Terme géographique qui désigne au sens strict l'immense étendue de terres situées au-delà de la mince bande de pays où la plupart des Canadiens vivent et travaillent, mais qu'on emploie souvent pour désigner les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon.
Les paysages du Nord sont variés : vastes rivières, plaines recouvertes de forêts, lacs immenses qui s'étendent de la vallée du Mackenzie jusqu'au bord du Bouclier canadien, mer intérieure (baie d'Hudson), plages, bancs, îles du littoral arctique et mer arctique recouverte de neige et de glace en hiver et parsemée de glaces flottantes en été. D'immenses populations d'oiseaux migrent vers l'Arctique chaque été. On y retrouve aussi des baleines, des morses, des narvals, des phoques, des orignaux, des Boeufs musqués et des caribous, la nourriture de base des autochtones.
Histoire naturelle
Les biologistes divisent le Nord en deux grandes régions appelées « biomes », soit la forêt boréale et la toundra. La forêt boréale, caractérisée par l'épinette et le muskeg, consiste en une large bande de forêts de conifères, qui va de Terre-Neuve à l'Alaska. La toundra, qui s'étend au-delà de la forêt boréale et qui représente 20 p. 100 des terres du pays, est dépourvue d'arbres, mais comporte des paysages variés d'une grande beauté : plaines, montagnes, collines, vallées, rivières, lacs et côtes.
La toundra et la forêt boréale entrent en contact à la Limite forestière, une zone de transition s'étendant sur plusieurs kilomètres de profondeur. Cette importante frontière biologique qui sépare forêts et toundra constitue également la limite traditionnelle entre les terres des Dénés et des Inuits. La limite forestière peut également être considérée comme la limite sud de l'Arctique, la zone de transition entre les régions arctique et subarctique. Dans ces deux régions toutefois, les contrastes climatiques sont immenses. Au milieu de l'été, le soleil ne se couche jamais, mais en hiver, la seule lumière du jour visible est celle d'un coucher de soleil. Dans les régions très au nord, le soleil ne s'élève pas au-dessus de l'horizon pendant plusieurs semaines.
L'été est assez chaud, avec des températures dépassant les 20°C, mais bref et souvent frisquet et humide. Les précipitations (neige et pluie) sont peu abondantes. Le « véritable » Arctique est considéré comme une région semi-désertique, puisque les précipitations y sont aussi faibles que dans les régions les plus sèches des Prairies. Il est donc étonnant de voir qu'en été, la surface du sol est généralement humide et marécageuse, parsemée d'innombrables mares, marécages et crevasses de contraction thermique emplies d'eau.
Dans le Sud du Canada, la terre gèle en hiver, mais en surface seulement et dégèle complètement au printemps. Dans les régions arctique et subarctique, le gel dépasse la zone maximale de dégel printanier. C'est pourquoi, sous la surface, on retrouve une zone de terre gelée en permanence appelée pergélisol. La couche qui gèle et qui dégèle chaque année retient l'eau provenant des précipitations et de la fonte des neiges qui ne peut s'infiltrer dans le sol gelé.
La combinaison climatique et topographique des biomes nordiques a engendré des populations végétales et animales uniques. Les espèces qui peuplent le Nord doivent être résistantes pour survivre, mais elles sont également vulnérables. Il serait en effet facile de causer des dommages irréparables à cet environnement fragile et aux populations humaines qui en dépendent.
Les peuples du Nord
Lorsqu'on survole la forêt boréale, la toundra ou la mer couverte de glace, il est difficile de garder à l'esprit que le Nord du Canada est habité depuis des milliers d'années. Les populations qui ont occupé ces vastes étendues n'ont jamais été importantes, mais leurs aptitudes de nomades et de chasseurs leur ont permis d'exploiter presque tout le territoire sans altérer l'environnement. En raison de la lenteur extrême du rythme de croissance et de décomposition des végétaux, on trouve presque partout des signes d'occupation ancienne : restes de vieilles maisons, anneaux de tente, roches éclatées par le feu. Il est donc facile pour les archéologues de recueillir quantités d'objets et de signes qui témoignent de la richesse, de la diversité et de la vivacité de la culture autochtone.
