Le Quai 21 était un hangar maritime accueillant les immigrants sur le front de mer de Halifax entre 1928 et 1971. Le point d’arrivée de quelque un million d’immigrants canadiens et le point d’embarquement de presque 500 000 soldats au cours de la Deuxième Guerre mondiale, il a déjà porté le nom de « porte d’entrée du Canada ». Aujourd’hui, c’est un lieu historique national et un musée.
Années 1920 et 1930
Depuis sa fondation en 1749, Halifax est un point d’arrivée populaire pour les immigrants. Avec l’essor des industries canadiennes au tournant du XXe siècle, l’immigration est en progression constante. En 1913, le Canada accueille plus que 400 000 nouveaux arrivants chaque année.
La plupart des immigrants canadiens arrivent par bateau dans un port de l’Est du Canada et, dans les années 1920, le quart de tous les immigrants passe par Halifax. Ils entrent au pays par le Quai 2 de taille modeste. Bientôt, les responsables de l’immigration constatent le besoin d’une nouvelle installation pour accommoder le nombre croissant d’arrivants. En 1924, une solution est trouvée : l’installation massive, appelée Quai 21, sera construite sur le front de mer de Halifax. L’ouverture officielle a lieu en mars 1928.
À peine le Quai ouvert, le taux d’immigration commence à diminuer. La Crise des années 1930, avec les perspectives d’emploi plutôt maigres et les politiques d’immigration contraignantes, mène à une baisse significative du nombre d’arrivants. L’immigration canadienne chute de presque 105 000 individus en 1930 à un peu plus de 21 000 en 1932, et ne dépassera pas les 20 000 avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Partir à la guerre
En 1939, le Quai 21 est pris en charge par le ministère de la Défense nationale et devient un lieu d’embarquement pour environ 500 000 soldats canadiens (hommes et femmes) qui partent à la Deuxième Guerre mondiale.
À la fin de la guerre, quand les soldats rentrent par le Quai 21, une marée d’épouses de guerre les accompagne. Les jeunes femmes, pour la majorité des Britanniques, ont rencontré et épousé les militaires canadiens à l’étranger et rentrent avec leur époux. Quelque 48 000 épouses de guerre, ainsi que leurs 22 000 enfants immigrent au Canada. La plupart d’entre eux arrivent au Quai 21.
Afflux d’immigrants de l’après-guerre
Les années de l’après-guerre sont parmi les plus actives du Quai 21. Bien que le premier ministre William Lyon Mackenzie King soit en faveur d’une politique conservatrice d’immigration, il subit la pression de plusieurs groupes pour accueillir un plus grand nombre de nouveaux arrivants. Les chefs d’entreprise, confrontés à des pénuries de main-d’œuvre, font pression sur le premier ministre pour ouvrir les portes du Canada. Les groupes humanitaires encouragent le gouvernement à offrir un nouveau foyer aux réfugiés de guerre, connus sous l’appellation de personnes déplacées. Bon nombre de Canadiens sont insatisfaits de ce qu’ils perçoivent comme étant une attitude xénophobe envers les immigrants. En 1947, le premier ministre annonce un changement vers une « politique d’immigration soutenue ».
Le Canada est alors inondé de personnes déplacées : quelque 200 000 réfugiés arrivent entre 1946 et 1952. À cette époque, le Quai 21 reçoit la grande partie des nouveaux arrivants; pendant la seule année 1951, 94 000 personnes y arrivent, ce qui représente 48 % du nombre accueilli par le Canada. Beaucoup de ceux qui posent pied à terre au Quai 21 ont survécu à l’Holocauste.
Une réfugiée de guerre, Rosalie Abella, résume ce que représente pour elle le Quai 21 : « Le Quai représente une occasion favorable, la générosité et l’idéalisme : le visage par excellence du Canada. C’est le Canada qui nous a accueillis, le Canada qui a pris l’histoire d’horreur d’une génération et qui en a fait un conte de fées canadien pour une autre. » Rosalie Abella est née en 1946 dans un camp de personnes déplacées en Allemagne. Elle arrive au Canada avec ses parents en 1950. Elle deviendra la première juive nommée à la Cour suprême du Canada.
Crise hongroise
Alors que la crise des réfugiés passe, l’insurrection hongroise de 1956, une rébellion anticommuniste écrasée par l’Union Soviétique, déclenche une émigration massive de Hongrois. Le ministre canadien de l’Immigration, Jack Pickersgill, offre le passage gratuit aux Hongrois qui fuient leur pays. Le Canada accueille jusqu’à 50 000 Hongrois, dont 35 000 au seul mois de décembre 1956. Bon nombre d’entre eux passent par le Quai 21.
Pour certains Hongrois, l’arrivée au Canada est décevante : Judy Stoffman se rappelle son père Ignac Bing, un technicien compétent de métiers à tisser qui a l’intention de travailler dans l’industrie du textile en plein essor à Montréal et qui apprend, en arrivant au Quai 21, qu’il devra plutôt installer sa famille à Vancouver, où il y a une pénurie de main-d’œuvre. La Colombie-Britannique n’ayant pas d’industrie de textile, M. Bing se voit obligé de travailler comme chauffeur de taxi. « Je n’ai jamais compris qu’un agent au Quai 21 ait le droit de prendre une décision si importante sur l’avenir de mes parents, une décision qui ne peut pas faire l’objet d’un appel », dit Judy Stoffman.
Déclin et renouvellement
Quand les voyages aériens dépassent en importance les voyages par bateau comme méthode d’arrivée des immigrants, le Quai 21 subit une période de déclin au cours des années 1960. Le nombre d’immigrants qui arrivent à Halifax diminue de presque 26 000 arrivants en 1959 à moins de 1 200 en 1970. Le Quai ferme en mars 1971.
Le bâtiment reste inutilisé jusqu’à la fin des années 1980, lorsque la Société du Quai 21 est créée. La société effectue des démarches auprès d’Ottawa pour faire reconnaître le Quai comme lieu historique national; ce statut lui est accordé en septembre 1996, avec 4,5 millions de dollars en fonds gouvernementaux pour la création d’un musée sur le site. Le projet est complété le 1er juillet 1999.
Le Musée canadien de l’immigration du Quai 21 est l’un des lieux historiques les plus populaires de Halifax. Il raconte l’histoire du Quai et des personnes qui y sont passées, ainsi que la vie que ces nouveaux arrivants ont menée dans leur pays d'accueil. Il rappelle que l’immigration a façonné de façon radicale le caractère du Canada. C’est un beau témoignage du passé et du présent multiculturels du pays.