« Vous faites juste ce qu’on vous disait sans poser de questions. »
Pour le témoignage complet de M. Hurst, veuillez consulter en bas.
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Transcription
Je suis sorti de Cranwell comme apprenti et on m’avait envoyé dans une garnison près de chez moi qui était – la règle était sympa, ils vous envoyaient s’ils pouvaient, dans une garnison près de chez vous. Je travaillait à la station émettrice d’une base aérienne militaire à une quinzaine de kilomètres de chez moi. Mais pas très longtemps. On m’avait appelé à me présenter dans un certain endroit à Londres, une maison particulière, ce qui était très déroutant. Et il s’est avéré que, j’avais été sélectionné pour travailler dans les services de renseignements parce que j’étais un très bon radiotélégraphiste en morse et que j’avais pris des cours sur le décodage avec la machine Typex de l’armée de l’air, qui avait des longueurs d’avance sur les machines allemandes Enigma, et c’était top secret. Mais il y en avait une à Dublin.
Et on avait fait de moi un civil, j’étais rentré chez moi en uniforme, j’avais rapporté mon uniforme à la base de l’armée de l’air la plus proche, ils m’attendaient, j’avais revêtu des vêtements civils et était retourné à Londres avec un autre homme qui était venu avec moi, il avait pris le train jusqu’à Dublin. A Dublin, je vivais dans les locaux du haut-commissariat du Royaume Uni sur Mount Street à Dublin, au dessus de Lower Mount Street. Et j’occupais la mansarde sous les toits, le grenier comme ils l’appelaient, là-haut dans le grenier, où se trouvait mon équipement radio dans la pièce en dessous de là où était la machine Typex.
Et je n’avais rien à voir avec les activités régulières du bureau du haut-commissaire en soi, affaires diplomatiques ou quoi que ce soit d’autre. Je faisais toutes mes allées et venues par la porte de derrière, principalement, et ils savaient que j’étais là mais personne ne me posait la moindre question, je suppose qu’on les avait briefés à ce propos. Alors c’était une période très solitaire. J’étais tout seul. L’autre gars, il était parti ailleurs et je ne sais pas ce qu’il faisait. Il ne faisait pas la même chose que moi et c’était comme ça que ça se passait. Moins on en sait mieux on se porte.
Et je la faisais marcher deux fois par jour, j’appelais l’Angleterre par radio à des heures qui étaient tirées au sort, juste pour établir le contact. Et je devais aussi m’occuper des pigeons voyageurs. Tous les mois j’ouvrais la trappe sur le toit et ils s’envolaient, recevait une nouvelle cargaison de pigeons. J’ai dû apprendre quelques rudiments sur les pigeons pour m’en occuper et comment mettre les messages sur eux. Je n’avais jamais été formé pour ça mais c’était intéressant.
J’avais du matériel radio, sous le plancher d’une maison, près du champ de course de Dublin, le Leopardstown race course, juste à l’extérieur de la pièce où j’allais de temps à autres pour regarder. Il n’y avait jamais personne là-bas quand j’y allais, et là encore la raison était que si on devait évacuer l’ambassade, je pourrais toujours garder le contact. Et aussi, il y avait du matériel de communication à l’arrière d’une voiture, qui était garée dans le garage à l’arrière des bureaux du Haut Commissariat. Et je me souviens les examiner et les vérifier, je ne sais pas à quoi ça servaient si ce n’est au cas où on aurait dû partir vers le nord en toute hâte, là j’aurais eu à l’utiliser.
Mais vous voulez avoir vos instructions quand ils vous les donne. Vous savez, vous ne posez pas de questions parce qu’on ne vous donne jamais de réponses, alors il y avait de ça, je suppose. Et à l’occasion, je sortais pour retrouver des gens en liberté sur parole, des hommes en liberté sur parole, qui venaient du camp d’internement. Il y avait un cotre, on les gardait sur le cotre. C’était des équipages de l’aviation britannique qui avaient fait des atterrissages forcés, et des allemands, qui s’étaient posés en catastrophe en Irlande et avaient été arrêtés et mis là dedans, pas internés, pas des prisonniers de guerre dans des camps, et ils étaient en liberté sur parole, ne devaient pas s’évader. Alors ils allaient en ville en groupes et de temps en temps, on me disait d’aller les retrouver et de donner un rapport sous pli à tel homologue ou à telle personne et puis on finissait par sortir ensemble parce qu’ils étaient en groupe et je restais avec eux, évidemment on les emmenait dans des endroits comme la brasserie de Guinness sur James Street, et on avait de la bière gratuite. Et des choses de cette nature. Vous faites juste ce qu’on vous disait sans poser de questions.
