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Relations des Jésuites

Les Relations des Jésuites représentent l’ensemble des rapports annuels envoyés en France entre 1632 et 1672, rédigés par les missionnaires jésuites au Canada. Ces écrits constituent une source historique importante sur l’ensemble des événements survenus dans la colonie pendant cette période. Ils précisent notamment le rôle central joué par les membres de la Compagnie de Jésus dans la colonisation de l’Amérique du Nord. (Voir Peuplement de la Nouvelle-France.) Ces publications sont révélatrices de la vision coloniale de l’époque et décrivent les succès et les échecs des missionnaires dans leurs efforts d’évangélisation des Premières Nations. Imprimées et distribuées à Paris, notamment à des fins de propagande, les Relations des Jésuites sont très populaires auprès des amateurs et amatrices de littérature de voyage. Elles constituent toujours aujourd’hui un ouvrage unique auquel se référer sur les premiers temps de la Nouvelle-France.

Relations des Jésuites

Débuts difficiles au Canada

Les missions des Jésuites en Amérique du Nord se déroulent dans un contexte de transition quant aux volontés coloniales de la France. Celles-ci visent l’évangélisation des peuples autochtones vivant dans des terres lointaines. Par ces initiatives, la France cherche aussi à étendre son influence dans le monde et à favoriser les alliances et les traités. Interprètes, voyageurs, diplomates, prêcheurs : les « robes noires », comme les surnomment les Premières Nations, s’intègrent rapidement aux communautés qui les reçoivent. Très vite, les Jésuites deviennent indispensables à l’administration française et s’imposent comme des intermédiaires obligés entre le pouvoir colonial et les sociétés autochtones.

En 1632, la Compagnie de Jésus obtient le monopole des missions sur le territoire. Elle conservera ce privilège jusqu’en 1658. Le contexte est favorable à une meilleure mainmise sur la colonie. Au cours de cette période, l’expérience vécue est consignée sur papier et les rapports sont envoyés à Paris.

Correspondance riche

À partir de 1632, des rapports volumineux sur tous les événements survenus dans la colonie sont envoyés chaque année en France par les derniers bateaux qui partent avant l’hiver. Les missionnaires de chaque mission produisent les textes qui sont ensuite révisés par leur supérieur à Québec, ce dernier y ajoutant ses propres observations. Après avoir été révisées, modifiées et même censurées au besoin, les Relations sortent finalement des presses parisiennes, près d’un an après leur rédaction. Ces publications servent de propagande, mettant en valeur les péripéties des missionnaires en Nouvelle-France. Comme les œuvres de Jacques Cartier et de Samuel de Champlain, elles sont lues avidement par l’auditoire français fasciné par l’exotisme des pays lointains. Parallèlement, ces récits visent aussi à susciter des vocations et, surtout, des appuis financiers.

Les Relations des Jésuites sont riches de détails en tout genre et fourmillent de notes sur le temps qu’il fait, les langues, les techniques de chasse, les mœurs des peuples autochtones, les voyages en canot, la diplomatie autochtone, l’alimentation, etc. On y vante la conversion de certains chefs autochtones au catholicisme, car ils deviennent ainsi de fidèles alliés de la Couronne de France. C’est notamment le cas de Jean-Baptiste Atironta, chef du village huron de Cahiagué (situé près de ce qui est aujourd’hui Hawkestone, en Ontario), le plus important village de la nation des Ahrendarrhonons (Pierres).

Partout où ils établissent des missions, les jésuites témoignent également des épidémies et des conflits qui déciment les Premières Nations. Leur vie est même parfois menacée par les peuples autochtones qui les accusent de sorcellerie, d’apporter des maladies ou de vouloir s’emparer de leur pays. Certains seront en effet torturés à mort (voir Jean de Brébeuf).

Martyre des Jésuites

Bibliographie matérielle et succès littéraire

Les Relations des Jésuites se composent de 41 volumes, rééditées de nombreuses fois. Il s’agit d’une œuvre imposante, résultat du travail de multiples auteurs. Paul Le Jeune est en quelque sorte l’architecte de cet ouvrage et aurait lui-même rédigé plus du tiers des Relations. Les autres auteurs sont Barthélemy Vimont, Jérôme Lalemant, Paul Ragueneau, François-Joseph Le Mercier, Jean de Quen et Claude Dablon. Quant aux Relations qui concernent les missions huronnes, elles auraient été rédigées par Jean de Brébeuf, François Le Mercier, Jérôme Lalemant et Paul Ragueneau.

On dénombre 53 « vraies » éditions de ces textes, sans compter les contrefaçons et les plagiats, ce qui témoigne d’un succès littéraire évident. Or, il s’agit d’un succès essentiellement européen, car les Relations des Jésuites ne sont guère lues en Amérique du Nord avant le milieu du 19e siècle. En 1858, l’éditeur-imprimeur Augustin Côté de Québec s’engage à rassembler tous les volumes en une nouvelle édition complète en trois tomes. Cette œuvre monumentale est le résultat des efforts d’un grand nombre de personnes. C’est le cas de l’abbé Laverdière qui, « avec la patience et l’amour d’un antiquaire », rédige dans un ordre alphabétique une table des matières traitées dans l’œuvre originale. Cet accomplissement facilitera grandement la recherche pour les générations futures.

Critiques modernes

Au 20e siècle, de nouvelles recherches mettent en doute certains récits des Relations des Jésuites. Les historiens soulèvent que les sources orales utilisées par les jésuites n’ont pas toujours été évaluées avec toute la rigueur nécessaire. Dans son livre L’Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au XVIIe et XVIIIe siècle publié en 1913, l’historien français Gilbert Chinard qualifie les Relations d’« ouvrages de propagande et non des rapports scientifiques ». Il affirme même qu’il « semble que les Jésuites aient voyagé en aveugles », en négligeant de décrire certaines choses au profit d’autres servant mieux leurs intérêts et objectifs.

Le rôle héroïque d’Adam Dollard des Ormeaux et de ses compagnons dans la bataille du Long-Sault en 1660 fait aussi l’objet de débats importants. Les jésuites lui accordent le mérite d’avoir sauvé Montréal, en écrivant que « Tout était perdu s’ils n’eussent péri, et leur malheur a sauvé ce pays ». L’historien Dollier de Casson fait de cette histoire un véritable mythe national dans son ouvrage Histoire du Montréal. Il dépeint le sacrifice d’Adam Dollard des Ormeaux comme un exemple de patriotisme et de bravoure. Cette interprétation est sévèrement remise en question par des historiens comme Lionel Groulx, qui publie Dollard est-il un mythe? en 1960, et André Vachon qui signe l’article sur Dollard des Ormeaux dans le Dictionnaire biographique du Canada en 1966. Il faut aujourd’hui être conscient des biais entretenus par les auteurs des Relations des Jésuites pour en faire une lecture éclairée.

Bien que les Relations des Jésuites aient essuyé la critique au fil du temps, elles n’en demeurent pas moins une source d’information exceptionnelle sur les premiers âges de la Nouvelle-France. Avec leur langage coloré, leurs anecdotes captivantes et leurs détails pittoresques, elles donnent un aperçu révélateur de la façon dont on écrivait l’histoire, il y a plus de trois siècles.

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