En décembre 1943, l'infanterie canadienne se trouve à Ortona, en Italie. Elle tente de progresser dans les rues étroites jonchées de décombres, mais est constamment exposée au tir croisé meurtrier de défenseurs bien embusqués. C'est alors que le capitaine Bill Longhurst du Loyal Edmonton Regiment a une idée. Plutôt que de laisser ses soldats se déplacer sur ce terrain hautement risqué, il décide de les faire avancer en passant par l'intérieur des maisons. Il demande à deux pionniers de fabriquer une charge de destruction avec des explosifs plastiques et de les attacher ensemble pour en faire une charge creuse conique (Beehive).
Une fois les hommes rassemblés en position sécuritaire au rez-de-chaussée d'une première maison, Longhurst envoie un pionnier au dernier étage pour qu'il place l'explosif contre un mur adjacent à celui de la maison voisine. Après l'explosion, les hommes se ruent immédiatement dans l'escalier et se glissent par le « trou de souris » ainsi créé, déchargeant leurs fusils et lançant des grenades au hasard. L'ingénieuse tactique du « trou de souris » créée par Longhurst se répand et les Canadiens l'utilisent pour se frayer un chemin à travers Ortona.
Toute bataille est un affront à l'humanité et une horreur pour ceux qui sont pris au piège. La bataille d'Ortona en décembre 1943 est toutefois particulièrement féroce. Les combats corps à corps, de maison en maison, rappellent au journaliste britannique Christopher Buckley « la furie de Stalingrad ».
Une des rues étroites d'Ortona (avec la permission des Archives nationales du Canada/PA-153938). |
En fait, la campagne italienne avait commencé en septembre 1943 lorsque les Alliés avaient envahi la Sicile, traversé le détroit de Messine et pénétré dans la « botte » de l'Italie. Les Allemands, déterminés à opposer une féroce résistance, sont aidés par un terrain montagneux et des rivières au débit rapide. Il est rare qu'un pont ou autre structure du genre échappe à l'attention des ingénieurs allemands spécialisés en destruction, dans leur retrait vers des positions plus défensives.
Le plan du chef des Alliés, le général Bernard Montgomery, consiste à détourner l'attention des forces allemandes de la principale attaque des Alliés contre Rome, en envoyant les Canadiens de l'autre côté de la rivière Moro, vers le port d'Ortona.
Le 6 décembre, à la faveur de la nuit, trois régiments canadiens traversent la Moro. Alors que les fantassins du Princess Patricia escaladent la rive opposée et s'emparent de Villa Rogatti, les Allemands contre-attaquent encore plus violemment. C'est un premier test pour la détermination des Canadiens. Le Princess Patricia et le Royal 44e Régiment de chars s'avèrent toutefois à la hauteur de la tâche.
Les Allemands n'ont pas sitôt quitté la Moro qu'ils décident de défendre un ravin quelque deux kilomètres plus loin. Il s'agit d'un objectif presque infranchissable. Finalement, un petit groupe des Seaforth Highlanders parvient à se faufiler par un coin vulnérable, la Casa Berardi. Le 14 décembre, les membres du Royal 22e Régiment (les Van Doos, comme on les appelle en anglais) font leur chemin, non sans avoir à en payer un prix élevé, et parviennent à tenir bon alors que tout joue contre eux. Le capitaine Paul Triquet, un homme de 33 ans originaire de Cabano (Québec) organise une brillante défense avec seulement quinze hommes et quatre chars. Son héroïsme et son leadership lui vaudront la Croix de Victoria.
Après les succès obtenus dans le ravin et au carrefour Berardi, le Loyal Edmonton Regiment et le Seaforth Highlanders ont maintenant la voie libre; ils peuvent progresser vers le nord, en vue de leur principal objectif, Ortona, appuyés par les chars du Régiment de Trois-Rivières.
Ortona est un ancien port maritime de l'Adriatique. Vieux de quelque 3000 ans, il daterait même, selon certains dires, de l'époque des Troyens. La vieille ville est un enchevêtrement d'étroits bâtiments entassés sur un promontoire escarpé plongeant dans la mer. Les Allemands ont déjà fait exploser une bonne partie des édifices en pierre et réduit les abords de la ville en forteresses de décombres. Le soir du 20 décembre, les pelotons avancés se battent déjà en périphérie de la ville.
Pendant les six jours suivants, la bataille se déplace avec une lenteur désespérante. Chaque maison de pierre, chaque amas de décombres est un véritable noeud de vipères. Tout immeuble qui vient d'être pris à l'ennemi peut se révéler un piège mortel parce que les Allemands y ont laissé des bombes qui peuvent être déclenchées par des fils-pièges invisibles. Ainsi, 20 hommes du Loyal Edmonton sont pulvérisés dans l'explosion d'un bâtiment qui vient tout juste d'être occupé (par miracle, un d'entre eux sera retrouvé vivant trois jours plus tard).
Les tactiques de « trous de souris » et du combat de rue permettent aux hommes d'avancer maison par maison, en lançant des grenades par les fenêtres, défonçant les portes et faisant irruption dans les pièces dans un déluge de tirs. Petit à petit, les hommes du Loyal Edmonton se frayent un chemin dans la rue principale et se butent à un énorme tas de pierres qui bloque le Corso Emanuele. Un petit groupe grimpe sur les toits, surprend l'ennemi par derrière et prend la mairie.
Le 24 décembre, l'attaque canadienne a décimé les rangs des parachutistes d'élite allemands. Le jour de Noël, les hommes du Seaforth s'apprêtent à souper dans la cathédrale, alors qu'on apporte leur repas à ceux du Loyal Edmonton encore déployés dans la ville. Quant aux Allemands, ils dressent un petit sapin de Noël et certains de leurs camarades bravent le danger pour leur apporter quelques saucisses et du gâteau. Leur chef, Carl Beyerlin, remarque : « Il n'y a pas de place pour l'esprit de Noël, ici. Qui sait combien de temps on pourra tenir à Ortona. » Peu de temps, en fait... à la tombée de la nuit, le 27, les défenseurs comprennent qu'ils sont battus et disparaissent tels des fantômes.
Selon le commandant de la division canadienne, « Toutes les batailles qui ont précédé celle d'Ortona n'ont été que jeux d'enfants, en comparaison. » Depuis le début de la guerre, c'est la première fois que les Canadiens vivent une campagne aussi longue et ils le paient chèrement. En décembre, le nombre des victimes atteint 2265, dont 484 morts. Chez les Allemands et les civils, le bilan encore plus dramatique.