Les populations autochtones sont venues d'Asie au cours de la dernière glaciation en franchissant le pont continental qui traversait le détroit de Béring (voir Béringie; Préhistoire). Le peuple Athapascan est arrivé il y a de cela au moins 12 000 ans. Il occupe de vastes étendues de terre, y compris la vallée du Mackenzie et le Yukon. Les Inuits sont venus il y a environ 4000 ans, s'établissant dans tout l'Arctique, y compris dans les régions côtières, dans presque toutes les îles de l'archipel Arctique et dans la péninsule de l'Ungava ainsi qu'à l'Est, jusqu'au golfe du Saint-Laurent et Terre-Neuve.
Les Inuits se sont établis le long des rives de l'océan Arctique et de la baie d'Hudson. Bien qu'ils parlent des dialectes très semblables appartenant à la même famille linguistique, les techniques qu'ils emploient et leur organisation sociale diffèrent selon les régions, ce qui rend difficile, même à l'heure actuelle, toute généralisation d'ordre anthropologique.
Les Inuits considèrent qu'il existe d'importantes différences entre eux. Les Inuvialuits du delta du Mackenzie se considèrent comme distincts des Inuinnait (Inuits du cuivre), leurs voisins de l'Est, tandis que les Inuits du cuivre, ou Qurdlurturmiuts, clament ne ressembler en rien aux Inuits de Netsilik, aux Aivilingmiuts ou aux Igloolingmiuts, qui vivent encore plus à l'est. Au sein de chacun de ces grands groupes, il existe de subtiles subdivisions reflétant divers modes d'exploitation du sol et de la mer ainsi que des différences en matière de dialecte, d'habillement et de techniques de chasse.
Les autochtones de la vallée du Mackenzie font partie de la famille des Athapascans et se considèrent, nonobstant des variations dans les dialectes, comme « le peuple », les Dénés. Tout comme les Inuits, ils discernent d'importantes différences entre les bandes, soit les Gwich'in (delta du Mackenzie, Nord du Yukon et une partie de l'intérieur de l'Alaska), les Sahtu Dénés (monts Mackenzie et vallées de la rivière aux Liards), les Plats-Côtés-de-Chien ou Tli Cho (Grand lac de l'Ours et au nord du Grand lac des Esclaves) et les Chipewyans (la toundra le long des frontières du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta). Les Cris sont arrivés plus récemment. Ils ont migré vers le Nord à l'époque de la traite des fourrures et des grandes explorations, puis ils se sont fixés dans les plaines et les régions boisées des Prairies.
Les premiers Métis ont émigré vers le Nord au début du XIXe siècle et se sont établis autour du Grand lac des Esclaves. Ils sont les descendants d'unions entre femmes autochtones et Coureurs des bois du début de la traite des fourrures. À la suite de la Rébellion du Nord-Ouest de 1885, de nombreux Métis sont partis vers le Nord et se sont installés dans la vallée du Mackenzie. D'autres Métis sont les descendants d'employés d'origine écossaise de la Compagnie de la baie d'Hudson et de femmes dénées. Les enfants nés de ces unions se sont généralement unis aux Dénés et ont conservé avec eux d'étroits liens familiaux.
L'avenir économique du Nord
Les questions qui concernent le Nord aujourd'hui résultent de la présence d'allocthones qui ont fait leur apparition avec les premiers explorateurs et les commerçants de fourrures qui cherchaient à étendre leur empire commercial. Les missionnaires et les Églises ont suivi, puis les fonctionnaires. L'historique du développement des autres régions du Canada a été reproduite dans le Nord, à une exception près. Dans les Prairies, la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique a été suivie d'une colonisation à grande échelle et de l'établissement de centres habités par une population d'origine européenne, ce qui a amené la diffusion des langues et des cultures européennes.
Dans le Nord toutefois, où l'exploitation agricole est impossible, ce sont les ressources non renouvelables (or, argent, plomb, zinc, cuivre, pétrole et gaz naturel) qui ont stimulé le développement économique. Ces industries n'encouragent pas l'établissement de colons allocthones, mais favorisent plutôt l'apparition de villes champignons avec une main-d'oeuvre importée, comme Dawson au cours de la Ruée vers l'or du Klondike, Faro au Yukon, Yellowknife, Tungsten et Pine Point dans les Territoires du Nord-Ouest.
La majeure partie des allocthones du Nord ne sont que de passage. Même les employés du gouvernement ont tendance à considérer leur période d'emploi dans le Nord comme une affectation temporaire d'une durée de tout au plus quelques années. Les populations autochtones constituent donc la majorité des habitants permanents dans les Territoire du Nord-Ouest et une minorité importante au Yukon. Cela influe considérablement sur l'avenir du Nord, puisque cela rend possible ce qui ne l'a pas été lors du développement de l'Ouest, soit la préservation des grands troupeaux d'animaux migrateurs, la création d'une économie autochtone et l'établissement d'institutions politiques qui reconnaissent pleinement l'importance des peuples autochtones.
