Éditorial

Notre histoire en souvenirs

En ce mois de novembre, l’Encyclopédie Canadienne réédite Notre histoire en souvenirs, une série d’articles publiée pour la première fois en 2005 dans le cadre d’une campagne menée par l’Institut Historica-Dominion (aujourd’hui Historica Canada), CanWest News Service (aujourd’hui Postmedia News) et le ministère des Anciens Combattants.

Ces articles ont été publiés pour la première fois il y a dix ans pour célébrer le 60e anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ils présentent les souvenirs personnels ou les liens familiaux en temps de guerre de 13 Canadiens célèbres Farley Mowat, Arthur Hiller, Alex Colville, Marc Garneau, Lynn Johnston, Mike Myers, Catriona LeMay Doan, Vera Frenkel, Mary Walsh, Paul Gross, Chris Hadfield, Norman Jewison et John Ralston Sauloù chacun d’eux dévoile avec son émotivité, ses perceptions et ses évocations de la guerre, du souvenir et de la place du Canada dans le monde.

Les articles de cette exposition sont choisis et présentés par thèmes allant de l’horreur crue des batailles au sens de la vie partagé par tous – aujourd’hui perdu de vue – et à la confiance en soi qui a animé les Canadiens à la suite de la Deuxième Guerre mondiale.

Les chiens de guerre

FARLEY MOWAT est parti pour la guerre en 1942, armé de bravoure et de patriotisme. Deux ans plus tard, il était un homme changé, l’esprit totalement brisé par ce qu’il avait vu.

« La Deuxième Guerre mondiale a été le plus important événement de mon existence », a-t-il dit. « Un tournant dans ma vie, qui a clarifié des choses que je n’aurais peut-être jamais comprises. »

« J’ai vu ma propre espèce se conduire d’une façon qu’aucune autre créature vivante ne pourrait reproduire. J’ai alors considéré l’idée que nous n’étions peut-être pas la forme de vie la plus évoluée sur Terre, le travail absolu de Dieu, mais peut-être un genre de blague cosmique, plutôt diabolique. »

Farley Mowat – dont certains des ouvrages sont profondément marqués par son expérience de la guerre – a passé en 1943 plusieurs mois à combattre, en qualité d’officier, pendant la campagne d’Italie. En 1944, de tous ceux qui étaient débarqués avec lui lors de la vague d’assaut de la Sicile, il était le seul officier survivant.

Vers la fin de sa vie, les opinions de Farley Mowat sur le Souvenir ont été à la fois intransigeantes et controversées : il a évité ce qu’il appelait la glorification de la guerre célébrée le jour du Souvenir et lors de divers anniversaires militaires. Il a affirmé que les médias ont élevé la guerre au rang de l’héroïsme et du prestige.

Jeune soldat, il a exprimé ses sentiments dans une lettre envoyée d’Italie à ses parents pour leur demander de transmettre un message à Elmer, le bien-aimé cabot de la famille.

« Dites-lui de ma part que les chiens de guerre ne sont pas ce qu’ils prétendent être. »

(Farley Mowat est décédé en 2014, à l’âge de 92 ans.)

ARTHUR HILLER a aussi vécu l’horreur de la guerre, mais il a développé une approche très différente pour s’en souvenir et pour souligner le sacrifice des soldats. Avant qu’il ne devienne un réalisateur de films pour Hollywood et la télévision, Arthur Hiller a servi dans l'Aviation royale canadienne en qualité de navigateur, pour les bombardements de nuit au-dessus de l’Allemagne pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Il avait la responsabilité d’assurer la sécurité de son aéronef, surnommé Li’l Abner, et de ses six hommes d’équipage jusqu’à ce qu’ils atteignent leur cible quotidienne et souvent par des temps exécrables, sous les projecteurs ennemis, les tirs antiaériens et parmi les chasseurs allemands.

Le pire souvenir de la guerre pour Arthur Hiller ne concerne pas un événement qui s’est déroulé en Allemagne, mais bien sur la piste d’atterrissage en Angleterre.

