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Réserves à Terre-Neuve-et-Labrador

Terre-Neuve-et-Labrador compte deux groupes des Premières Nations : les Mi’kmaq, qui vivent sur l’île de Terre-Neuve, et les Innus, qui habitent le centre et le nord du Labrador. Trois réserves sont situées dans la province. Deux de celles-ci sont innues, soit les réserves Sheshatshiu et Natuashish, qui regroupent respectivement les Premières Nations Sheshatshiu Innu et Mushuau Innu. La troisième, Miawpukek Mi’kamaway Mawi’omi (généralement appelée Miawpukek ou, parfois, Conne River), est mi’kmaq. Alors que certains Autochtones vivent dans ces réserves, d’autres vivent dans des communautés non autochtones partout dans la province. En mars 2019, 28 293 personnes vivant à Terre-Neuve-et-Labrador sont inscrites comme Indiens. Parmi eux, 12 % vivent dans des réserves. Ce faible pourcentage est entre autres expliqué par le fait que les Qalipu Mi’kmaq, une bande de la côte ouest de Terre-Neuve qui représente l’un des plus grands groupes autochtones du pays, ne possèdent aucune terre de réserve. Le Labrador compte également plusieurs communautés inuites qui, tout comme les autres groupes inuits ailleurs au pays, n’ont aucune réserve.

Mots-clés

Réserve

Terre mise de côté par le gouvernement fédéral pour l’usage d’une bande autochtone. Les réserves sont gérées en vertu de la Loi sur les Indiens.

Bande

Terme colonial défini par la Loi sur les Indiens et désignant un groupe des Premières Nations qui possède, généralement, une terre de réserve. Plusieurs bandes préfèrent la dénomination de Première Nation et ont changé leur nom en conséquence.

Premières Nations

Peuples autochtones du Canada qui ne sont ni métis ni inuits. Le terme « Première Nation » peut aussi désigner une bande ou un peuple faisant partie d’un plus grand groupe autochtone. Par exemple, la Première Nation crie comprend plusieurs petites communautés (ou bandes), comme la Première Nation crie de Beaver Lake, en Alberta, et la Première Nation crie de Moose, en Ontario.

Indien inscrit

Terme juridique appliqué aux membres des Premières Nations dont le nom est inscrit dans le Registre des Indiens, un document tenu par le gouvernement fédéral. Pour obtenir le statut d’Indien inscrit, certains critères définis dans la Loi sur les Indiens doivent être respectés.

Géographie

La terre des Innus se nomme le Nitassinan, tandis que celle des Mi’kmaq est appelée le Mi’kma’ki. Le Nitassinan trouve son origine sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, au Québec, et traverse le Labrador pour se rendre jusqu’à la mer du Labrador. Ce territoire traditionnel principalement situé dans le Bouclier canadien est recouvert de forêt boréale, de toundra alpine et d’innombrables lacs et rivières. Les explorateurs français, à leur arrivée, nomment les Innus les Montagnais en raison du terrain escarpé de la région.

Le Mi’kma’ki, quant à lui, s’étend sur les provinces maritimes, le sud-est du Québec et Terre-Neuve. Faisant partie de la région des Appalaches, il se distingue par la chaîne de montagnes des Appalaches ainsi que par les îles, les rivières, les fleuves et les baies du Canada atlantique. Le riche territoire a permis aux Mi’kmaq d’exploiter plusieurs ressources, notamment le poisson et le gibier.

Des trois réserves de la province, la communauté innue de Natuashish est celle qui possède la plus grande superficie, soit environ 43 km2. Située sur la côte nord du Labrador, dans la baie de Sango, la réserve Natuashish est accessible par avion tout au long de l’année ou par traversier du début de juillet au début de novembre. Pendant les mois d’hiver, un sentier de motoneige nommé Trans Labrador Trail (sentier translabradorien) relie la réserve Natuashish aux communautés inuites de la côte.

L’autre réserve innue de Terre-Neuve-et-Labrador, Sheshatshiu, se situe dans un lieu de rassemblement traditionnel au centre du Labrador, à 33 km au nord de Happy Valley-Goose Bay. Sheshatshiu, qui signifie « partie étroite du fleuve », est l’endroit où l’eau douce des glaciers des terres intérieures se mélange à l’eau salée de l’Atlantique Nord, soit à la pointe du lac Melville. La région, riche en poisson et en gibier, attire les gens depuis des milliers d’années.

