Programmation télévisuelle
La télévision doit répondre aux besoins et aux goûts d'un très grand public en matière d'information et de divertissement. Pour s'adapter à cette réalité culturelle, la programmation télévisuelle doit donc prendre une multitude de formes : journaux télévisés, magazines d'information, documentaires, émissions-débats, émissions sportives, jeux et jeux télévisés, émissions de variétés et pour enfants, ainsi que toute une gamme de téléromans. Ce sont les mêmes impératifs culturels qui expliquent que la programmation semble répétitive, voire rebattue, car les émissions les plus populaires auprès des téléspectateurs sont celles qui leur sont familières; que la programmation nécessite des sommes d'argent colossales, car il faut, pour s'assurer le succès, choisir les valeurs sûres parmi les artistes, les réalisateurs et les techniciens; qu'elle adopte le plus souvent la forme de l'histoire, du conte, car c'est bien là le mode d'information ou de divertissement le plus universellement accepté.C'est pendant la première décennie de la télévision (1952-1962) qu'a lieu ce qu'on a appelé par la suite l'âge d'or de la programmation canadienne. À cette époque, en effet, la SOCIÉTÉ RADIO-CANADA (SRC), une société d'État, détient le monopole de la télédiffusion. La SRC organise des réseaux de langue anglaise et française distincts, par lesquels elle rejoint, dès 1962, plus de 85 p. 100 des foyers canadiens. Sa programmation débute d'abord en soirée, pour l'écoute en famille, puis l'horaire s'étend peu à peu à l'après-midi à l'intention des femmes, des enfants et des adolescents. Les réalisateurs, à partir de leur expérience à la radio et des leçons tirées des télévisions américaine et britannique, produisent une programmation variée, représentative de toutes les formes principales de télévision. C'est une période d'expérimentation et d'enthousiasme.
La SRC est bien décidée à informer son public sur la vie et les affaires. La diffusion régulière de journaux télévisés débute donc au printemps de 1954 sur les deux réseaux. On consacre beaucoup de temps d'antenne aux émissions d'affaires publiques importantes, et parfois controversées, dont Point de mire (1956-1959), animée par René LÉVESQUE, et Close-Up (1957-1963), réalisée par Ross McLean. Il y a des émissions-débats, des séries d'interviews, comme le populaire Tabloid de Toronto qui reçoit des personnalités, et des résumés sportifs tels que le Jim Coleman Show.
Le divertissement fait l'objet d'efforts encore plus grands, reflétant l'importance toute spéciale de la télévision dans ce domaine, où elle occupe la première place. On offre aux intellectuels des jeux télévisés, comme Fighting Words, des concerts et, moins fréquemment, des ballets, des opéras et des dramatiques raffinées. Les amateurs de sport sont mieux servis avec la diffusion des matchs de hockey et de football la fin de semaine (la télédiffusion des parties de la Ligue nationale de hockey débute en 1952). À Montréal, on réalise une foule de jeux et de concours tels que Le nez de Cléopâtre et La clé des champs, mais ce sont des réalisateurs de Toronto qui créent, à l'été 1957, la série FRONT PAGE CHALLENGE, qui reste à l'horaire très longtemps.
Le réseau anglais ne ménage pas ses efforts pour alimenter les émissions de variétés les plus populaires avec le duo comique de Johnny Wayne et de Frank Shuster (voir WAYNE AND SHUSTER), la chanteuse vedette JULIETTE (Sysak), qui connaît une longue carrière, et divers groupes de musique country, comme ceux de Gordie Tapp, King Ganam, Tommy Common, Tommy HUNTER et Don MESSER. Les réseaux français et anglais mettent tous deux en vedette quelques anthologies dramatiques (Téléthéâtre, General Motors Presents, En Première et Festival) qui offrent aussi des pièces originales.
Toutefois, seul le réseau français réussit dans le domaine de la dramatique populaire avec des téléromans comme Les Plouffe, La Pension Velder et Marie Didace, tous tirés de l'histoire et de la culture du Québec (voir TÉLÉVISION, DRAMATIQUES DE LANGUE FRANÇAISE À LA).