« On nous avait enlevé notre Li’l Abner », a-t-il dit. « Nous n’étions pas très contents. Après 17 raids, cet avion était un peu notre ami. »

« Quelques jours plus tard, alors que nous regardions le Li’l Abner s’en aller alors qu’un autre équipage le pilotait, un des pneus a éclaté au décollage. L’aile a touché le sol, la moitié du chargement de bombe a explosé et tout le monde à bord a été tué, sauf le canonnier arrière. Nous avons dû nettoyer après la piste, et ramasser les restes des corps de nos amis. »

« Aujourd’hui, ce souvenir demeure tout aussi douloureux. »

Des décennies plus tard, Arthur Hiller croit que le Souvenir joue un rôle essentiel.

« Je crois que plusieurs jeunes gens ignorent ce qu’a été la Deuxième Guerre mondiale et ce qui s’y est passé. Si vous demandez aux gens ce qu’est l’Holocauste, plusieurs ne sauront pas de quoi vous parlez. C’est arrivé il y a trop longtemps. »

« C’est pourquoi les cérémonies du Souvenir et les autres événements de ce type sont si importants. Ils nous permettent de rappeler ce qui s’est passé et de rester conscients afin d’éviter que des choses semblables se reproduisent à l’avenir. »

Reconnaissance de la paix

Lieutenant Alex Colville, artiste de guerre

La carrière de peintre d’ALEX COLVILLE a débuté en 1944, en tant qu’artiste de guerre dans la boue et la peur de la guerre en Europe.

Parmi les horreurs dont il a été témoin, aucune n’a été aussi grave que le camp nazi de Bergen-Belsen, où Alex Colville est arrivé quelques jours après la libération. Il se souvient des immenses champs transformés en cimetière à ciel ouvert « contenant six ou sept mille personnes ».

Il croit que la guerre l’a profondément sensibilisé au temps, au temps qui passe dans la vie des gens.

« L’expérience de la guerre, toutes ces personnes qui meurent, ça change bien des choses », a-t-il dit. « Comme plusieurs autres personnes de ma génération, je crois posséder un sens aigu de ce que c’est qu’être en vie. »

« Et pour ceux d’entre nous qui ont pris part à la Deuxième Guerre mondiale, les petites choses bourgeoises de la vie, par exemple avoir un emploi, une maison, une voiture, des enfants, un chien sont dorénavant très précieuses. »

« Ma femme et moi assistons presque toujours aux cérémonies du Souvenir du 11 novembre. Nous nous souvenons de gens ordinaires. Qu’ils aient travaillé à l’épicerie ou n’importe où ailleurs, ils n’étaient que des hommes ordinaires ayant fait leurs études secondaires et s’étant engagé dans l’armée. Ces hommes ordinaires ont accompli des choses extraordinaires et méritent toute mon admiration. »

MARC GARNEAU ne sait pas grand-chose de la guerre. Il croit toutefois que les Canadiens qui se sont battus et ont vécu la Première Guerre mondiale et la Deuxième Guerre mondiale ont appris des leçons sur la fragilité de la paix et la chance des sociétés libres qui ne sont pas menacées et ne vivent pas dans la peur et la violence – des leçons qui sont, pour beaucoup de gens, difficiles à comprendre aujourd’hui.

Des décennies de bonne fortune, affirme l’ancien officier de marine et astronaute, ont fait oublier ces événements et ont transformé l’expérience de guerre passée et les responsabilités militaires actuelles du pays en simples « abstractions » pour beaucoup de Canadiens.

Le grand-père de Marc Garneau, le colonel Gérard Garneau, a été blessé à deux reprises au cours de la Première Guerre mondiale à Passchendaele et Lens. Son père, le brigadier-général André Garneau, était un soldat d’infanterie de carrière qui s’est battu durant la Deuxième Guerre mondiale en France, en Belgique, en Hollande et en Allemagne.

