept ans après mon départ de Cold Lake, les deux premières femmes sont devenues pilotes de chasse.
Ils m’ont dit que je ne pourrais pas être affectée à l’étranger parce que, en tant que femme célibataire, je serais complètement vulnérable au chantage de la part des Soviétiques. J’ai passé deux années difficiles à travailler avec l’OTAN en Allemagne en tant qu’analyste en chef des renseignements et responsable des briefings pour la guerre du Golfe [de 1990 à 1991].
J’ai fait face à de la discrimination, du harcèlement sexuel, de l’agression physique, de l’ignorance, des préjugés, et du chauvinisme. Mais lorsque toutes ces choses se passaient, dans les années1970 et 1980, elles n’étaient pas reconnues et comprises comme elles le sont aujourd’hui. Elles ne portaient même pas ces noms. Elles étaient assurément répandues dans toute la société canadienne, pas seulement dans l’armée. De grands progrès ont été accomplis par les Forces canadiennes, et ces problèmes ont été considérablement atténués, mais ils ne sont pas complètement éliminés. Cela fait longtemps que quelqu’un m’a dit que je ne pouvais pas faire quelque chose pour la simple raison que je suis une femme.
Mes expériences sont assez différentes de celles des femmes pionnières des deux Guerres mondiales. Elles ont remplacé les hommes dans leurs emplois de routine. Elles n’ont pas directement défié les hommes. Mais à mon époque, nous avons défié les hommes, à chaque étape du parcours. Oui, il y avait de la résistance. Oui, il y avait de la discrimination et du ressentiment. Et oui, c’était difficile. Mais grâce aux pionnières de la Deuxième Guerre mondiale, il y a de grands changements aujourd’hui. De nos jours, les femmes militaires du Canada occupent tous les postes de l’armée à l’exception d’un; celui du prêtre catholique. Oui, les femmes ont réussi. Nous avons réellement parcouru un long chemin. Et comment l’avons-nous fait ? Depuis que je suis toute petite, j’ai une devise, et cette devise est: « Qui n’ose rien n’a rien. » Qui n’ose rien n’a rien. Essayez-la un jour. Vous pourriez vous surprendre.