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Réponse canadienne à la crise des réfugiés d'origine syrienne

Le conflit syrien en cours a provoqué différentes réponses au Canada. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau, au pouvoir depuis novembre 2015, a considérablement augmenté le nombre de réfugiés syriens admis au Canada. Les politiques du gouvernement ont néanmoins fait l’objet de critiques, alors que le Canada continue de lutter contre l’islamophobie et les attitudes négatives à l’égard des réfugiés.

Contexte du conflit syrien

Le conflit syrien est considéré par certains comme l’un des pires désastres humanitaires de l’histoire récente. Il débute en 2011, lors du printemps arabe, par des manifestations pacifiques contre le gouvernement de Bashar al-Assad, au pouvoir depuis de nombreuses années. En plus d’opposer différentes factions, dont Daesh (également connu sous le nom d’État islamique), le conflit met notamment en cause la Russie, l’Iran et les États-Unis.

Au début de l’année 2017, le Haut-Commissariat desNations Unies pour les réfugiés (HCR) estime le nombre total de réfugiés syriens à environ 4,86 millions, en plus d’au moins 6,3 millions de personnes déplacées à l’intérieur même de la Syrie. Le nombre de décès est difficile à établir, mais on estime qu’il se situe entre 300 000 et 400 000. Les civils syriens dans les centres urbains sont activement ciblés par le régime de Bashar al-Assad et par des militants armés, y compris des membres de l’organisation terroriste État islamique. En raison de la violence qui sévit, un grand nombre de Syriens ont fui vers des pays voisins comme la Turquie, la Jordanie et le Liban; on estime qu’à eux seuls ces trois pays accueillent jusqu’à 95 % du nombre total de réfugiés. Alors que le conflit perdure, autant les réfugiés que les communautés des pays d’accueil se trouvent dans une situation précaire.

Alors que la guerre fait rage en Syrie depuis le début 2011, la réponse du Canada à la crise des réfugiés se fait d’abord tiède. Le vent tourne à l’automne 2015 après la diffusion de la photo du petit Alan Kurdi, âgé de trois ans, retrouvé inerte sur une plage turque. Cette photographie provoque une onde de choc au Canada et ailleurs dans le monde. Après des tentatives infructueuses de rejoindre la tante de l’enfant au Canada, la famille Kurdi souhaitait atteindre l’Europe via la Grèce. Le petit Alan, son frère de cinq ans Ghalib, leur mère Rehan ainsi qu’une douzaine d’autres personnes perdent la vie lorsque leur embarcation, qui se dirige vers l’île grecque de Kos, chavire près de la côte turque, au cours d’un voyage qui n’aurait dû durer que 40 minutes. La mort du jeune enfant en vient à symboliser le désespoir vécu par d’innombrables familles syriennes fuyant le conflit et entreprenant le dangereux voyage à travers la Méditerranée pour atteindre les rives de l’Europe. Selon le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), environ 5 000 personnes ont perdu la vie en mer en 2016.

À la suite du tollé provoqué par la publication de l’image d’Alan, le gouvernement canadien accorde l’asile aux membres restants de la famille Kurdi. Cependant, le père d’Alan Kurdi, Abdullah Kurdi, choisit de rester dans le nord de l’Irak pour travailler à ouvrir un hôpital et une école pour honorer sa famille. Le sort de la famille motivera néanmoins la réponse du Canada à la crise des réfugiés syriens.

Droit des réfugiés et réinstallation

La Convention de 1951 relative au statut des réfugiésainsi que le Protocole de 1967 qui la complèteconstituent les principaux instruments juridiques internationaux régissant la protection des réfugiés. L’article 1 de la Convention définit un réfugié comme une personne qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », n’est pas en mesure ou ne veut pas revenir dans son pays d’origine.

Ces instruments internationaux établissent les normes minimales pour le traitement des réfugiés. Les États signataires de la Convention, dont le Canada, sont tenus de protéger les réfugiés sur leur territoire et de les traiter conformément aux règles internationalement reconnues. Les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) du Canada reprennent le texte de la Convention de 1951.

Lorsque des réfugiés arrivent en grand nombre dans les pays voisins, les États signataires de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ont l’obligation de fournir une protection internationale aux réfugiés, en prenant entre autres des dispositions pour leur réinstallation. Lorsque la protection des réfugiés ne peut être garantie dans le pays où ils demandent d’abord l’asile, la réinstallation dans un pays tiers devient une option. Le HCR est mandaté par son statut et par les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies de superviser la réinstallation, qui est considérée comme l’une des trois solutions durables aux crises de réfugiés dans le monde. Bien qu’indispensable, celle-ci n’est qu’un volet de la réponse de la communauté internationale face aux réfugiés. Selon le HCR, en 2015, parmi les 16,1 millions de réfugiés dont il avait la responsabilité à l’échelle mondiale, moins de 1 % ont été réinstallés.