La réserve des Mi’kmaq, Miawpukek, correspond à un endroit où la Première Nation semi-nomade campait régulièrement. Signifiant « rivière moyenne », Miawpukek se situe à l’embouchure de Conne River, au sud de Terre-Neuve. Le centre de services et l’aéroport les plus rapprochés se situent à Gander, à environ 250 km au nord-est de la réserve. 

Histoire

Les peuples autochtones habitent la région de Terre-Neuve-et-Labrador depuis environ 10 000 ans. Les Innus sont un peuple traditionnellement semi-nomade vivant dans les terres du Labrador. Des preuves archéologiques démontrent que les Innus se rendent dans la région de Sheshatshiu, là où se trouve actuellement la réserve, depuis au moins 2 000 ans : les cours d’eau, le littoral et la forêt boréale de l’endroit ont toujours été une promesse d’abondance de poissons et d’animaux. Les Innus chassaient le caribou, l’ orignal, l’ours, le castor, l’ otarie et le phoque et pêchaient le saumon et la truite. Les Mi’kmaq, aussi un peuple traditionnellement semi-nomade, voyageaient quant à eux selon les saisons et se déplaçaient dans le Canada atlantique et le nord de la Nouvelle-Angleterre pour chasser, trapper et pêcher. La réserve des Mi’kmaq, Miawpukek, se trouve là où était situé un campement populaire semi-permanent.  

Le saviez-vous?
Terre-Neuve a jadis été la terre des Beothuk, un peuple autochtone qui vivait principalement sur la côte de l’île. La fondation de colonies européennes permanentes dans les années 1700 a grandement modifié le mode de vie de la bande, qui s’est vu bloquer de plus en plus l’accès aux baies où elle pratiquait la pêche. Le manque de ressources et l’exposition aux maladies européennes ont mené à une diminution rapide de la population des Beothuk. La dernière Beothuk connue, Shawnadithit, est morte de tuberculose à St. John’s en juin 1829.

La création de la plupart des réserves au Canada débute au milieu des années 1800. La première réserve de Terre-Neuve-et-Labrador, Miawpukek, n’est cependant créée qu’en 1987. Bien que les peuples autochtones de la province aient été parmi les premiers à entrer en contact avec les Européens – avec les Vikings autour de 986, puis avec les baleiniers basques en 1540 –, l’installation des Européens dans la région se fait tardivement.

Jusqu’à la fin des années 1700, la seule forme de gouvernance non autochtone dans la région est celle des amiraux de la pêche. Un amiral de la pêche est le premier capitaine de bateau à entrer dans un port au début de la saison de pêche. Les bateaux de pêche britanniques arrivent alors sur la côte de Terre-Neuve au printemps pour retourner en Grande-Bretagne à l’automne. Les Britanniques considèrent alors que Terre-Neuve, contrairement au reste du Canada, est davantage une industrie qu’un endroit à coloniser. Au Labrador, les Français intègrent les Innus à leur traite de fourrures. C’est aussi sur ce territoire que la Compagnie de la Baie d’Hudson installe ses premiers postes de traite en 1836. Les échanges entre les Européens et les peuples autochtones de la région ne gagnent cependant pas la même ampleur qu’ailleurs au pays et ne sont régis par aucune loi. Ainsi, les contacts entre le gouvernement et les Mi’kmaq sont rares avant la fin des années 1800. La relation entre les Innus et le gouvernement, quant à elle, ne se développe qu’à partir du milieu des années 1900.   

Puisque la Grande-Bretagne tarde à coloniser Terre-Neuve-et-Labrador, il n’existe encore aucun traité entre le gouvernement et les Inuits, les Innus ou les Mi’kmaq lorsque la colonie vote pour se joindre à la Confédération en 1949. De plus, les conditions liées à l’incorporation de la province au sein du Canada ne font aucune mention des peuples autochtones. Ailleurs au pays, les relations entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations sont encadrées par la Loi sur les Indiens, une loi visant à assimiler les Premières Nations à la société canadienne en leur offrant certains services. Certains avancent que les peuples autochtones n’ont pas été inclus dans les dispositions de la confédération de Terre-Neuve-et-Labrador pour éviter au gouvernement fédéral les frais élevés générés par ces services. D’autres proposent plutôt que les fonctionnaires provinciaux ne voulaient pas que les Premières Nations perdent leur droit de vote, ce qui serait le cas s’ils étaient soumis à la Loi sur les Indiens (voir Droit de vote des peuples autochtones).