Et à l’époque celui qui était attaché de presse en poste à Dublin c’était John Betjeman, qui est devenu plus tard Sir John Betjeman, le Poète lauréat, poète officiel de la Reine. Et j’avais beaucoup de temps libre, et j’avais l’habitude de m’asseoir et me mettre à l’écoute sur la bande de 20 mégacycles [fréquence] et lire les nouvelles envoyées en morse par la British United Press, Reuters, Pravda, les United Press américaines et allemandes et écrire – toutes les heures ils changeaient de sujet. Et c’est à travers elles que j’ai découvert qu’il y avait six différentes guerres en présence parce que toutes ces nouvelles qui venaient de ces gens, elles étaient toujours toutes teintées d’une réalité différente. Et c’était en quelque sorte intéressant de penser, vous savez, qu’il y avait six personnes différentes qui concoctaient ces bulletins quel que soit le journal que vous achetiez, quel que soit l’endroit où vous l’achetiez, c’était l’impression que vous aviez. Et j’ai compris ça tout au cours de ma vie, quelque soit celui qui vous donne les nouvelles, elles reflètent le service de presse auquel il s’est adressé, vous savez. La plupart de nos journaux sont liés à l’agence American Press qui est américaine, dont l’opinion est toujours de tendance, américaine. Et c’était la même chose pendant la guerre.
J’ai passé six mois là-bas. J’avais beaucoup grossi parce qu’il n’y avait pas de rationnement évidemment en Irlande du sud, tout ce que vous vouliez se trouvait là-bas, le chocolat. Mais la vie était très solitaire parce que n’osiez pas fréquenter qui que ce soit. Et c’était drôle, je passais devant l’ambassade d’Allemagne au déjeuner et au dîner, là où je mangeais c’était une petite maison, et on ne me posait jamais de questions. C’était juste au coin de l’ambassade d’Allemagne. Je devais passer devant tous les jours, des petites choses comme ça, vous savez.
Je me sentais seul. Je sortais principalement pour aller manger, trouver un endroit sympa pour manger et j’allais aux spectacles de variétés mais à part ça j’étais tout seul. Je ne suis pas fais d’attaches. Et pour ce qui est des filles, je ne savais pas comment m’y prendre de toutes façons. J’ai donc passé six mois assez isolé mais j’étais bien payé. Je recevais le même salaire que les civils, quatre fois plus que dans l’armée de l’air. Malheureusement, je ne pouvais pas mettre cet argent à la banque mais le rapporter au pays. Alors. Et puis j’ai été rappelé jusqu’à… ce que mon temps soit terminé, et j’ai été déchargé et je suis allé à Dundalk et puis j’ai traversé en train jusqu’à Belfast, pour retrouver mon uniforme de l’armée de l’air qui m’attendait ; j’étais censé me changer et revêtir mon uniforme et rentrer chez moi comme si de rien était, comme si j’étais un militaire sur le ferry. Mais quand j’ai repris mon uniforme, il avait été entreposé sans précautions et il était tout moisi, il ne m’allait plus, j’avais pris près de treize kilos alors j’ai dû rentrer habillé en civil et laisser mon uniforme à pourrir là-bas. Et bien-sûr, quand j’ai pris le bateau, un homme m’avait donné les mauvais papiers. L’officier, il m’avait envoyé à l’endroit où le bateau arrivait. Je ne savais pas que j’allais à RAF Heysham mais quand je suis arrivé là-bas, c’était là que le bateau était arrivé. Et à Heysham quand j’ai demandé où la station se trouvait, tout d’un coup, j’étais dans un train avec deux policiers, et j’ai fini au trou. Et j’y ai passé quatre jours avant qu’ils arrivent à trouver qui j’étais et je devais faire très attention là-dessus. Quelle drôle d’aventure.