Premiers temps : éducation et administration
Au Canada, durant la première moitié du XIXe siècle, la très grande majorité des élèves ayant accès à l’enseignement de maîtres ou de tuteurs, voire simplement à des écoles, sont les enfants de l’élite et ceux vivant en zones urbaines. La plupart des ménages ruraux privilégient, pour leurs enfants, une éducation à domicile ou non loin du foyer, leur fournissant une formation pratique qui les conduira vers les métiers de la sylviculture, de l’agriculture ou de la pêche, voire, pour les filles, vers un rôle de ménagère. Au milieu du XIXe siècle, des promoteurs de l’enseignement public comme Egerton Ryerson en Ontario et John Jessop en Colombie‑Britannique défendent l’idée que des enseignants ayant reçu une formation formelle et des écoles financées par l’État favoriseraient l’harmonie sociale, tout en générant de nouvelles possibilités économiques et en forgeant des personnalités au caractère plus marqué. Les écoles à classe unique se mettent alors à proliférer et parsèment bientôt la campagne canadienne. De la moitié du XIXe siècle à la moitié du XXe siècle, ce type d’écoles animées par un enseignant unique constitue ainsi le modèle dominant d’éducation pour les enfants canadiens vivant en milieu rural. À l’échelon de la colonie comme, plus tard, à l’échelon de chacune des provinces, les fonctionnaires du ministère de l’Éducation ne fournissent, en général, que des orientations très limitées concernant le contenu des cours, les manuels scolaires, les qualifications et l’administration, ce qui signifie qu’il incombe aux conseillers scolaires, membres des commissions locales, de gérer la majorité des questions d’éducation. Dans un contexte où ce sont ces conseillers qui contrôlent le financement, l’achat des équipements et les décisions d’embauche, les enseignants ruraux sont, la plupart du temps, à leur merci.
Concrètement, à cette époque, les expériences vécues au Canada par ces enseignants sont extrêmement variées : l’âge, le sexe, la classe sociale, la race, l’ethnicité, la région et le contexte historique déterminent leur vie, aussi bien en milieu scolaire qu’à l’extérieur. Néanmoins, un certain nombre de points communs émergent, notamment en matière de formation, de conditions de travail et de programmes d’études qu’ils dispensent aux petits Canadiens et aux petites Canadiennes vivant en zone rurale d’un océan à l’autre.
Qualifications et expérience
Du milieu du XIXe siècle au XXe siècle, le petit nombre des élèves et la faiblesse des ressources fiscales se traduisent régulièrement par des difficultés à pouvoir financer l’embauche d’enseignants suffisamment qualifiés. Les commissions scolaires choisissent généralement de garder les écoles ouvertes et d’employer des enseignants sans expérience ou sous‑qualifiés, plutôt que de les fermer faute d’avoir trouvé un enseignant suffisamment compétent. En dehors des zones urbaines, seul un petit nombre d’enseignants suit une formation pédagogique dans des centres de formation des maîtres, appelés écoles normales qui ouvrent tout d’abord, dans les grandes villes d’Amérique du Nord britannique à la fin des années 1840 et au début des années 1850. En fait, la plupart des enseignants en milieu rural ne peuvent s’appuyer, pour se préparer à l’exercice de leur métier, que sur leur fréquentation de l’école secondaire et sur une formation professionnelle réduite de quelques mois. Certains d’entre eux, ayant simplement appris par l’observation et la pratique, n’ont même absolument aucune qualification professionnelle officielle. D’une manière générale, ces enseignants ne sont titulaires que des certifications d’enseignement du plus bas niveau ou de permis d’enseignement temporaires émis par les commissions scolaires ou par les conseillers. Bien que leur nombre moyen d’années d’expérience dans l’enseignement et leurs niveaux de qualification augmentent sensiblement à partir des années 1920, les enseignants ruraux continuent néanmoins à afficher, pour ces deux critères, un certain retard sur leurs homologues urbains.
Ces différences se traduisent évidemment par des écarts de rémunération, atténués toutefois par le fait que les enseignants en milieu rural sont souvent hébergés et nourris par un parent ou par un autre membre de la collectivité au sein de laquelle ils enseignent. Ces avantages leur permettent d’accroître un revenu par ailleurs assez modeste, les dotant d’un certain degré d’indépendance et d’un statut social dans la communauté où ils vivent. Toutefois, en dépit de ces « privilèges », les enseignants en milieu rural restent rarement en poste sur de longues périodes, le taux élevé de rotation du personnel constituant une caractéristique marquée parmi la population des jeunes maîtresses d’école célibataires, habituellement âgées de 17 à 23 ans, qui, jusque dans les années 1960, représente la majorité des titulaires de ces postes. Si certains de ces départs font suite à des licenciements pour des raisons disciplinaires, la plupart de ces maîtresses (et maîtres) d’école partent de leur plein gré, soit pour intégrer des écoles en milieu urbain, soit pour embrasser une nouvelle carrière, soit parce que le salaire est véritablement trop faible. Toutefois, il semble que cette mobilité importante et la faiblesse du niveau de rémunération, particulièrement chez les femmes, soit essentiellement liées à la perception que cette activité d’enseignement constitue pour elles une activité temporaire avant qu’elles ne se marient, n’aient des enfants et n’occupent leur « poste définitif » de femme au foyer au sein de la société.