L'économie du Nord est mixte. Ses habitants dépendent depuis toujours de ressources renouvelables. Ils pratiquent la chasse, le trappage et la pêche. L'industrie minière emploie surtout des allocthones, tout comme l'industrie pétrolière, mais ces dernières tentent depuis quelque temps d'engager des autochtones et de faire affaire avec des entreprises appartenant à des autochtones. Les gouvernements fédéral et territorial sont désormais les plus gros employeurs d'allochtones et d'autochtones. Le Nord est perçu comme étant le dernier front pionnier du Canada, et il est naturel qu'on songe à le développer, à le dompter et en extraire des ressources afin d'alimenter l'industrie du pays.
Nombreux sont ceux qui considèrent que l'avenir économique de la région dépend uniquement des grands projets de développement industriel, et c'est pourquoi les politiques relatives au Nord ont souvent affaibli ou détruit l'économie basée sur les ressources renouvelables. On considère souvent comme des chômeurs ceux qui vivent de la chasse, de la trappe et de la pêche, et ces derniers en viennent à se considérer comme tels.
De telles politiques exercent des pressions considérables sur les populations autochtones, qui, si elles continuent d'exploiter les ressources renouvelables, vivent dans une relative pauvreté et sacrifient un mode de vie productif. Toutefois, si les autochtones abandonnent leur mode de vie traditionnel, qui est très important d'un point de vue culturel et qui constitue une source de fierté, ils s'exposent à de graves conséquences sociales qui ont déjà commencé à se faire lourdement sentir.
Droits territoriaux
Les premières nations du Yukon, les Inuits, les Dénés et les Métis considèrent le Nord comme leur patrie et, bien qu'ils ne s'opposent pas à son développement économique, estiment néanmoins avoir le droit de déterminer dans une certaine mesure à quel rythme il doit se produire et avoir droit à une part des richesses qu'il engendrera. À leur avis, de tels objectifs ne seront atteints qu'avec la mise en place de nouvelles institutions politiques qui répondent pleinement à leurs intérêts. Il faut donc établir une nouvelle série de priorités politiques et économiques pour le développement du Nord. Cela tient à la reconnaissance des droits territoriaux (voir Revendications Territoriales), car c'est grâce à eux que les autochtones entendent préserver leurs langues, leur art, leurs cultures, leurs valeurs, bref leur identité propre.
Au cours des années 70, les autochtones sont confrontés au projet de pipeline de la vallée du Mackenzie, qui doit acheminer le gaz naturel en provenance de l'Alaska et du delta du Mackenzie à travers le Nord du Yukon et le long de la vallée du Mackenzie jusqu'au Sud du Canada et aux États-Unis. Ils déclarent que si un tel projet voyait le jour, le développement du Nord aurait lieu avant qu'ils n'y soient prêts, c'est-à-dire avant que les droits territoriaux n'aient été fixés. Les chefs autochtones profitent des audiences publiques fortement médiatisées présidées par le juge Thomas Berger ainsi que des audiences subséquentes présidées par le professeur Kenneth Lysyk pour faire connaître au reste du Canada l'importance qu'ils accordent à la reconnaissance de leurs droits territoriaux.
La construction du pipeline est remise à plus tard, et les autochtones en profitent pour entreprendre des négociations avec les gouvernements du Canada et des territoires. Ces négociations sont longues et difficiles. Le processus du choix des terres est particulièrement ardue, surtout pour ceux qui ont toujours considéré leur territoire comme indivisible.
Les négociations sont couronnées de succès et la Convention définitive des Inuvialuits est la première à être signée en 1984. Les droits territoriaux du Yukon font l'objet d'une entente de principe en 1993, laquelle est suivie de négociations distinctes avec chacune des 14 bandes autochtones afin d'en arriver à une entente finale. Une entente de principe est signée avec les Dénés et les Métis en 1987, mais les autochtones de la vallée du Mackenzie refusent de la ratifier le moment venu. Plusieurs bandes, dont les Gwich'in, les Sahtu Dénés et plus récemment les Tli Cho, ont choisi plutôt d'entreprendre des négociations séparées avec le gouvernement. Les droits territoriaux des Gwich'in ont finalement été fixés en 1992, ceux des Sahtu Dénés en 1993, tandis que ceux des Tli Cho font encore l'objet de négociations.
