Orchestres de danse
Orchestres de danse. Groupes de musiciens qui jouent pour accompagner les danses sociales et, plus spécifiquement, les orchestres nord-américains qui connurent une grande popularité entre les années 1900 et 1950 grâce à des émissions radiophoniques, à des enregistrements et à des exécutions publiques. Malgré ou peut-être à cause de la Dépression, leur popularité atteignit un sommet pendant les années 1930. Les foules envahissaient alors les salles de danse ou bien écoutaient avidement à la maison, jusque tard dans la nuit, les émissions de ces orchestres à la radio. Ces émissions radiophoniques offraient un divertissement gratuit et procuraient une évasion fort recherchée en ces temps difficiles. Les orchestres les mieux connus étaient américains, mais leur popularité était non moins grande au Canada. Une seule formation canadienne connut un succès international, Guy Lombardo and His Royal Canadians, qui s'installa aux États-Unis en 1924. Ce fut en vérité un des orchestres de danse les plus populaires de cette période.
Au Canada, les dimensions relativement modestes des villes et des villages, les distances qui les séparaient et la rigueur du climat rendaient impossibles les tournées qui assuraient le maintien de beaucoup d'orchestres aux États-Unis. Le seul moyen dont disposait un orchestre canadien pour se faire connaître sur une grande échelle était la radio nationale, tels les réseaux du CN et du CP (qui transmettaient la musique jouée par les orchestres dans les salles de bal de leurs hôtels) et la CCR et son successeur, la SRC. L'orchestre Mart Kenney and His Western Gentlemen qui réussit à combiner les émissions de radio et les tournées devint en conséquence le seul ensemble jouissant d'une réputation nationale; il est possible que d'autres orchestres (tels ceux de Trump Davidson, Bert Niosi et Dal Richards) se soient fait connaître dans tout le pays grâce à des émissions radiophoniques, mais rares furent ceux qui se produisirent à l'extérieur de leur province d'origine.
Les orchestres comptèrent parfois jusqu'à 20 musiciens, avec des sections de trompettes, trombones et saxophones, un piano ou une guitare, une contrebasse et la batterie. La plupart des orchestres avaient aussi des chanteurs attitrés. Cependant, au Canada comme aux États-Unis, les premiers orchestres de danse furent de dimensions réduites : de cinq à dix instruments, dont l'inévitable cornet (ou trompette), un saxophone, un violon, un piano, un tuba (ou, plus tard, une contrebasse) et la batterie. Parmi ces premiers orchestres, citons l'ensemble de 10 musiciens de Charles Bodley (1885-1953), formé à Toronto en 1908. À Toronto, d'autres ensembles, antérieurs aux années 1940, ont été dirigés par Gordon Day, Jack Evans, Fred Fralick, Charles Musgrave, les frères Romanelli, Stanley Saint John et Gilbert Watson; à Ottawa, par Orville Johnston; à Montréal, par Earl Melloway, Billy Munro, George Sims, Andy et Johnny Tipaldi (des Melody Kings; Johnny, violon, et Andy, banjo, qui fut par la suite prés. de la Guilde des musiciens de Montréal, section 406 de l'AF of M, 1942-69); et à Vancouver par Lafe Cassidy, Len Chamberlain, Les Crane, Harry Pryce et d'autres. Les orchestres de danse de cette époque enregistrèrent sur étiquettes Apex, Brunswick, Compo, Domino, HMV, Starr et Victor. Pendant cette période, quelques orchestres de danse de Noirs furent également actifs, dont Millard Thomas et son Famous Chicago Novelty Orchestra (un groupe amér.) à Montréal (v. 1919-v. 1928), Randolph Winfield dans les Maritimes (années 1920), et Mynie (Myron) Sutton et ses Canadian Ambassadors ainsi que les Harlem Dukes of Rhythm en Ontario et au Québec (années 1930).
