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My Winnipeg

Dans ce périple onirique en noir et blanc dans Winnipeg, Guy Maddin mêle faits et invention, documentaire et fiction, mythes et réalité. Largement considéré comme son meilleur film, My Winnipeg a remporté le prix du meilleur long métrage canadien lors de sa première au Festival international du film de Toronto (TIFF) en 2007. Le film est classé parmi les dix meilleurs films canadiens de tous les temps par le TIFF en 2015, tandis qu’un autre sondage mené en 2016 l’ajoute aux 150 œuvres essentielles de l’histoire du cinéma canadien.
Still from Guy Maddin's My Winnipeg.

Contexte

Faux documentaire ou, pour employer les propres mots du réalisateur, « docufantaisie », My Winnipeg prend son envol lorsque le producteur Michael Burns demande à Guy Maddin de réaliser un documentaire sur Winnipeg pour The Documentary Channel. Il commence par refuser avant d’accepter l’offre. Michael Burns lui donne alors ce conseil : « Surtout, ne montrez pas ce que chacun sait de Winnipeg : un trou perdu et un enfer blanc. Faites-moi rêver! »

Le cinéaste explore cette idée d’enchantement et décide de présenter Winnipeg à travers le prisme d’une mythologie classique hollywoodienne. « Les Canadiens sont pétrifiés par le mythe. », déclare Guy Maddin à la veille de la première de son film. Il ajoute : « Nous rendons nos personnages historiques plus insignifiants qu’ils ne l’ont réellement été. En pratique, je définis le mythe en y incluant un mélange de réalité et de non-réalité. Pour moi, tout est vrai pour autant que cela nous aide à comprendre ce qui s’est véritablement passé et ce qui aurait pu se passer. »

Le scénario évolue grâce à la collaboration de George Toles qui écrit les dialogues pour les scènes reconstituant l’enfance de Guy Maddin, tandis que ce dernier étoffe la narration en y ajoutant des entrevues et de courtes séances d’enregistrement. Michael Burns et le producteur Jody Shapiro insistent pour que le réalisateur prenne lui-même en charge la narration du film pour en compenser les incohérences factuelles. Pour les « re-créations » dramatiques, Guy Maddin choisit l’icône de série B Ann Savage — dont ce sera le dernier rôle puisqu’elle décédera en 2008 —, célèbre pour avoir interprété la femme fatale dans le film noir classique de 1945 Détour, pour jouer sa mère. My Winnipeg est tournéen dix jours avec un budget de 500 000 $.

Synopsis

My Winnipeg montre Guy Maddin rêvant d’échapper à Winnipeg tandis qu’un train s’immobilise dans la ville. Le train devient un motif récurrent au fur et à mesure que le réalisateur, interprété par Darcy Fehr, explore simultanément son propre passé et celui de Winnipeg. Le cinéaste rappelle un certain nombre d’aspects de la géographie et du caractère de Winnipeg qui le séduisent et se souvient de quelques jalons, en partie réels, en partie imaginaires, ayant marqué l’histoire de la ville. Il évoque notamment la grève générale de 1919, l’opération « If Day » simulant une invasion nazie, la destruction de l’aréna de hockey dans lequel son père décédé a travaillé et un épisode tragique au cours duquel des chevaux de course se sont précipités dans la rivière Rouge et sont restés pris dans la glace jusqu’à ce qu’on les retrouve morts après le dégel.

Guy Maddin mêle ces digressions historiques avec des souvenirs d’enfance. Ces reconstitutions fictionnelles, mettant en vedette Ann Savage dans le rôle de sa mère, comprennent une séquence durant laquelle la famille regarde une émission télévisée canadienne, Ledge Man, dans laquelle elle aurait prétendument joué. La frontière entre réalité et fiction se fait de plus en plus ténue au fur et à mesure que l’histoire de Winnipeg s’imbrique inextricablement dans la vie et l’imaginaire du réalisateur.

Analyse

My Winnipeg constitue, après Cowards Bend the Knee en 2003 et Brand Upon the Brain! en 2006, le troisième volet de la trilogie autobiographique de Guy Maddin intitulée « Me trilogy ». My Winnipeg illustre la fascination du réalisateur pour le cinéma classique dans sa dimension la plus personnelle. Le film dépeint, à travers le langage cinématographique, une vie imaginaire : au fur et à mesure que le metteur en scène représente son évasion de Winnipeg, il se rapproche en fait de plus en plus du centre de la ville. Bien évidemment, ce centre incarne le subconscient du cinéaste. Le rythme hallucinatoire et l’utilisation interchangeable de faits et de fictions créent une symphonie urbaine pour une Winnipeg qui n’existe que dans son esprit.

