Robert Kroetsch, écrivain, rédacteur et professeur (Heisler, Alb., 26 juin 1927 - Edmonton, 21 juin 2011). Il grandit dans la ferme de son père et fait ses études à l'Université de l'Alberta et à l'University of Iowa. Il enseigne ensuite à la State University of New York (à Binghamton) jusqu'à la fin des années 1970. Au cours de la même période, il écrit une série de romans dont l'action se situe essentiellement en Alberta, ce qui lui vaut de voir sa notoriété s'accroître auprès de la critique.
Son premier roman, But We Are Exiles (1966), est une histoire sérieuse dans laquelle manque l'énergie joyeusement grivoise de ses dernières œuvres. Son thème principal, le chaos dionysiaque opposé à l'ordre apollinien, y est présent même s'il ne l'exploite pas de façon convaincante. Dans The Words of My Roaring (1966), il commence à utiliser la rhétorique des histoires invraisemblables propres aux tavernes des Prairies. The Studhorse Man (1969; trad. L'Étalon, 1990), qui lui vaut le prix littéraire du Gouverneur Général, et Gone Indian (1973) remettent en cause les conventions du roman réaliste de manière hilarante. Badlands (1975; trad. Badlands, 1985), où triomphe le comique, pourrait passer pour une œuvre de fiction féministe compte tenu du mode de narration adopté et des questions qu'elle soulève sur les comportements masculins.
En 1975, Kroetsch publie ses deux premiers recueils de poésie, Stone Hammer Poems et The Ledger. Ce dernier ouvrage, avec Seed Catalogue (1977), The Sad Phoenician (1979) et Sketches of a Lemon (1981), sont parties intégrantes de Field Notes (1981), un « poème continu » dans lequel l'auteur s'interroge sur les questions de genre et de structure ainsi que sur la possibilité d'écrire de la littérature dans le Nouveau Monde. Advice to My Friends (1985), le deuxième volume de Field Notes, est suivi d'Excerpts From the Real World (1986) et de « Spending the Morning on the Beach », qui paraissent dans une nouvelle édition spéciale de Seed Catalogue (1986). Il ne délaisse cependant pas complètement l'écriture romanesque, puisqu'il publie What the Crow Said (1977), dans lequel il expérimente le réalisme magique, et Alibi (1983), présenté comme le premier volume d'une trilogie.
Certains textes qui auraient pu être intégrés à l'ensemble de son œuvre de poésie paraissent dans des publications passagères. Cependant, Kroetsch a déclaré avoir réuni tous ses poèmes « dans un seul volume dont le titre fait allusion à la notion de "poésie complète" tant redoutée du mouvement postmoderne » : Completed Field Notes: The Long Poems of Robert Kroetsch (1989/2000, incluant une introduction de Fred Wah). Alibi, The Puppeteer (1992), publié près de dix ans après Alibi, se joue admirablement des conventions propres à la suite romanesque : l'auteur reprend divers personnages du roman antérieur en faisant mine de s'enquérir de ce qu'ils sont devenus après les avoir perdus de vue. Le roman témoigne de son intérêt renouvelé pour le genre. En 1998 cependant, au lieu de publier le troisième volet de la trilogie, Kroetsch publie The Man From the Creeks, un roman historique qui a pour cadre la ruée vers l'or du Klondike et qui, comme on pouvait s'y attendre, relève de la comédie humaine.
Depuis lors, Kroetsch se limite aux explorations permises par la poésie, parmi lesquelles figurent souvent des structures fictionnelles. The Hornbooks of Rita K (2001), sélectionné pour le Prix littéraire du Gouverneur général, chemine au gré des réflexions du personnage éponyme, qui disparaît à Francfort en 1992, et des efforts de Raymond, son « ami intime », pour les décoder et ainsi peut-être la retrouver. Que les initiales des deux personnages principaux soient R. K. n'est pas un hasard, et les questions que tous les R. K. se posent sur l'écriture, la vie littéraire et la lecture demeurent sans réponse. George Bowering déclare à juste titre que The Hornbooks of Rita K« prétend offrir une chronologie, une succession d'événements, une trame narrative - pour mieux bouleverser tous ces codes narratifs rassurants. » Le ton de Kroetsch y est plus comique que jamais. The Snowbird Poems (2004) semble illustrer une vision plus personnelle, presque lyrique, des vacances, vision sans doute inspirée par le fait de vivre dans la maison d'un écrivain célèbre alors qu'il est écrivain en résidence à l'Université de Calgary. Toutefois, le « je » est plus glissant qu'à l'habitude; c'est un « je » fictif et qui rappelle constamment sa construction au lecteur. Too Bad: Sketches Toward a Self-Portrait (2010) insiste sur la superficialité de toute tentative d'écriture autobiographique qui ne se présente pas comme étant immédiatement et nécessairement fictive. Même si ce sont assurément, et de façon provocatrice, des poèmes qui traitent de vieillesse et de souvenirs, ils prennent le tour comique qui a toujours sous-tendu la conscience sauvage, même si elle est humaine, de l'inéluctable ambiguïté de l'art et de la vie. On peut résumer le questionnement fondamental de la poétique de Kroetsch en une phrase : « Pourquoi les mots ne peuvent-ils pas dire ce qu'ils disent? ».
Kroetsch fait la synthèse d'une nouvelle théorie littéraire : par le biais d'entrevues et d'essais, il encourage une réflexion critique sur l'écriture contemporaine. L'un des exemples les plus significatifs de cette réflexion est sans doute Labyrinths of Voice: Conversations with Robert Kroetsch (1982), dans lequel il s'entretient avec Shirley Neuman et Robert Wilson sur de nombreux sujets. Un entretien avec John Lent est retranscrit dans Abundance (2007). Open Letter (1983) regroupe ses ouvrages critiques et publie un numéro spécial consacré à son œuvre (1984). Sa critique rejoint un public plus vaste dans The Lovely Treachery of Words: Essays Selected and New (1989). En 1995, il publie A Likely Story: The Writing Life, une autobiographie littéraire de ses essais.
En tant qu'enseignant à l'Université de Calgary et à l'Université du Manitoba pendant les années 1970 et 1980, puis à la Saskatchewan Summer School of the Arts, en tant qu'écrivain en résidence à plusieurs reprise et en tant qu'écrivain, il a profondément influencé ce qui s'est récemment écrit dans les provinces des Prairies et ailleurs. Sa générosité et son ouverture d'esprit ont montré à de nombreux auteurs de nouvelles façons de développer leur propre style. En l'honneur tant de son style littéraire que de sa contribution à la culture générale canadienne, Kroetsch est nommé Officier de l'Ordre du Canada en 2004. En 2011, il reçoit le Lieutenant Governor of Alberta Distinguished Artist Award. En mémoire de son travail et de son dévouement littéraire, le Robert Kroetsch Award for Innovative Poetry est remis chaque année à un poète canadien émergent, et le manuscrit gagnant est publié par Snare Books.
Voir aussi : Littérature humoristique de langue anglaise.