Bon nombre de ces programmes connaissent un immense succès. La télévision canadienne-française, plus particulièrement, attire un public énorme, ce qui lui vaut le titre de médium tribal parce qu'elle semble refléter « l'âme » du Québec d'hier et d'aujourd'hui. Il y a pourtant des problèmes à l'horizon. Dans les années 50, le réseau anglais de la SRC se révèle incapable de réaliser des dramatiques populaires à succès, malgré des essais comme The Plouffe Family (1954-1959), Radisson (1957-1958), une série d'aventures historiques pour enfants présentée aux heures de grande écoute, et RCMP (1959-1960), une série policière à gros budget.
Ce réseau ajoute à sa programmation de soirée des productions américaines (des comédies de situation et des séries d'action et d'aventure), telles que 1 Love Lucy et Have Gun, Will Travel. Le réseau français lui-même commence à diffuser des traductions d'émissions américaines, comme La cité sans voile (v.f. de The Naked City), une dramatique policière, et le Donna Reed Show (v.f. Donna Reed) une comédie de situation. De plus, le réseau anglais de la SRC découvre bientôt que les émissions de variétés importées, comme The Ed Sullivan Show et The Perry Como Show, reçoivent généralement des Canadiens anglais un meilleur accueil que leurs équivalents canadiens.
Dans des marchés compétitifs comme ceux de Toronto et de Vancouver, où les téléspectateurs peuvent facilement capter les stations américaines, le réseau anglais de la SRC perd en effet une bonne partie de son public aux périodes de pointe lorsqu'il diffuse les émissions canadienne. En effet, la pression augmente partout au pays pour accroître le choix. C'est donc la fin du monopole de la SRC et le début d'un style de divertissement télévisuel plus populaire, modelé sur celui des États-Unis.
C'est un des mythes de l'époque de penser que les intérêts commerciaux façonneront de quelque façon un service télévisuel qui diffusera la culture populaire canadienne. En outre, le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion établit, en 1959, une série de règlements sur le contenu canadien qui doivent en principe assurer le maintien de la programmation nationale dans toutes les stations. Cependant, ces règlements servent surtout à justifier l'avènement d'une nouvelle ère de concurrence qui transforme, dès 1975, la télévision canadienne. L'État, d'abord par le truchement du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion, puis par celui du CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES (CRTC), délivre des licences à des stations concurrentes partout au pays, autorise la création de réseaux privés (le réseau de langue anglaise Canadian Television Network, ou CTV, en 1961; Télé-Diffuseurs Associés, ou TVA, au Québec, en 1971; et Global, en Ontario, en 1974) et permet, en 1975, l'expansion de la CÂBLODISTRIBUTION à plus de 40 p. 100 des foyers canadiens.
Au Québec, la langue et la culture canadiennes-françaises assurent la survie de la programmation locale, mais il y a toutefois des changements. Les anthologies dramatiques des années 50 disparaissent pratiquement, car les programmateurs francophones, et surtout ceux de la station indépendante CFTM-Montréal, ont recours aux films pour attirer les auditeurs aux heures de très grande écoute. La proportion d'émissions américaines augmente en effet, surtout aux stations autres que celles du réseau de la SRC. Cependant, dès sa création, CFTM-Montréal produit des émissions de variétés servant de tribune aux comédiens et aux chanteurs du Québec.
Quant aux dramatiques populaires, elles non plus ne sont pas touchées. La comédie de situation Moi et l'autre, produite localement par la SRC, garde l'affiche de 1966 à 1971 les mardis de 21 h à 21 h 30. Elle aurait attiré environ deux millions de téléspectateurs par semaine au début des années 70. TVA, la station privée concurrente, doit contre-attaquer avec ses propres séries. La SRC travaille alors à améliorer sa programmation en matière d'information en déplaçant le Téléjournal à 22 h 30 (1971-1972), ajoutant à sa programmation du vendredi une émission-débat de fin de soirée très populaire animée par Lise Payette et intitulée Appelez-moi Lise, et en élargissant la gamme de ses émissions d'affaires publiques et de ses magazines.