Bâtiments scolaires
Quelles que soient la période ou la région, les écoles rurales, partout au pays, sont souvent de simples bâtiments reflétant les moyens financiers de la population et ses propres capacités de construction. Il s’agit généralement de structures rectangulaires en bois, en briques ou en pierres composées d’une salle de classe unique et éventuellement de toilettes et d’une petite pièce de rangement. À l’image de la plupart des habitations rurales au Canada, l’immense majorité de ces écoles ne disposent ni d’électricité ni de plomberie intérieure et sont chauffées au moyen de poêles à bois. L’ameublement est réduit à sa plus simple expression. Les enseignants disposent généralement d’un bureau, de quelques livres, de cartes, d’un tableau noir, de craies, de brosses, d’un globe terrestre, d’une horloge, d’un dictionnaire, d’une cloche, d’un balai, d’un coffre en bois ou d’un seau à charbon et d’une pelle pour le poêle.
Ces écoles sont souvent insalubres et dangereuses. La ventilation y est insuffisante, il n’y a pas d’eau courante, et, comme elles sont la plupart du temps construites en bois et chauffées avec un poêle ouvert, le risque d’incendie y est permanent. Dans de telles conditions d’insalubrité, il y a un risque élevé de contracter des maladies contagieuses comme la diphtérie ou la typhoïde, une situation encore exacerbée par des facteurs comme un trop grand nombre d’enfants cohabitant pour les capacités de l’école ou l’infiltration des vidanges dans les puits d’eau. Dans la cour de l’école, on trouve habituellement un puits, une ou plusieurs dépendances et des tas de bois. Dans l’Ouest canadien, où de nombreux élèves se rendent à l’école à cheval, on trouve parfois également des granges ou des étables sur le terrain de l’école. Seules quelques rares écoles sont dotées d’équipements de loisirs. En dépit de tout cela, l’école à classe unique demeure un carrefour communautaire important pour ces populations locales. Elles servent de bureau de vote et on y organise des bals, des concerts de Noël, des réunions politiques, des examens publics, des collectes de fonds, des services religieux et même des mariages et des funérailles.
Programmes scolaires
En dépit de toutes ces activités complémentaires, les écoles demeurent essentiellement des lieux d’éducation. D’une façon générale, les parents vivant en milieu rural sont désireux d’envoyer leurs enfants à l’école non seulement pour la formation scolaire de base dont ils auront besoin pour réussir, à la ferme ou ailleurs, mais également pour les avantages que procure le programme d’études en matière de capacités de socialisation et de construction du caractère. Toutefois, la fréquentation irrégulière de l’école demeure un problème récurrent dans toutes les régions rurales du Canada. Plusieurs facteurs concourent à limiter la présence des élèves à l’école, notamment la nécessité d’aider les parents dans leur travail — particulièrement dans les régions agricoles lors de la saison des récoltes —, les tempêtes de neige ou d’autres conditions météorologiques difficiles ainsi que les trajets parfois longs et périlleux qu’ils doivent entreprendre pour s’y rendre.
À l’école, la plupart des enseignants ruraux mettent l’accent sur les fondamentaux que sont la lecture, l’écriture, l’arithmétique, l’orthographe et la géographie. L’organisation concrète de leçons de ce type est toutefois rendue difficile, dans ces écoles à classe unique, par la diversité des âges et des capacités des enfants. Dans ce contexte, afin de veiller à ce que tous les élèves soient concernés et à ce que tous les sujets soient traités, les enseignants sont contraints d’innover. Cela signifie qu’ils doivent faire preuve de capacités de parallélisation, effectuant, par exemple, une brève présentation à l’intention d’un groupe donné, tandis que d’autres élèves s’adonnent à des tâches qui leur sont propres ou échangent avec des enfants plus âgés sur le travail que l’enseignant leur a demandé. Outre leurs fonctions éducatives stricto sensu, ces enseignants en milieu rural assument souvent un certain nombre d’autres responsabilités, notamment l’allumage du poêle à bois tôt le matin et son maintien en fonctionnement toute la journée, le nettoyage de l’école, la réalisation de petites réparations, la supervision des élèves lors des récréations et pour le dîner ainsi que le travail administratif à l’intention des conseillers et des inspecteurs scolaires.
Déclin de l’école à classe unique
Au tournant du XXe siècle, on commence à assister à la fermeture des écoles à classe unique en milieu rural. Les promoteurs de l’éducation prétendent que la fusion de plusieurs écoles à classe unique dans un seul bâtiment situé dans un village ou dans une petite ville permet de réduire la charge administrative, d’améliorer l’efficacité économique, d’offrir aux enfants un spectre plus large de possibilités éducatives et de fournir une instruction de meilleure qualité. Bien que certains parents renâclent à envoyer leurs enfants dans ces nouvelles écoles regroupées, ce qui les obligerait à parcourir un trajet encore plus long, ce processus est pratiquement achevé dès les années 1960. À cette époque, les écoles à classe unique ne sont déjà plus une solution envisageable pour les élèves canadiens et, avec elles, ce sont également les enseignants en classe unique qui disparaissent.
Voir également l’article Enfants, éducation et loi.