Les premiers orchestres étaient souvent employés par des hôtels, et beaucoup d'entre eux adoptèrent le nom de leur employeur, par exemple, à Montréal, le Windsor Hotel Orchestra (Harold Leonard and His Red Jackets) et Andy Tipaldi et son Ritz-Carlton Orchestra. Les plus grands hôtels canadiens engagèrent successivement plusieurs orchestres qui firent aussi fonction de « showbands » pour accompagner des solistes pendant les années 1950 et 1960. Les orchestres du Royal York Hotel (Toronto) furent dirigés notamment par Charles Bodley, Fred Culley, Rex Battle, Don Romanelli, Billy Bissett, Horace Lapp, Stanley Saint John, Moxie Whitney et Howard Cable; ceux du King Edward Hotel (Toronto), par Luigi Romanelli, Norman Harris et Leo Romanelli; ceux de l'hôtel Mont-Royal (Montréal), par Joseph C. Smith, Jack Denny, Charlie Dornberger, Lloyd Huntley, Don Turner et Peter Barry (tous nés aux États-Unis, sauf Barry [né Samuel Herbert Greisman, 10 déc 1915 - Montreal 17 juill 2008, à Toronto] et Battle, né en Angleterre) et Max Chamitov; ceux des deux hôtels Vancouver successifs, par Lafe Cassidy, Len Chamberlain, Mart Kenney, Stan Patton et Dal Richards (ce dernier, 1940-65); celui du Château Laurier (Ottawa), par James McIntyre, Joe DeCourcy, Ozzie Williams, Len Hopkins et Moxie Whitney. Plusieurs musiciens furent à l'emploi d'hôtels pendant de longues périodes, ainsi Gilbert Darisse au Château Frontenac (Québec), Jimmy Sadler au Nova Scotian Hotel (Halifax) et Billy Tickle à l'Empress Hotel (Victoria, C.-B.).
Les salles de danse, construites ou converties à cet effet, furent elles aussi l'objet de la faveur populaire notamment, à Toronto, le Palais Royale [sic] (fief de l'orchestre de Bert Niosi, 1932-50) et le Palace Pier (où joua l'orchestre de Trump Davidson, 1944-61); à Burlington, Ont., le Brant Inn; à Montréal, le Victoria Hall (où joua l'orchestre de Johnny Holmes, 1945-51); à Winnipeg, la Roseland Ballroom; à Regina, la Trianon Ballroom; à Vancouver, les salles de bal Alexandra et White Rose. Des endroits de villégiature et des parcs d'amusement étaient aussi dotés de pavillons de danse pendant la saison estivale. Des orchestres américains et canadiens jouèrent au Dunn's Pavilion à Bala (dans la région touristique des lacs Muskoka en Ontario), tandis que d'autres localités étaient le domaine des orchestres canadiens seulement - par exemple, le Royal Muskoka Hotel et le Bigwin Inn à Muskoka; Sylvan Lake, au sud d'Edmonton (où Paul Perry dirigea un orchestre de 1947 à 1965 dans l'une des trois salles de l'endroit); le parc Belmont à Montréal; le Manoir Richelieu à Murray Bay, Québec (où se produisirent les orchestres Romanelli pendant de nombreuses années). Pendant l'été, des ensembles jouaient aussi à Clear Lake, Man., à Crystal Beach, Ont., et à des hôtels dans les parcs nationaux de Banff et du secteur des lacs Waterton. Les bateaux de croisière engageaient souvent des orchestres de danse pour divertir leurs passagers. Dès 1918, Don Romanelli dirigea des ensembles sur le Cayuga et le Chippawa qui sillonnaient le lac Ontario; Art Brown (années 1920) et Eddie Sanborn (années 1930) agrémentèrent les croisières de la Canadian Steamship Lines sur le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lacs; enfin, des bateaux de la Union Steamship Lines embauchèrent des orchestres de danse pour leurs excursions nocturnes partant de Vancouver, tandis que ceux du CP et du CN avaient à bord des orchestres lors de croisières plus longues le long de la côte du Pacifique.
