Intercepter les Soviétiques
Bien avant qu’il ne se rende dans l’espace à bord d’une fusée lors d’aventures très médiatisées avec la NASA, le colonel Chris Hadfield a participé à des missions risquées à bord de chasseurs pour le compte du Canada, alors qu’il était, presque incognito, en première ligne pendant la guerre froide. En 1985, aviateur de 25 ans tout juste sorti de l’école, Hadfield a été envoyé à la Base des Forces canadiennes Bagotville, au Québec, où son escadron de CF-18 devait, dans le cadre des tâches qui lui avaient été attribuées par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (Norad), garder l’espace aérien canadien.
Au cours de sa première nuit de garde à Bagotville, Hadfield et ses collègues pilotes ont été appelés à intercepter un groupe de bombardiers « Bear » soviétiques qui tentaient de traverser le Canada au sud, juste au-dessus de la côte du Labrador.
« À l’époque, les Soviétiques participaient à des vols de longue portée dans l’espace aérien canadien pour deux raisons. Il leur arrivait de prendre des raccourcis par le Canada en se rendant à Cuba. À d’autres moments, ils venaient s’exercer au lancement de missiles de croisière en Amérique du Nord », a dit Hadfield.
« Nous devions absolument les rejoindre avant qu’ils n’atteignent la distance à partir de laquelle ils pourraient lâcher leurs missiles. Alors nous avons dû parcourir le ciel, au milieu de la nuit, à bord de nos CF-18 armés, pour les intercepter et voir ce qu’ils venaient faire. »
Hadfield se souvient de manière saisissante de cette première nuit de garde où il a aperçu les énormes bombardiers volant au-dessus de la mer, leurs moteurs bourdonnant alors qu’ils traversaient l’obscurité. En allumant les projecteurs de son chasseur, il avait éclairé les avions soviétiques et les avait suivis jusqu’à ce qu’ils quittent l’espace aérien canadien au petit matin.
Il s’agissait de la première interception d’un bombardier « Bear » soviétique par un nouveau chasseur CF-18 du Canada, exploit répété sept fois par la suite par Hadfield pour son pays.
« Ce qui m’avait surpris, c’était que nous ne devions parler des interceptions à personne », a-t-il dit. « Ces opérations devaient demeurer secrètes, mais je ne voyais pas à qui nous devions cacher les événements. »
« Les Soviétiques savaient que nous les avions interceptés et il me semblait évident que les gens savaient ce que faisaient les CF-18. Nous défendions activement notre espace aérien contre des avions armés envahisseurs. Mais ce n’est que plusieurs années après que ces incidents ont été connus du public. »
Dette de gratitude
Aujourd’hui, affirme Hadfield, les Canadiens ne comprennent pas, n’expliquent pas et ne reconnaissent pas très bien le rôle de leurs forces armées. Le travail des soldats, marins et aviateurs, qui exécutent des tâches difficiles et dangereuses dans leur pays et à l’étranger, demeure en grande partie non rapporté et non reconnu.
Le jour du Souvenir devrait selon lui être un moment où l’on honore non seulement les risques courus et les sacrifices faits par les militaires d’hier, mais également par les soldats d’aujourd’hui.
« Je me sens redevable envers ceux qui servent dans les Forces canadiennes partout dans le monde », a-t-il dit, « et je crois qu’on ne les remercie pas suffisamment. Ils se retrouvent dans des positions horrifiantes à s’acquitter de responsabilités qui surpassent de loin celles auxquelles nous faisons face dans notre vie de tous les jours. Nous devrions tous prendre quelques instants pour penser à eux. »
Ce n’est pas que les anciens combattants des guerres précédentes ne méritent pas eux aussi notre attention et notre mémoire. L’arrière-grand-père de Hadfield s’est battu avec le Corps expéditionnaire canadien pendant la Première Guerre mondiale, tout comme son arrière-grand-oncle, mort au cours des batailles livrées à Ypres.
Lors de la cérémonie de remise des diplômes au Collège militaire royal du Canada à Kingston, en Ontario, en 1982, Hadfield a paradé fièrement, l’épée de son arrière-grand-père à son côté.
« Cette histoire a toujours eu un sens profond au sein de ma famille », a-t-il dit. « Mon éducation a été teintée d’un grand respect et d’un sentiment de dette envers ceux qui se sont battus en notre nom. Pour moi, cette portion de la société a toujours été très importante et synonyme de grand patriotisme. »
Honorer les guerriers en temps de paix
Hadfield dit que les militaires d’aujourd’hui, dont plusieurs exécutent leurs tâches dans des environnements risqués et avec peu d’outils ou de ressources et dans l’improvisation la plus complète, méritent eux aussi notre reconnaissance et notre respect.
« Les militaires sont surchargés », a-t-il dit. « Les Canadiens s’attendent à beaucoup de compétence de leur part, mais ne sont pas prêts à leur donner ce dont ils ont besoin. La réussite dépend donc de l’effort individuel et de la créativité au sein des forces armées. C’est un travail très exigeant. »
« Je suis extrêmement fier de notre armée et de ce qu’elle fait pour le Canada. Nous avons encore une dette envers ceux qui font tant pour si peu. »