Si on regarde la programmation de 1974-1975, on voit que la SRC offre un horaire mieux équilibré d'émissions de qualité dans les secteurs du théâtre, de la musique et de la danse (5 p. 100), de l'information (32 p. 100) et du divertissement léger (63 p. 100), tandis que TVA est résolument populaire, mettant l'accent sur le divertissement léger (82 p. 100) et n'offrant qu'une quantité limitée d'émissions d'information (18 p. 100). Ces réseaux rivaux se partagent presque également le public canadien-français.
Au Canada anglais, les choses prennent une tournure bien différente. Le seul moyen pour les nouvelles stations de gagner rapidement des téléspectateurs est de mettre au programme, aux heures de grande écoute, autant de spectacles hollywoodiens que le permet la réglementation (qui se révèle très souple) sur le contenu canadien. Ainsi, l'horaire de soirée de CTV en 1966-1967 compte les succès américains The FBI, Bewitched, Dean Martin, Mission Impossible, Run for your Life et The Jackie Gleason Show. Dix ans plus tard, Global met aussi à l'horaire des émissions étrangères aux heures de grande écoute. Ce qui est plus étonnant, c'est que l'on peut en dire autant de la SRC.
L'aspect financier explique en partie ce phénomène. Une émission importée coûte, en 1974-1975, 2 000 dollars la demi-heure (le coût réel de production étant d'environ 125 000 dollars) et peut rapporter de 20 000 à 24 000 dollars en revenus de publicité sur les chaînes de CTV et de la SRC. La production nationale, comparée à ces chiffres, n'est guère lucrative. En effet, une production d'une demi-heure coûte près de 30 000 dollars (ce qui signifie que sa « valeur » en tant que production est inférieure à celle des émissions américaines) et rapporte des profits de 55 dollars à CTV et engendre des pertes de 2 050 dollars à la SRC. En outre, la télédiffusion d'une émission canadienne cause habituellement une perte de téléspectateurs et de revenus pour la durée de cette émission, car les téléspectateurs n'ont qu'à changer de canal pour trouver une émission importée plus attirante.
Il est cependant vrai que les réseaux canadiens continuent d'offrir des spectacles de variétés et des jeux-questionnaires lorsque le coût en est raisonnable. À la SRC, Front Page Challenge garde l'affiche, Tommy Hunter s'impose avec sa propre émission et The IRISH ROVERS deviennent célèbres. Au réseau CTV, on mise sur des imitations telles que Headline Hunters, The Ian Tyson Show et Pig & Whistle. CTV offre aussi une comédie de situation canadienne intitulée Excuse My French (1974-1975), dont chaque épisode lui fait perdre près de 14 000 dollars. Les deux réseaux présentent aussi une couverture complète des sports. Pourtant, en réalité, tous deux ont abandonné l'idée de concurrencer Hollywood en vue d'attirer le grand public.
Il est cependant des secteurs où la SRC, et ultérieurement CTV, concentrent vraiment leurs efforts. C'est le cas de l'information et des affaires publiques, des genres qui tirent profit de l'intérêt du téléspectateur pour la vie collective et publique. La SRC met en ondes, assez tôt, un magazine d'information sur les affaires publiques, THIS HOUR HAS SEVEN DAYS (1964-1966), qui fait sensation. Il s'agit d'un mélange éclectique de techniques de l'industrie du spectacle, de reportages et d'interviews sérieux assortis de chroniques pour attirer un vaste public de téléspectateurs enthousiastes. Seven Days est en effet un spectacle très théâtral, une collection d'histoires sensationnelles qui suscitent d'ailleurs bien trop de controverse pour lui permettre de survivre sur les ondes d'un réseau de plus en plus prudent. Cela dit, le réseau offre d'excellents documentaires ainsi qu'une vaste gamme d'émissions d'affaires publiques et de magazines, comme Telescope, Man Alive, Take 30 et The Fifth Estate, et améliore The National, son journal télévisé de soirée.