Le Canada dispose d’un système de réinstallation fiable, complexe et établi de longue date, doté d’un certain nombre d’avenues par lesquelles un réfugié peut être amené au Canada et se voir accorder le statut de résident permanent à son arrivée (voir Citoyenneté; Politique d’immigration). En matière de réinstallation de réfugiés syriens au Canada, trois avenues existent : 1) le parrainage gouvernemental, 2) le parrainage privé et 3) le programme mixte des réfugiés désignés par un bureau des visas.

1) Réfugiés pris en charge par le gouvernement(« RPG ») : les RPG sont des personnes qui, d’après l’évaluation effectuée par le HCR, correspondent à la définition de réfugié énoncée dans la Convention sur les réfugiés et dont la réinstallation initiale au Canada est entièrement soutenue par le gouvernement du Canada pour une période maximale d’un an. Ce soutien comprend l’hébergement, la nourriture, les vêtements et l’aide à l’emploi.

2) Réfugiés parrainés par le secteur privé : le programme canadien de parrainage privé est unique au monde. Le parrainage privé peut se faire de deux façons : grâce au parrainage par un signataire d’entente de parrainage (SEP) au Canada ou par le biais du programme des groupes de cinq (G5).

    a) Les signataires d’une entente de parrainage (SEP) sont des organismes constitués en société qui ont signé une entente avec le gouvernement canadien pour parrainer un réfugié ou pour aider d’autres particuliers ou groupes de parrainage à présenter leurs demandes. Ces signataires peuvent inclure des organisations non gouvernementales, des institutions religieuses telles que des églises, ainsi que des universités. Les SEP ont l’entière responsabilité du réfugié pendant un an.

    b) Le programme des groupes de cinq permet à au moins cinq citoyens canadiens ou résidents permanents de parrainer des réfugiés. Ils doivent démontrer qu’ils disposent des moyens financiers et de la capacité nécessaires pour remplir les conditions du parrainage et soutenir pleinement le réfugié pendant un an.

3) Le programme mixte des réfugiés désignés par un bureau des visas : Les réfugiés identifiés par le HCR sont jumelés à des répondants privés au Canada. Le gouvernement et le répondant privé se partagent la responsabilité financière du soutien au réfugié.

Les programmes de réinstallation du Canada sont considérés parmi les plus progressistes et accueillants au monde et ont servi de modèle pour des programmes similaires dans d’autres pays.

Syst\u00e8me canadien de réinstallation

Réponses politiques à l’accueil de réfugiés syriens

Jusqu’à l’automne 2015, on ne sait pas exactement combien de réfugiés syriens se sont installés avec succès au Canada. En août 2015, l’ancien gouvernement conservateur annonce qu’il a accueilli 2 302 réfugiés syriens et qu’il s’engage à en accueillir environ 10 000 dans les trois années suivantes. Après le tollé provoqué par la mort d’Alan Kurdi en septembre 2015, le gouvernement confirme officiellement que seulement 2 406 réfugiés syriens se trouvent au Canada (nombre qui comprend les réfugiés pris en charge par le gouvernement et ceux parrainés par le secteur privé).

La question de l’accueil des réfugiés syriens provoque des réactions très tranchées durant les élections fédérales canadiennes à l’automne 2015. Certains politiciens conservateurs établissent des liens sans fondement entre les réfugiés syriens, l’islam et le terrorisme durant la campagne électorale. En octobre 2015, les médias rapportent que près de 7 500 demandes d’asile renvoyées au Canada par l’ONU sont demeurées non traitées par l’ancien gouvernement. Ces demandes sont toujours en suspens alors même que le public commence à faire pression sur le gouvernement pour qu’il dévoile ses plans en réponse à la crise syrienne.

Face à la réponse inadéquate de l’ancien gouvernement dans la crise des réfugiés syriens, les répondants privés redoublent d’efforts pour amener plus de Syriens au Canada. Par exemple, à l’automne 2015, des écoles primaires à Toronto et une école secondaire en Colombie-Britannique entreprennent de faire venir des familles syriennes et de les soutenir; des groupes communautaires et organisations religieuses organisent des initiatives semblables. Les universités s’engagent également à accueillir plus d’étudiants parmi les réfugiés syriens et mettent sur pied des projets visant à fournir de l’aide pour les demandes de parrainage au Canada et à mettre en place un soutien à l’éducation pour les réfugiés syriens dans les pays d’accueil comme le Liban.