« Je crois que nous témoignons du respect et de l’attention à nos anciens combattants lors des événements du jour du Souvenir. Par contre, si vous parlez des 60 000 Canadiens morts au combat tant lors de la Première Guerre mondiale que lors de la Deuxième Guerre mondiale, vous constaterez que cette réalité est, pour la plupart des gens, très abstraite », a dit Marc Garneau. « La population ne réalise pas les efforts et les sacrifices qu’ont impliqués ces événements. »

Liens familiaux

Lynn Johnston

LYNN JOHNSTON, auteur de la bande dessinée For Better or For Worse, a grandi à Vancouver, au milieu d’histoires de la Deuxième Guerre mondiale. Ses parents, Mervyn et Ursula Ridgeway, se sont rencontrés alors qu’ils servaient tous les deux en tant que membres au sol d’une escadrille de bombardement de l’Aviation royale du Canada en Grande-Bretagne.

« Mes parents m’ont parlé de la guerre sans arrêt », a-t-elle dit. « Surtout mon père, puisqu’il considérait cette période comme la plus excitante de sa vie. Une période au cours de laquelle ce qu’il avait fait avait vraiment eu un sens pour le monde, où il avait pris part à quelque chose de vraiment important. »

Horloger de Collingwood, en Ontario, Mervyn s’est engagé dans l’Armée de l’air à 18 ans et a servi à titre de mécanicien d’aéronef à la base de Linton, en Angleterre. Ursula a quitté West Vancouver à l’âge de 19 ans pour aller travailler à Linton en tant que commis à l’approvisionnement chargée de commander les écrous, boulons et autres pièces des avions.

Les parents de Lynn Johnston n’ont jamais connu la peur des combats ou l’horreur des batailles, mais ils ont vécu avec l’angoisse de voir mourir leurs amis et de ne pas savoir, chaque fois qu’un avion quittait le sol, s’ils allaient revoir son équipage.

Elle dit que ses parents ont toujours conservé un profond respect pour les anciens combattants et les sacrifices qu’ils ont faits, et ce, longtemps après leur retour au Canada.

« Mon père s’est rendu à toutes les parades du jour du Souvenir », a-t-elle dit. « Je crois qu’il n’a jamais oublié les bons amis qu’il a perdus en temps de guerre. Je me souviens m’être rendue avec lui, étant enfant, au Monument commémoratif de guerre du Canada de North Vancouver. Il se tenait debout devant le Monument, les larmes aux yeux. »

MIKE MYERS, aussi connu sous le nom d’Austin Powers et dont la voix est celle de Shrek, est aussi un esprit créatif réfléchi; depuis bien des années, il caresse le rêve de tourner un film sérieux sur la Deuxième Guerre mondiale.

« Je me suis attaqué à un scénario traitant de la bataille d’Angleterre », a déclaré Mike Myers au cours d’une entrevue à New York en 2005. « Je n’aime pas la guerre. Qui l’aime d’ailleurs? Mais le genre des films de guerre me fascine. »

Sa passion pour le sujet est née, comme pour la comédie, en compagnie de ses parents Éric et Alice, avec qui il a grandi à Scarborough, une banlieue de la classe moyenne de Toronto.

Le couple a émigré d’Angleterre en 1955 et élevé leurs enfants au Canada dans une atmosphère toute britannique reposant sur la loyauté et la fierté. L’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, plus particulièrement le sacrifice anglais, constituait, raconte Mike Myers, « le sujet de prédilection des conversations lors des repas de famille ».

Éric a quitté la ville de Liverpool pour s’engager dans les rangs de l’armée britannique à l’âge de 16 ans. Il a servi comme simple soldat « sapeur » dans le corps des ingénieurs militaires, creusant des tranchées, construisant des ponts et dégageant des champs de mines sur le front au Nord-Ouest de l’Europe.

Alice s’est enrôlée dans la Royal Air Force pendant la guerre et elle a travaillé dans les stations radars du sud de l’Angleterre.

