J’ai eu beaucoup de chance. Je n’ai jamais été blessé ; je n’ai même pas eu un seul ongle cassé. Le seigneur me gardait et il le fait toujours. J’ai deux frères et un beau-frère qui étaient outre-mer et aucun d’entre nous n’a été blessé ou n’a souffert d’aucune façon.
Deux mois avant qu’on parte en France, il a fallu qu’on rende nos véhicules étanches. On a passé le plus clair de notre temps à faire ça parce qu’on sortait du bâtiment de débarquement ou peu importe le nom que vous voulez leur donner, dans l’eau. Et si notre véhicule ne marchait pas quand on arrivait dans l’eau, et bien c’était notre problème. On était les seuls responsables. Personne d’autre à blâmer que nous-mêmes, ce qui fait qu’on avait intérêt à s’assurer que l’allumage du véhicule et tout le reste était bien étanche afin de ne pas avoir de problèmes à cause de l’eau.
On est descendu dans quelque chose comme, je ne sais pas, 1m20, 1m80 d’eau quand on a rejoint la plage. On ne pouvait pas aller bien loin parce qu’il fallait enlever tout ce qui assurait l’étanchéité avant qu’on puisse aller où que ce soit.
Ça faisait un peu peur parce que, pardonnez-moi, mais il y avait des cadavres partout sur le sol. On ne savait pas du tout ce qui allait se passer. Tout était étrange. On était juste un peu, non, on n’était que des gamins, on ne savait pas à quoi s’attendre. Notre corps de chars et tout ça était parti devant ; et ils avaient bien dégagé la voie. Ils avaient assez de ravitaillement pour deux jours et on n’avait pas besoin de nous avant deux jours alors on a pris notre temps pour faire ce qu’il y avait à faire. C’était une situation bien étrange, que de traverser cette plage.
Un matin, au petit-déjeuner, on avait notre camion cuisine qui voyageait avec nous quand on était sur la route. Et on prenait notre petit-déjeuner et quelqu’un a remarqué, dans les buissons, à quelque distance de nous, il y avait quelque chose là-bas. Et d’un coup, un drapeau blanc est apparu et ce jeune gars est sorti de là, il portait un uniforme allemand. Évidemment, on a gardé l’arme braquée sur lui jusqu’à ce qu’il nous prouve qu’il n’était pas armé. Et il nous a raconté qu’il en avait marre, qu’il ne voulait plus se battre ; il s’est rendu. Je crois bien qu’il est arrivé au Canada avant nous. Il nous a raconté qu’il ne voyait plus aucune raison de se battre et il s’est tout simplement rendu.
Certains des gars étaient prêts à le descendre et le gars avait laisser tomber, il n’était pas armé, pourquoi le descendre ? Il n’allait plus faire de mal à quiconque. On l’a emmené et on lui a donné un petit-déjeuner. On l’a traité comme un être humain. C’était, je n’en suis pas sûr, je crois que c’était quelque part en Belgique, je ne suis pas certain. Mais c’est ce qui me vient à l’esprit c’est que c’était juste un jeune type. Il avait, je dirais, dans les 20,25 ans. Tout simplement comme nous. Il faisait ce qu’on lui avait ordonné de faire et il en avait marre, et ne voulait plus le faire. Alors il a laissé tomber.
On était à Apeldoorn (Hollande) quand la guerre s’est terminée et je pense que vous avez vu les célébrations qu’il y a eu. Quand ça a été fini, on était en plein dedans, aussi excessifs que n’importe qui d’autre. Et quand c’est arrivé, notre regard s’est porté sur l’ouest, en espérant, en se demandant quand on allait rentrer au pays. On est arrivés dans le port de New York le 27 décembre, on a fait le voyage jusqu’à Toronto en train dans la nuit du 27 au 28. On est arrivés au Parc des expositions le 28 décembre vers quatre heures de l’après-midi. On est allés dans le stade et il était bourré à craquer avec tous les gens qui nous attendaient. Il y a eu pas mal de larmes versées. Mon père et ma mère étaient là, ma femme et ses parents. C’était de belles retrouvailles.
Date de l'entrevue: 19 août 2010