Avec la diversification des lieux et à la faveur d'une concurrence mutuelle, les orchestres de danse adoptèrent des traits distinctifs. Ainsi, parmi les ensembles américains qui donnaient le ton au Canada, on trouvait les orchestres « sweet » et les orchestres « swing ». Des exemples du premier style au Canada, également connus sous le nom de « society bands », qui jouaient en diverses occasions ou dans des clubs, incluaient les ensembles de Stanley Saint John et de Frank Bogart à Toronto; d'Eddie Alexander et de Pete Nassif à Montréal; et de Dal Richards et de Claude Logan à Vancouver. Parmi les exemples du second style - qui employaient un effectif important de musiciens de jazz - figuraient les orchestres de Benny Louis, Cy McLean, Bert Niosi et Pat Riccio à Toronto; de Johnny Holmes et Stan Wood à Montréal; de Jerry Gage à Winnipeg, de Paul Perry à Sylvan Lake; et de Trevor Page et Sandy DeSantis à Vancouver. Beaucoup d'orchestres passaient d'un style à l'autre, selon les circonstances. D'autres se distinguaient par leur répertoire (par exemple, la musique latino-amér. de Chicho Valle e los Cubanos ou la musique pour le patinage jouée et enregistrée par Max Boag à Newmarket, Ont.) ou par leur instrumentation (par exemple, l'ensemble d'anches et de percussion de Stan Patton). Certains orchestres jouissaient d'une popularité locale, comme ceux de Roy Brown et Paul Grosney au Manitoba (celui de Grosney participa à l'émission de la SRC « Rancho Don Carlos », 1948-59), de Walter Budd, Walter Dahlke, Ken Peaker et Leo Smuntan en Saskatchewan, des Wright Brothers (voir Don Wright) et Ellis McLintock en Ontario, de Bruce Holder au Nouveau-Brunswick, et de Peter Power et Don Warner en Nouvelle-Écosse.
Même si certains de ces orchestres étaient encore actifs pendant les années 1950 et 1960, l'interdiction d'enregistrer imposée de 1942 à 1944 par l'AF of M avait marqué la fin de « l'époque des orchestres de danse » comme telle. Les instrumentistes nord-amér., sous la conduite de James C. Petrillo, refusaient alors d'enregistrer à moins qu'une forme de rémunération pour chaque audition publique subséquente de leurs disques ne soit adoptée et appliquée. À défaut d'instrumentistes, les maisons d'enregistrement jetèrent leur dévolu sur les chanteurs et les groupes vocaux, dont plusieurs avaient débuté dans le métier avec des orchestres de danse. Lorsque l'interdit fut levé, la popularité de ces derniers avait éclipsé celle de leurs anciens employeurs. De plus, les chanteurs étaient mieux appropriés à la télévision, introduite aux É.-U. à la fin des années 1940. Ces facteurs ainsi que les coûts élevés des tournées et l'essor du rock 'n' roll au début des années 1950 réduisirent le nombre d'orchestres. Pendant les années 1970, seulement une douzaine d'orchestres de danse amér. (notamment les ensembles de Tommy Dorsey, Guy Lombardo et Glenn Miller dirigés par des « chefs fantômes ») et quelques big bands de jazz (dont ceux de Count Basie, Duke Ellington, Woody Herman et Buddy Rich) faisaient encore des tournées en Amérique du Nord. Aucun ensemble canadien n'a poursuivi une carrière de cette importance.