« Ma mère et mon père avaient un immense respect pour la noble mission qu’est la lutte contre les méchants », dit-il. « Ils l’appelaient ‟la lutte contre le fascisme”. C’était important pour eux, ils y croyaient vraiment. »

« Cette façon de dire non aux brutes m’inspire un immense respect. J’ai une immense gratitude envers la génération de la Deuxième Guerre mondiale et j’aimerais avoir la certitude que son sacrifice ne tombera jamais dans l’oubli. »

CATRIONA LE MAY DOAN a toujours cru être, dans sa famille, le membre qui rapporte les médailles. Après tout, elle a gagné deux médailles olympiques en plus d’un grand nombre d’autres médailles à titre de championne du monde en patinage de vitesse. C’est en 2003 seulement qu’on lui a parlé de la participation de son grand-oncle Walter Le May à la guerre et de la médaille qui lui a été décernée en 1944.

Aviateur écossais de la Royal Air Force pendant la Deuxième Guerre mondiale, Walter a reçu la prestigieuse Croix du service distingué dans l’Aviation pour avoir découvert, avec son équipage, plusieurs positions de défense des Allemands pendant un vol risqué accompli dans le cadre de missions de reconnaissance à basse altitude au-dessus de la Normandie avant l’invasion du jour J.

Catriona Le May Doan n’avait aucune idée des liens militaires de ses ancêtres avant qu’elle ne rende visite à sa famille en Écosse en 2003 et que son oncle lui montre sa médaille.

La Croix du service distingué dans l’Aviation, une petite croix d’argent ornée, décernée pour des « actes de bravoure, de courage ou de dévouement lors d’opérations de vol contre l’ennemi » a fait naître chez Catriona Le May Doan un nouvel intérêt pour le long héritage de service militaire de sa famille.

Son grand-père, le frère de Walter, a servi dans les rangs de la Home Guard écossaise au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

Un autre frère de Walter a lui aussi volé pour la Royal Air Force; ils font d’ailleurs tous deux partie des 131 000 aviateurs qui ont été formés pour la guerre à Moose Jaw, en Saskatchewan, dans le cadre du Programme d’entraînement aérien du Commonwealth.

La mère de Catriona Le May Doan a elle aussi connu la guerre. Elle a grandi à Glasgow, en Écosse, pendant le « Blitz » (la campagne de bombardements stratégiques menée par l’aviation allemande contre le Royaume-Uni).

« J’ai découvert beaucoup de choses fascinantes à propos de l’histoire de ma famille », a-t-elle dit. « Pour moi qui vis au Canada, dans ce cocon où nous jouissons d’une grande liberté et ne manquons de rien, il est difficile d’imaginer que la guerre a été bien réelle pour ma famille. »

Le pouvoir du souvenir

VERA FRENKEL pense qu’une armée d’archivistes, armés de rien de plus que de microphones et d’enregistreurs, devrait être envoyés dans les filiales de la Légion et les salles de séjour des Canadiens pour capturer les voix et les souvenirs des anciens combattants du pays qui ont survécu.

« J’ai beaucoup de respect pour l’histoire orale », a dit la célèbre artiste de Toronto. « Il devrait y avoir un programme d’enregistrement [des histoires d’anciens combattants] à Ottawa et dans toutes les autres villes du pays afin que nous puissions entendre leurs voix et leurs récits… Si une génération se tait, celle qui la suit ne peut l’entendre. »

Vera Frenkel n’était qu’un bébé en 1939 lorsque ses parents juifs ont fui les nazis en Tchécoslovaquie au début de la Deuxième Guerre mondiale. La plupart de ses tantes et oncles ainsi que sa famille élargie ont décidé de rester et sont tous morts dans des camps de concentration. Au cours de son enfance en Angleterre, puis à Montréal, elle dit que ses parents parlaient rarement de l’Holocauste.

« Toute cette génération a eu du mal à parler de ses pertes et de ses expériences, en partie parce que les souvenirs étaient trop douloureux et aussi pour éviter de nous traumatiser », a-t-elle dit. Cependant, ce silence, a dit Vera Frenkel, « nous afflige encore ».