Dans l'Arctique, les Inuits ont combiné leurs revendications politiques et territoriales en une proposition d'établissement d'un territoire distinct (Nunavut) au nord et à l'est de la limite des arbres. Cette proposition a donné lieu à une entente de principe en 1988. Avant la ratification de la proposition, les peuples du Nord se sont entendus, par plébiscite en 1982, pour séparer en deux les Territoires du Nord-Ouest. Les droits territoriaux des Inuits ont été fixés en 1993, et la séparation des Territoires du Nord-Ouest en deux territoires distincts s'est concrétisée en 1999.
L'autonomie politique
Tous les peuples du Nord qui ont négocié leurs droits territoriaux ont également cherché à faire reconnaître leur droit à l'autonomie politique au sein du Canada. Comme suite à la reconnaissance des droits des autochtones dans le cadre de la Loi Constitutionnelle de 1982, ils réclament cette autonomie politique comme un droit. Cette idée a peu à peu fait son chemin, et pour les peuples qui ont déjà réglé leur droits territoriaux, les négociations relatives à l'autonomie politique ont déjà commencé ou débuteront sous peu. Plusieurs bandes autochtones du Yukon ont déjà conclu de telles ententes. Des négociations en ce sens sont actuellement en cours entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, les Gwich'in et les Inuvialuits. Les Tli Cho, pour leur part, négocient simultanément leurs droits territoriaux et leur autonomie politique.
Le développement du Nord
La mise en valeur du Nord ne doit pas être définie que dans des perspectives de technologie à grande échelle nécessitant d'importantes mises de fonds. Il faut aussi considérer les ressources renouvelables. En effet, les ressources en poisson et en mammifère des Territoire du Nord-Ouest peuvent fournir suffisamment de protéines pour soutenir une population de deux à quatre fois supérieure à la population actuelle. Déjà, on exporte du boeuf musqué, du caribou et de l'omble de l'Arctique à titre de produit de luxe, et il existe un marché limité pour le poisson et la viande dans les territoires. La mise en valeur de la région pourrait également comporter un vaste programme d'aménagement de la faune et de réglementation des prises faisant appel à la participation active des populations autochtones.
Les peuples autochtones commencent à leur tour à explorer les possibilités de l'économie de la société dominante. Les entreprises qu'ils ont créées après la reconnaissance de leurs droits territoriaux oeuvrent dans l'exploration et l'exploitation pétrolière, dans le transport, dans l'exploitation minière ainsi que dans divers autres secteurs de l'économie nationale et internationale.
Diverses propositions visant un réaménagement politique ont été déposées par les premières nations du Yukon, les Dénés, les Inuits et les Métis. Ces propositions sont déjà en train de modifier le paysage politique et, quoi qu'il en advienne, elles constituent le signe d'une nouvelle détermination et d'une capacité toute neuve des peuples autochtones du Nord de défendre ce qu'ils considèrent être leur droit à un avenir propre.
Le Canada et les États-Unis partagent plusieurs éléments de leur culture, mais le Canada possède une géographie nordique distincte et s'intéresse tout particulièrement à cette région. Ses réalisations dans le Nord sont extraordinaires à bien des égards : exploration terrestre et maritime de l'Arctique, cartographie du territoire, établissement de postes de traite des fourrures, découverte, par l'industrie minière, d'uranium le long des rives du Grand lac de l'Ours au cours des années 30, extraction de métaux communs dans les îles de l'Arctique au cours des années 80. Depuis plus d'un siècle, on a découvert et extrait de l'or dans la région. Récemment, la découverte de diamant a lancé une nouvelle vague d'exploration.
L'industrie canadienne du pétrole et du gaz et ses ingénieurs sont à la fine pointe de la technologie en matière d'extraction de pétrole et de gaz dans les eaux de l'Arctique. Depuis 1985, un oléoduc livre le pétrole extrait de Norman Wells aux marchés du Sud.
On tend à évaluer les progrès uniquement en fonction des avancées technologiques et industrielles. Toutefois, la façon dont le Nord se développera sur les plans politique, social et économique reflétera la conception qu'ont les Canadiens du type de société qu'ils désirent construire. Dans le Nord, cependant, les choix qui sous-tendent notre histoire nationale sont incontournables. Pour plusieurs, ces choix représentent plus qu'une région géographique, mais bien une prise de conscience.