En 1984, après plusieurs années de négociations, les Mi’kmaq de la réserve Miawpukek sont inscrits comme bande en vertu de la Loi sur les Indiens. En 1987, la communauté obtient le statut de réserve. Plusieurs Mi’kmaq de Terre-Neuve ne faisant pas partie de la communauté Miawpukek sont aujourd’hui membres de la Première Nation Qalipu, autrefois connue sous le nom de la Federation of Newfoundland Indians (association des Autochtones de Terre-Neuve). En 2011, la Première Nation Qalipu est inscrite comme bande. Ses membres n’ont toutefois aucune terre de réserve.

Pour les Innus, le processus de reconnaissance gouvernementale s’avère encore plus long. Dans les années 1960, le gouvernement provincial bâtit des maisons à Sheshatshiu et à Davis Inlet, une communauté située à environ 18 km à l’est de la réserve Natuashish actuelle. Il rend également l’éducation obligatoire pour tous les enfants innus et menace de cesser de verser les prestations d’assistance sociale aux familles dont les enfants ne fréquentent pas d’école. Cette menace force alors les Innus, encore semi-nomades, à demeurer au même endroit pendant la majorité de l’année, ce qui a de grandes répercussions sur leur mode de vie. À Davis Inlet, par exemple, les problèmes se multiplient. Située sur une île au large de la côte du nord du Labrador, la communauté est coupée de la partie continentale deux fois par année, soit pendant les périodes de gel, à l’automne, et de dégel, au printemps. L’île rocheuse rend impossible l’installation d’un réseau d’égouts, et les maisons sont à peine plus que des cabanes de papier goudronné. Les conditions de vie deviennent alors rapidement inadéquates pour la population grandissante de la communauté. Des cas d’alcoolisme, de suicide et d’abus de drogues à Davis Inlet font alors régulièrement la une à l’échelle nationale.

En 2002, la communauté est relocalisée sur les terres actuelles de la réserve Natuashish, dans la baie de Sango. Elle est maintenant reliée au reste du continent, contrairement à Davis Inlet, et est dotée de meilleurs égouts, maisons, routes et écoles. Également en 2002, le gouvernement canadien reconnaît pour la première fois les Innus comme des Indiens inscrits. Les communautés Natuashish et Sheshatshiu obtiennent le statut de réserve peu de temps après, soit en 2003 et en 2006, respectivement.    

Démographie

Première Nation Mushuau Innu

Jeune fille de la Première Nation Mushuau Innu avec une raquette innue traditionnelle lors d’une journée culturelle à Natuashish, en novembre 2015. 

(© Ossie Michelin)
Au printemps 2019, la Première Nation Sheshatshiu Innu compte le plus grand nombre de personnes habitant une réserve, soit 1 563. Elle est suivie par la Première Nation Mushuau Innu à Natuashish, qui compte 979 habitants. La réserve de la Première Nation de Miawpukek dénombre quant à elle 840 résidents. 

Les Innus vivant dans les réserves Natuashish et Sheshatshiu parlent des dialectes de l’innu-aimun, une langue appartenant à la famille des langues algonquiennes ( voir Langues autochtones au Canada). Leur population est plutôt jeune : plus de 55 % des résidents, dans les deux réserves, ont moins de 25 ans, alors que cette tranche d’âge, sur l’ensemble de la province, représente seulement 25 %.

Les Mi’kmaq vivant dans la réserve Miawpukek parlent le mi’kmaq, qui fait aussi partie des langues algonquiennes. La population de Miawpukek est elle aussi peu âgée : 34 % de ses habitants ont moins de 25 ans.

Politique

Joseph Riche

Portrait de Joseph Riche, ancien grand chef de l’Innu Nation et résident de Sheshatshiu, en 2010. 