Elle affirme que les anciens combattants vieillissants du Canada devraient partager, non seulement avec leurs familles, mais aussi avec tous les Canadiens, leurs souvenirs du temps de la guerre afin que ceux-ci aient un sens réel après leur disparition.

« Il est difficile de se commémorer la guerre », a-t-elle dit. « C’est un sujet des plus délicats, peu importe l’angle sous lequel on l’observe, mais j’aimerais entendre la voix de ceux qui savent. Des souvenirs transmis de façon significative nous permettraient de mieux connaître une génération entière qui a marqué notre histoire. »

(Voir Le Projet mémoire.)

Monument de Beaumont-Hamel

Dans le coin de pays de MARY WALSH, le mois de novembre ne joue qu’un rôle de soutien dans le rituel annuel du souvenir du temps de la guerre. À Terre-Neuve-et-Labrador, les vraies commémorations, avec les hommages et la tristesse qu’elles engendrent, ont lieu le 1er juillet, alors que le reste du Canada fête devant des feux d’artifice.

« Le 1er juillet est un congé très bizarre pour nous », dit Mary Walsh, actrice et comédienne native de St. John’s. « Pour le reste du pays, c’est la fête du Canada, mais pour nous, c’est la commémoration de la bataille de Beaumont-Hamel, une très sombre occasion. »

Le 1er juillet 1916, au premier jour de la grande bataille de la Somme, le Royal Newfoundland Regiment a été anéanti. Des 780 hommes ayant pris part à l’assaut, 684 en sont devenus les victimes inéluctables, y compris l’oncle de Mary Walsh.

« J’imagine que tout le monde connaît quelqu’un qui s’y est battu et y a perdu la vie », a-t-elle dit. « L’histoire de Beaumont-Hamel est à Terre-Neuve ce que Gallipoli est aux Australiens. »

Selon les dires de Mary Walsh, l’effet de cette bataille sur Terre-Neuve a été si violent que bien des familles conservaient encore jusqu’à récemment des sanctuaires en hommage à des grands-pères ou des grands-oncles ayant bravé les balles à Beaumont-Hamel.

« Je me souviens avoir parcouru Terre-Neuve avec une troupe de théâtre dans les années 1970 », a-t-elle dit, « et à certains endroits sur la péninsule Northern, des familles déposaient les uniformes, médailles et bandes molletières de leurs grands-pères sur un genre d’autel dans leurs maisons, comme s’il s’agissait d’œuvres d’art ».

« Il ne faut pas oublier ce qu’on a fait. La guerre existera toujours, je crois, et nous espérons que le fait de raconter les histoires des guerres passées, de parler des horreurs qui s’y sont déroulées nous permettra d’éviter de revivre de tels moments. »

PAUL GROSS n’avait que 15 ans lorsque son grand-père, lors d’une journée de pêche, lui a fait découvrir l’époque de la Première Guerre mondiale et a éveillé en lui la flamme de ce qui allait devenir une obsession. Le soldat Michael Dunn, grand-père maternel de Paul Gross, s’est battu pour le Canada en France et en Belgique. Mais ce n’est que plusieurs décennies plus tard, sur un lac de l’Alberta, que Michael Dunn a partagé les souvenirs qui le hantaient avec son petit-fils.

« J’avais toujours eu des questions… ‟As-tu tué des Allemands? As-tu frappé des gens à coups de baïonnette?”… Il les évitait toujours. Ce jour-là, par contre, il a parlé. Il m’a raconté un événement survenu au cours d’une patrouille avec un petit groupe d’hommes dans un village. Sa troupe est tombée sur un nid de mitrailleuses allemandes et une bataille horrible a éclaté. Ça a duré des heures, jusqu’à ce qu’à peu près tout le monde soit tué ».