Néanmoins, le cri de ralliement « les big bands sont de retour » fut souvent entendu dans les années 1970 et 1980, accompagné d'une série d'« engouements nostalgiques ». Au début des années 1980, un regain d'intérêt se fit sentir au Canada par suite de la popularité de nouveaux enregistrements de Peter Appleyard et sa All Star Swing Band (Swing Fever), de Dal Richards (Swing Is In... Let's Dance) et de la Spitfire Band (formée en 1981). En même temps, le discographe Ross Brethour sortait sur étiquette Nomadic (établie en 1979 à Aurora, Ont.) des justificatifs d'antenne de plusieurs orchestres canadiens de l'époque; en 1991, il avait mis neuf enregistrements DP sur le marché. Un long métrage canadien lancé en 1989, Bye, Bye Blues d'Anne Wheeler, raconte l'histoire d'une chanteuse de « dance band » de la fin des années 1940. Parmi les vieux routiers au Canada, Frank Bogart, Art Hallman, Mart Kenney et Dal Richards continuèrent à diriger des orchestres de danse à l'occasion jusqu'au début des années 1990. À Toronto, Frank Evans poursuivit l'oeuvre de son père, Jack, qui avait mis son orchestre sur pied en 1926. D'autres jeunes musiciens ont dirigé des orchestres à des réceptions de caractère privé, mais sans jouir de la renommée de leurs prédécesseurs.
Outre les frères Lombardo, de nombreux musiciens canadiens firent carrière aux É.-U. à l'époque des orchestres de danse. Citons Billy Bissett, qui dirigea des orchestres à Chicago (1940-53, sous le nom de Billy Bishop après 1942); les Bob-O-Links, un ensemble vocal de Toronto (Babs Babineau, George Dean, Jack Duffy, Ron Martin et Babs Masters) qui voyagea avec l'orchestre de Tommy Dorsey en 1948 (Duffy, Montréal 27 sept. 1926 - Toronto 19 mai 2008 fut soliste jusqu'en 1950); Fred Culley, violon solo, puis chef adj. et enfin dir. mus. des Pennsylvanians de Fred Waring pendant une quarantaine d'années, et son frère George, trompettiste au sein du même orchestre pendant environ 25 ans; les frères Large, Freddie (leader et saxophoniste), Jerry et Ken, de Niagara Falls, Ont., dont l'orchestre passa aux mains de Jan Garber aux É.-U. au début des années 1930 et devint l'une des « sweet bands » les plus populaires de cette décennie; Will Osborne (né Oliphant), chanteur qui imitait Rudy Vallee et dirigea un orchestre populaire à New York pendant les années 1930; et d'autres chanteurs tels que Phyllis Marshall et Dick Todd. Les origines de l'orchestre Casa Loma de Toronto font toujours l'objet d'une certaine confusion dans les écrits sur les orchestres de danse. Cet orchestre, originaire de Detroit, joua effectivement au Casa Loma de Toronto (un fait contesté), mais sous un autre nom, et il incluait à cette époque (1927-28) plusieurs musiciens torontois. Les musiciens amér. qui constituaient le noyau de l'ensemble adoptèrent le nom de Casa Loma Orchestra quand ils se rassemblèrent à New York en 1929. Deux Canadiens (le pianiste Joe Hall et le batteur Tony Briglia, tous deux de London, Ont.) appartenaient à ce nouvel orchestre dont Murray McEachern fut soliste de 1938 à 1941.
D'autres musiciens canadiens firent carrière en Angleterre - ceux de la New Princes' Toronto Band (voir Les Allen), ainsi que les chanteurs Allen, Paul Carpenter (né Charpentier) et Denny Vaughan et les instrumentistes Johnny Burt, Art Christmas (saxophonistes), Max Goldberg (trompettiste) et Alfie Noakes. Billy Bissett dirigea son orchestre canadien au Savoy Hotel, au Mayfair, au Café de Paris à Londres; il enregistra pour HMV et il joua dans des films, à la fin des années 1930. L'ensemble de Trump Davidson, formé en 1938, fut repris par le leader anglais Ray Noble à l'occasion d'une tournée en Grande-Bretagne, et plusieurs musiciens de Toronto (dont les pianistes Dave Bowman, Murray McEachern, le guitariste Danny Perri et le trompettiste Jimmy Reynolds) jouèrent pour le chef d'orchestre anglais Jack Hylton pendant le séjour de ce dernier aux É.-U.
Voir aussi Jazz.