La réponse du Canada au conflit en Syrie devient un enjeu incontournable de l’élection fédérale d’octobre 2015. Le parti libéral fait de nombreuses déclarations sur la nécessité de réformer le système de réinstallation des réfugiés au Canada, et s’engage à accueillir plus de 25 000 réfugiés syriens s’il est élu. Le 24 novembre 2015, le gouvernement nouvellement élu dévoile son plan face à la crise syrienne, et atteint son objectif d’accueillir 25 000 réfugiés syriens à la fin de février 2016. Les libéraux effectuent un certain nombre de changements d’orientation progressistes, consolidant ainsi leur rôle de chef de file dans la question des réfugiés et permettant au Canada de montrer un visage plus accueillant. Entre autres décisions, le gouvernement promet d’abroger les dispositions de la Loi sur la citoyenneté qui accordent au gouvernement le droit de retirer la citoyenneté des personnes ayant une double nationalité. Il promet également d’augmenter l’âge limite des enfants à charge à 22 ans à des fins d’immigration et d’introduire des réformes au Programme des travailleurs étrangers temporaires. De plus, le gouvernement rétablit pour tous les réfugiés, y compris les Syriens, la couverture médicale complète, laquelle avait été réduite considérablement sous l’ancien gouvernement conservateur.

Cependant, dans le cadre de sa réponse à la crise, le gouvernement libéral annonce qu’il accordera la priorité à la réinstallation des cas jugés comme présentant un faible risque pour la sécurité, ce qui vise principalement les femmes, les enfants et les familles, excluant ainsi les hommes célibataires. Cette annonce coïncide avec les attaques terroristes à Paris en novembre 2015. La décision semble émaner de l’idée que les hommes célibataires qui sont originaires du Moyen-Orient représentent de plus grands risques pour la sécurité et doivent être craints puisqu’ils correspondent au portrait-type de terroristes. Face aux critiques du public, le gouvernement précise que les hommes homosexuels seront également accueillis en priorité et que les hommes célibataires ne seront pas catégoriquement exclus de la réinstallation au Canada.

Le secrétaire général de l

Au début de 2017, le gouvernement libéral a accueilli près de 39 000 réfugiés depuis son élection en novembre 2015. Ce nombre comprend à la fois les réfugiés pris en charge par le gouvernement et ceux qui sont parrainés par le secteur privé. À compter de janvier 2017, le gouvernement libéral limite l’accueil des réfugiés de Syrie et d’Irak à 1 000 nouveaux cas, affirmant que ce plafond « s’inscrit dans une stratégie plus vaste qui vise à corriger l’arriéré de demandes et les longs délais d’attente dans la catégorie des réfugiés parrainés par le secteur privé. » Cette décision fait l’objet de nombreuses critiques dans les communautés qui parrainent des réfugiés.

Critiques du programme de réinstallation des réfugiés syriens au Canada

Bien que le public et les médias se montrent généralement accueillants envers les réfugiés, certains cas troublants de violence et d’islamophobie sont recensés au pays. En novembre 2015, une mère musulmane à Toronto est victime d’une agression en allant chercher ses enfants dans une école primaire, alors qu’on lui dit « retourner dans (son) pays ». Une mosquée est incendiée à Peterborough, tandis que celle de Cold Lake, en Alberta, est vandalisée à deux reprises. Un groupe de réfugiés syriens est aspergé au poivre de Cayenne lors d’une cérémonie d’accueil à Vancouver. Plus récemment, l’attaque du Centre culturel islamique de Québec, au cours de laquelle six hommes sont tués, rappelle l’urgence de lutter contre l’islamophobie.

La façon dont le gouvernement gère la réinstallation d’un si grand nombre de réfugiés fait également l’objet de critiques. Bien que le gouvernement libéral tienne sa promesse d’accueillir 25 000 réfugiés syriens, un grand nombre d’entre eux ne peuvent être logés immédiatement et doivent attendre pendant de longs mois, vivant à l’étroit dans des chambres d’hôtel à Toronto jusqu’à ce que des logements permanents soient trouvés. De plus, d’importants retards surviennent dans le traitement des cas de réfugiés syriens provenant de la Turquie, de la Jordanie et du Liban, même si des groupes de répondants privés ont assemblé les fonds et les ressources nécessaires et ont bien souvent déjà été jumelés à une famille syrienne. Si l’objectif d’accueillir un grand nombre de réfugiés en quelques mois est louable, leur réinstallation exige d’importantes ressources, étant donné la nécessité de fournir des services liés au logement, à l’éducation et à l’emploi.

On reproche également au gouvernement d’avoir mis en place un système à deux vitesses, puisque les cas de réfugiés syriens sont traités rapidement, tandis que les réfugiés d’autres pays continuent d’attendre pendant des années, même s’ils ont déjà un groupe de répondants privés prêts à les accueillir. Des organisations telles que le Conseil canadien pour les réfugiés continuent de faire pression sur le gouvernement afin qu’il veille à ce que tous les réfugiés, quelle que soit leur origine, aient accès à une réinstallation transparente dans un délai raisonnable. À titre de chef de file des questions humanitaires, le Canada doit saisir l’occasion de mettre sur pied des politiques adéquates pour l’accueil des réfugiés et s’assurer que des ressources suffisantes sont allouées à leur réinstallation, après leur arrivée au pays.