« Je n’oublierai jamais ce moment où les portes du monde adulte se sont ouvertes devant moi. J’ai soudainement réalisé les conséquences mortelles de tels événements, et je crois que c’est ce qui m’a poussé à faire quelque chose qui traiterait de la guerre. »

L’acteur et talentueux créateur de deux films de guerre canadiens, La bataille de Passchendaele (2008) et, plus récemment, Hyena Road : le chemin du combat (2015), affirme que sa fascination pour le sujet est née d’un intérêt authentique pour l’histoire et le travail de mémoire et non d’une romance chauvine. Qu’on le veuille ou non, dit Paul Gross, la guerre est au cœur de l’histoire de l’humanité et toute société qui refuse de comprendre son passé militaire le fait à ses risques et périls.

« Il existe des moyens de célébrer, d’honorer et d’être fiers de notre service militaire sans en venir au panthéon des dieux grecs. Nous devrions honorer et respecter ce que ces hommes ont fait pour nous. Nous ne nous rendrions pas service en l’ignorant. »

Merci à eux tous

Hadfield, Chris

Bien avant qu’il ne se rende dans l’espace à bord d’une fusée de la NASA, CHRIS HADFIELD a participé à des missions risquées à bord de chasseurs pour le compte du Canada, alors qu’il était, presque incognito, en première ligne pendant la guerre froide. Il a été envoyé en 1985 à la Base des Forces canadiennes Bagotville, au Québec, où son escadron de CF-18 devait, dans le cadre des tâches qui lui avaient été attribuées par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (Norad), garder l’espace aérien canadien.

Au cours de sa première nuit de garde à Bagotville, Chris Hadfield et ses collègues pilotes ont été appelés à intercepter un groupe de bombardiers « Bear » soviétiques qui volaient vers le sud et tentaient de traverser le Canada, juste au-dessus de la côte du Labrador.

« À l’époque, les Soviétiques participaient à des vols de longue portée dans l’espace aérien canadien pour diverses raisons. Il leur arrivait de prendre des raccourcis par le Canada en se rendant à Cuba. À d’autres moments, ils venaient s’exercer au lancement de missiles de croisière en Amérique du Nord », a dit Chris Hadfield.

« Nous devions absolument les rejoindre avant qu’ils n’atteignent la ligne à partir de laquelle ils pourraient lâcher leurs missiles. Nous avons dû alors parcourir le ciel, au milieu de la nuit, à bord de nos CF-18 armés, pour les intercepter et voir ce qu’ils venaient faire.

Chris Hadfield se souvient de manière saisissante de cette première nuit de garde où il a aperçu les énormes bombardiers volant au-dessus de la mer, leurs moteurs bourdonnant alors qu’ils traversaient l’obscurité. En allumant les projecteurs de son chasseur, il avait éclairé les avions soviétiques et les avait suivis jusqu’à ce qu’ils quittent l’espace aérien canadien au petit matin.

Il s’agissait de la première interception d’un bombardier « Bear » soviétique par un nouveau chasseur CF-18 du Canada, exploit répété sept fois par la suite par Chris Hadfield pour son pays.

Aujourd’hui, affirme-t-il, le travail des soldats, marins et aviateurs, qui exécutent des tâches difficiles et dangereuses dans leur pays et à l’étranger, demeure en grande partie non rapporté et non reconnu.

Le jour du Souvenir devrait selon lui être un moment où l’on honore non seulement les risques courus et les sacrifices faits par les militaires d’hier, mais également par les soldats d’aujourd’hui.

« Je me sens redevable envers ceux qui servent dans les Forces canadiennes partout dans le monde », a-t-il dit, « et je crois qu’on ne les remercie pas suffisamment. Ils se retrouvent dans des positions horrifiantes à s’acquitter de responsabilités qui surpassent de loin celles auxquelles nous faisons face dans notre vie de tous les jours. Nous devrions tous prendre quelques instants pour penser à eux ».

Abnégation de soi, confiance en soi

Même si NORMAN JEWISON a établi sa carrière au milieu des vedettes et de l’abondance d’Hollywood, le réalisateur le plus célèbre au Canada a grandi dans un monde bien différent : celui du rationnement des vivres, du sacrifice et de l’austérité.

Lorsque Norman Jewison atteignit l’âge de 13 ans, la Deuxième Guerre mondiale faisait déjà rage et tous les habitants du Canada mettaient de côté leurs rêves et prenaient part au service collectif. L’effort de guerre était alors la seule chose qui comptait.