Les réserves au Canada ont le choix entre trois systèmes électoraux : celui de la Loi sur les Indiens, celui de la Loi sur les élections au sein de premières nations ou un système personnalisé selon la bande. Les trois réserves de Terre-Neuve-et-Labrador ont choisi d’adopter un système électoral personnalisé. Miawpukek élit son chef et six conseillers tous les deux ans et regroupe des formes traditionnelles de gouvernement et des éléments électoraux définis par la Loi sur les Indiens. Par exemple, le gouvernement des Miawpukek est traditionnellement formé d’un saqamaw, ou chef, et d’un deuxième chef qui prend le relais lorsque le saqamaw doit quitter la communauté. Cette tradition est maintenue dans le système électoral personnalisé : le conseiller récoltant le plus de votes devient le deuxième chef.

Les deux communautés innues de la province, Sheshatshiu et Natuashish, tiennent toutes deux des élections tous les trois ans. Les Sheshatshiu élisent un chef et six conseillers, tandis que les Natuashish élisent un chef et quatre conseillers.

En plus de leurs conseils de bande, les résidents des réserves de Sheshatshiu et de Natuashish sont également représentés par l’Innu Nation. Fondée en 1976 sous le nom de Naskapi Montagnais Innu Association (association innue des Naskapis et des Montagnais), l’organisation vise à protéger la culture, la terre et les ressources innues et à offrir une représentation politique unifiée des peuples innus. À chaque élection de la branche exécutive de l’organisation, les postes de grand chef et de grand chef adjoint sont attribués en alternance aux Sheshatshiu et aux Natuashish.

Défis et réussites

Le gouvernement provincial retire plus souvent les enfants innus de leur famille que ceux des autres communautés. Par exemple, alors que les résidents des réserves Sheshatshiu et Natuashish représentent seulement 0,4 % de la population de la province, 20 % des enfants pris en charge par l’État proviennent de ces réserves. La Innu Nation et les gouvernements fédéral et provincial ont lancé une enquête sur la situation des enfants innus dans le système de placement en famille d’accueil. La violence intrafamiliale et la dépendance sont d’importants problèmes dans les communautés innues. Pour lutter contre ces cercles vicieux de maltraitance, l’Innu Nation a investi dans des refuges pour femmes et des programmes de traitement de la dépendance. Elle offre aussi régulièrement aux membres de sa communauté des activités liées à la terre, comme la chasse et la raquette.

Les Miawpukek connaissent eux aussi leur lot de défis. Dans les années 1970, par exemple, la communauté affiche un taux de chômage de près de 90 %. À l’époque, elle n’a ni le statut ni les services des réserves. Depuis qu’elle est devenue une réserve, Miawpukek a su redresser son économie et a aujourd’hui un taux d’emploi frôlant les 100 %.

Arts et culture

Pow-wow à Miawpukek

Peter et Pasamay Doucette qui dansent lors du pow-wow de 2009 à Miawpukek. 

(photo de John Jeddore/flickr, CC)

À l’été et au début de l’automne, les réserves Natuashish et Sheshatshiu organisent plusieurs festivals qui présentent des musiques traditionnelles et non traditionnelles. Les Innus ont un grand respect pour le tambour. Une personne doit rêver trois fois au tambour avant d’avoir le droit d’en jouer. Les danseurs forment un cercle autour d’un seul batteur, qui joue du tambour et chante pour attirer la bonne fortune. Les musiciens innus qui participent régulièrement à ces festivals incluent l’auteur-compositeur-interprète David Hart, de Sheshatshiu, et le groupe rock Gregoire Boys, de Natuashish. En plus de ces festivals, des Innus de partout dans la province se regroupent dans la brousse et installent des tentes pour se réunir, jouer de la musique et manger des plats traditionnels.

Parmi les artistes de la communauté, Marry Ann Penashue est une peintre innue renommée de Sheshatshiu dont l’œuvre est présentée dans des galeries partout au Canada. Christine Poker de Natuashish, quant à elle, est une cinéaste ayant réalisé de nombreux films sur les légendes innues.

Miawpukek accueille chaque année depuis 1996 le plus grand pow-wow de la province. Plusieurs artistes proviennent également de cette communauté, par exemple Robin Benoit, danseur du châle d’apparat, Jerry Evans, artiste peintre et danseur traditionnel, et le chef Mi’sel Joe, auteur.