Le voyage de Guy Maddin engendre une double narration à la fois objective et subjective. Le film entremêle des faits réels, des faits revisités par l’artiste au nom de la « licence poétique » et des mensonges complets. Les incohérences factuelles fonctionnent toutefois symboliquement, dans un contexte où le réalisateur interprète son passé à la lumière d’événements historiques comme la destruction de l’aréna ou la mort de son père. De la même façon, la série télévisée imaginaire Ledge Man parodie la télévision canadienne tout en explorant le chagrin de la mère après le décès de son fils Cameron. My Winnipeg met en évidence, à travers le filtre du cinéma classique, la puissance de l’illusion, et ce, en s’appuyant plus spécialement sur le jeu tout en férocité d’Ann Savage dans le rôle de la mère. Il évoque l’usine à rêves d’Hollywood qui, à l’instar de Winnipeg, constitue une source d’inspiration pour le cinéaste dans son travail. My Winnipeg montre avec fièvre comment le seul fait de mythifier un lieu en fait inévitablement une fiction.

Réception critique

La première de My Winnipeg a lieu au TIFF en septembre 2007, Guy Maddin interprétant le narrateur en direct sur la scène. Richard Corliss, du magazine Time, décrit le film comme étant « le plus beau, le plus drôle et le plus triste des films projetés à Toronto, ou dans n’importe quel autre festival, cette année ». J. Hoberman, du Village Voice, dit du film qu’il s’agit du « meilleur opus de Guy Maddin depuis Cowards Bend the Knee, une confession fantasmagorique au rabais qui n’est pas sans rappeler My Winnipeg ». Il y a un consensus parmi les critiques pour estimer que My Winnipeg est le meilleur film du réalisateur à ce jour et la plupart portent sur cette œuvre un jugement positif.

Les commentateurs se sont également délectés des inexactitudes intentionnelles et des faits fabriqués de toutes pièces émaillant le film. Lawrie Cherniak, du quotidien Winnipeg Free Press, estime que My Winnipeg « prouve que Winnipeg est tellement excentrique que le réel y est aussi fantastique que le fantasme ». A.O. Scott du New York Times tente, dans un premier temps, de contrôler méthodiquement l’ensemble des faits présentés dans My Winnipeg, mais aboutit à la conclusion qu’il préfère finalement en ignorer les (in)exactitudes, affirmant : « Même si je soupçonne que certaines de ses affirmations les plus farfelues trouvent, au moins en partie, leurs racines dans la réalité, après tout le projet dans lequel M. Maddin est engagé relève moins de l’enquête historique minutieuse que d’une autobiographie hallucinatoire ressassant la relation profonde et purement accidentelle entre un lieu particulier et la vie d’un individu. » Dans son ouvrage sur My Winnipeg, Darren Wershler résume l’aspect séduisant du film en faisant observer que : « My Winnipeg fascine parce qu’il fait montre d’une grande justesse sur le plan psychologique et sur le plan affectif, tout en s’avérant inexact sur le plan historique. »

Distinctions et héritage

My Winnipeg apporte à Guy Maddin une importante reconnaissance. Il remporte le prix du meilleur long métrage canadien au TIFF et obtient plusieurs distinctions de la Guilde canadienne des réalisateurs, des prix Génie et de l’Online Film Critics Society. My Winnipeg apparaît dans plusieurs palmarès des dix meilleurs films, notamment celui de Time, celui du Globe and Mail et, pour les films canadiens, celui du TIFF établi chaque année. En 2009, Roger Ebert le cite parmi les meilleurs films de la décennie.

En 2015, My Winnipeg devient le 13e film canadien publié par la prestigieuse collection Criterion. Cette même année, il est également inscrit sur la liste des dix meilleurs films canadiens de tous les temps à l’occasion d’une enquête menée par le TIFF. En 2016, My Winnipeg est classé parmi 150 œuvres essentielles de l’histoire du cinéma canadien dans le cadre d’un sondage auprès de 200 professionnels des médias mené par le TIFF, Bibliothèque et Archives Canada, la Cinémathèque québécoise et la Cinematheque de Vancouver en prévision des célébrations entourant le 150e anniversaire du Canada en 2017.

Voir aussiLongs métrages canadiens.

Prix

Meilleur long métrage canadien, Festival international du film de Toronto (2007)

Meilleur film canadien, prix de l’Association des critiques de films de Toronto (2007)

Meilleur réalisateur à égalité avec Mike Leigh pour Happy-Go-Lucky, Chlotrudis Awards (2009)

Meilleur documentaire, San Francisco Film Critics Circle Awards (2008)