« La production globale du pays, qu’il s’agisse de nourriture, d’équipements ou de vêtements, était centrée sur la guerre », dit-il. « Tout le monde s’impliquait et s’engageait à gagner cette guerre et à soutenir les troupes. Je n’ai jamais vu une société aussi concentrée. »

À 17 ans, Norman Jewison s’est engagé dans la Marine royale canadienne. La guerre en était à ses derniers mois lorsqu’il parcourut la mer à titre de signaleur à bord d’une corvette canadienne escortant les bateaux marchands sur la côte est, du Maine jusqu’à Terre-Neuve où les cargos et les navires transportant le pétrole formaient des convois pour rejoindre l’Angleterre.

« J’étais déçu ne pas avoir eu l’occasion de traverser l’Atlantique et d’abattre quelques U-boots », a-t-il dit. « C’était vraiment ce que je voulais faire. »

Aujourd’hui, le Canada a, selon lui, perdu cette unanimité et cette confiance collective qui avaient su rassembler la population du pays pendant la guerre et l’alimenter par la suite.

« Le Canada a atteint un certain degré de maturation et s’est découvert lors de la Deuxième Guerre mondiale. Je ne sais pas si le sacrifice d’autant de jeunes hommes constitue une bonne façon de se découvrir, mais je crois que nous nous sommes tenus debout pour nos croyances. »

« Le Canada avait un sens de la passion et un sens de la vie partagé par tous que je n’ai jamais revu depuis », a-t-il affirmé. « J’observe les gens et je sens qu’ils ne savent plus qui ils sont. »

« Mais, regardez ce que nous avons accompli dans l’histoire, malgré notre petit nombre, et ce que nous avons accompli en temps de guerre. »

« Je crois que c’est encore ce dont nous avons besoin aujourd’hui… avoir confiance en nous. »

JOHN RALSTON SAUL a déjà écrit que « les souvenirs de la guerre sont une chose très délicate ».

Mieux connu en tant qu’essayiste politique, il est aussi le fils d’un soldat du jour J, le petit-fils d’un héros de la guerre décoré pour ses exploits lors de la campagne d’Italie et un ami proche d’innombrables anciens combattants canadiens. Il a grandi dans une famille de militaires, entouré d’hommes tels que son père, qui s’est battu et a remporté la Deuxième Guerre mondiale.

John Ralston Saul a acquis de nombreuses valeurs des gens qui l’ont entouré, mais ne les a jamais entendus parler des batailles. Il en a cependant appris suffisamment pour apprécier les efforts de ses parents et amis qui ont été immergés dans un événement momentané de grand sacrifice national.

Le capitaine William Saul s’est battu brièvement en Afrique du Nord, puis est débarqué, le jour J, à titre de commandant adjoint d’une compagnie des Royal Winnipeg Rifles.

Avant de quitter l’Angleterre, le capitaine Saul a rencontré et épousé Beryl Ralston, fille d’une famille aux profondes racines militaires britanniques. Berryl Ralston a servi au temps de la guerre dans un régiment de femmes qui conduisaient des camionnettes de l’armée et apprenaient aux soldats comment le faire. Elle est ensuite partie pour le Canada avec William Saul.

La génération qui a déployé des efforts pour vaincre les nazis était l’une des générations les plus sûres de soi de la planète, sûre de son identité, en grande partie grâce à sa grande éthique du bien commun qui lui a permis de se battre pour la victoire en Europe.

« La génération de mon père a fait partie de cette grande armée, l’une des plus modernes de l’histoire. Ses compatriotes et lui étaient très confiants. Ils ont débarqué le jour J, ont libéré les pays, ont stupéfié les gens, et tout cela ils l’ont fait ensemble. Alors, lorsqu’ils entendent des gens qui cherchent la place du Canada dans le monde, ils les regardent et disent : ‟De quoi parlez-vous? Ne savez-vous pas qui nous sommes et ce que nous avons fait?” »