Bien qu'il soit moins actif, le réseau CTV diffuse un journal télévisé national équivalent, un important magazine d'information appelé W5, ainsi qu'un documentaire d'actualité intitulé Maclear. La télévision canadienne-anglaise possède en effet un meilleur dossier que celui de son équivalent américain.
Grâce à cette concurrence, les Canadiens anglais jouissent d'un choix tout à fait extraordinaire. La SRC demeure le réseau le mieux équilibré, offrant aux téléspectateurs la programmation la plus diversifiée, tandis que celle de CTV et de Global est nettement plus restreinte et populaire. L'avènement de la câblodistribution entraîne l'introduction de plusieurs canaux américains. Les statistiques démontrent que la SRC a perdu un nombre important de téléspectateurs au profit des autres canaux anglophones. Dès 1984, les stations américaines détiennent le tiers du public, comparativement à un peu moins de 30 p. 100 pour CTV (ce qui est moins élevé qu'au milieu des années 70), à près de 24 p. 100 pour la SRC et à 15 p. 100 pour les stations indépendantes canadiennes. Autrement dit, près de 65 p. 100 des émissions regardées par les téléspectateurs sur les ondes de réseaux anglophones sont d'origine étrangère (surtout d'origine américaine). Cette situation demeure pratiquement inchangée.
Ces faits provoquent une série de réévaluations déchirantes de tout le milieu de la télévision. Mais, malgré cela, la situation ne s'est pas améliorée de façon significative depuis le milieu des années 70; elle a peut-être même empiré. Les catégories de productions canadiennes les meilleures et les plus populaires demeurent l'information, les affaires publiques, les sports et, au Québec, les téléromans. Au Canada anglais, la SRC tente de créer un renouveau en augmentant le contenu canadien de sa programmation aux heures de grande écoute et en effectuant un retour vers le divertissement léger. Cet effort donne naissance à une émission familiale très écoutée, The Beachcombers, à une comédie de situation également très réussie, The King of Kensington, à une brochette d'émissions de variétés, à la série Home Fires et, surtout, à The National/Journal, une combinaison de nouvelles et de reportages présentée en semaine de 22 h à 23 h.
Les réseaux privés ne suivent pas l'exemple de la SRC. Cela tient probablement au fait que la concurrence fait grimper le coût d'achat des émissions étrangères et menace par conséquent leur marge bénéficiaire. Les efforts du CRTC pour contraindre CTV, et par le fait même toutes les stations privées, à offrir plus de dramatiques canadiennes rencontrent une résistance farouche. De même, la tentative du gouvernement de stimuler la production d'émissions canadiennes en autorisant la TÉLÉVISION PAYANTE, en subventionnant les réalisateurs indépendants et en procédant à la modification de la réglementation sur le contenu canadien n'a pas encore porté de fruits.
Partout au Canada, les stations et les émissions américaines conservent leur importance. La part du marché du réseau le plus canadien, la SRC, n'a cessé de décroître. En effet, de 50 p. 100 en 1967, elle a reculé pour se stabiliser à un peu plus de 25 p. 100 dans les années 80. Les statistiques démontrent que même les téléspectateurs de télévision francophone regardent beaucoup de dramatiques hollywoodiennes doublées (jusqu'à 80 p. 100 des dramatiques regardées en 1984 sont d'origine étrangère). On craint donc que le Québec subisse le même sort que le Canada anglais. Les productions hollywoodiennes arrivent en tête des classements, qu'il s'agisse de films, de téléromans diffusés aux heures de grande écoute, comme Dallas, d'émissions pour enfants comme The Wonderful World of Disney (v.f. Le monde merveilleux de Disney) ou de comédies de situation comme The Cosby Show (v.f. Le Cosby Show).
Bien que le Canada ait mis sur pied l'un des systèmes de télévision les plus perfectionnés au monde, l'ironie du sort veut qu'il soit incapable de le pourvoir de produits issus de sa propre culture.
Voir aussi RADIODIFFUSION ET TÉLÉVISION; COMMUNICATIONS DANS LE NORD; COMMUNICATIONS AU QUÉBEC; MUSIQUE, DIFFUSION DE.