Les agriculteurs des prairies, qui ont souvent à affronter à la sécheresse, doivent se demander qui a eu la brillante idée de cultiver cette région. Les périodes de sécheresse répétitives sont une grande source de risque, d'incertitude et de difficultés pour l'économie de l'Ouest canadien. D'ailleurs, les premiers explorateurs n'étaient pas d'accord sur le potentiel agricole de l'Ouest. Était-ce un désert ou un jardin d'Eden? Les populationnistes canadiens, pleins d'ambitions, préféraient la deuxième option.
Quand le capitaine John Palliser découvre les prairies, il doit penser qu'il s'est perdu et qu'il se trouve en enfer, car la région est aride et inhospitalière. De 1857 à 1860, il organise une expédition financée par la Royal Geographical Society afin d'étudier le potentiel agricole des plaines. Cette région, qu'on nommera par la suite le triangle de Palliser, se situe au nord de la frontière américaine, entre les villes de Cartwright, Manitoba, Lloydminster, Saskatchewan, et Calgary et Cardston (Alb.). Palliser la décrit comme une région impropre à la civilisation, dont la végétation se compose d'herbes courtes et de buissons, avec des conditions désertiques qui permettent à des cactus de pousser dans le fond des coulées.
Palliser remarque cependant que la région est entourée d'une zone fertile, que Henry Hind, qui l'accompagne, avait exploré en 1857 lors de sa propre expédition. Hind en fait une évaluation plus favorable. Il affirme que cette bande de terre fertile longeant la vallée de la rivière Saskatchewan Nord est plus vaste que prévue et reçoit assez de pluies pour permettre l'agriculture. Pour lui, le plus grand obstacle à la colonisation sera vraisemblablement le manque de marchés, et non la géographie.
Au cours des années 1870, John Macoun, un botaniste canadien, nourrit l'espoir d'annexer la région. Il conclut que le triangle de Palliser convient parfaitement à l'agriculture, notamment à la culture du blé, parce que la période des pluies survient au bon moment. Il fournit l'argument agricole nécessaire au tracé de la ligne principale du Canadien pacifique par les prairies.
Les populationnistes se réjouissent à l'idée d'un Eden agricole. Le gouvernement britannique ignore le rapport de Palliser sur les conditions difficiles de la région et encourage la colonisation de la région, même si Dame nature, avec ses nombreuses périodes de sécheresse, se fait peu invitante.
Malgré l'optimisme des explorateurs et du gouvernement, les premiers pionniers remplis d'espoir qui se rendent dans les prairies ont la vie dure dès le début. Quand la situation empire pendant la Grande Crise, dans les années 30, les agriculteurs regardent, impuissants, leur gagne-pain s'envoler avec la poussière que le vent soulève de la terre desséchée. Seul le chardon peut encore pousser. Lorsque le vent se calme, le soleil se met à percer à travers la brume sèche, mais des hordes de sauterelles ravagent le peu qui reste de végétation, mangeant tout sur leur passage.
Dans les années 20, la zone sèche des prairies a été imprudemment ouverte à la colonisation et ensuite frappée par des périodes successives de sécheresse, ce qui n'a fait qu'accentuer les terribles difficultés de la Crise des années 30 (avec la permission des Provincial Archives of Alberta). |
Cette période de sécheresse dure de 1929 à 1937 et dévaste 7,3 millions d'hectares, soit un quart des terres arables du Canada, poussant les agriculteurs à abandonner 13 900 fermes. Pour faire face à la situation, les agriculteurs essaient la mise en jachère (labourage sans ensemencement), la rotation des cultures et le grattage réputé préserver l'humidité du sol, même si, malheureusement, ces procédés rendent le sol vulnérable à l'érosion par le vent.
La sécheresse qui sévit actuellement depuis trois ans dans les Prairies est comparable à celle de la Grande Crise. Toutefois, les leçons qu'on en a tirées font une grande différence pour les agriculteurs d'aujourd'hui.
La sécheresse est un phénomène complexe; ce n'est pas seulement un manque de pluie. Elle implique aussi l'évaporation, la transpiration, l'eau souterraine et les chutes de neige. Un tiers de l'humidité du sol au printemps provient des chutes de neige survenues entre octobre et mars. Par contre, comme le disent les agriculteurs : "on ne perd pas ses récoltes en janvier". L'abondance de neige en hiver ne garantit pas de bonnes conditions au printemps. En effet, il faut également tenir compte de l'érosion, de la période et du type de précipitation ainsi que de la vitesse à laquelle la neige fond.
L'Administration du rétablissement agricole des Prairies de 1935 a fourni de l'aide technique et financière à la communauté agricole dont les récoltes ont été ravagées par la sécheresse. L'organisation a développé des abreuvoirs pour le bétail, la culture en bandes pour prévenir la sécheresse du sol, l'ensemencement des terres non cultivées pour le pâturage collectif et la plantation d'arbres pour protéger le sol de l'érosion éolienne.
Les techniques agricoles modernes préconisent une meilleure gestion des terres et la conservation du sol tout en permettant d'obtenir un meilleur rendement des cultures. Elles conseillent aussi de déranger le sol le moins possible pendant l'ensemencement, en évitant de le labourer ou en semant directement, ce qui réduit la perte d'humidité, et d'y laisser les résidus de récolte sur lesquels la neige collera en hiver, augmentant ainsi l'humidité du sol et offrant une protection contre l'érosion causée par l'eau et le vent. La diversification des cultures permet aussi, lorsqu'un produit ne pousse pas, de vivre d'un autre produit.
Finalement, Dame Nature tient le gros bout du bâton dans le triangle de Palliser, mais pour peu qu'on s'adapte à l'environnement et qu'on tire des leçons du passé, les prédictions de Macoun concernant une région capable de produire de bonnes récoltes de blé se réalisent, avec ou sans sécheresse.