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Sir Ambrose Shea

Sir Ambrose Shea, diplomate, homme politique, homme d’affaires et propriétaire de journal (né vers 1815 à St. John’s, à Terre-Neuve ; décédé le 30 juillet 1905 à Londres, en Angleterre). Sir Ambrose Shea a été l’un des hommes politiques terre-neuviens les plus influents du 19e siècle. Il a siégé à la Chambre d’assemblée de la colonie pendant 34 ans, dont six à titre de président. Il a également joué un rôle clé dans les administrations libérales et conservatrices, ayant traversé le parquet à deux reprises. Habile orateur et diplomate, il était admiré pour ses tentatives de réparer les divisions politiques entre catholiques et protestants, et pour sa promotion du développement économique de l’île. Son soutien enthousiaste à la Confédération à la suite de la Conférence de Québec en 1864 a nui à sa carrière à Terre-Neuve, car la Confédération n’y a gagné en popularité qu’au milieu du 20e siècle. Il est néanmoins considéré comme l’un des Pères de la Confédération. Il a également été gouverneur des Bahamas.

Sir Ambrose Shea

Sir Ambrose Shea, politician, Montréal, Québec, 1885
William Notman & Son, Musée McCord, II-77257.1 http://www.mccord-museum.qc.ca/fr/collection/artefacts/II-77257.1


Premières années

Le père de sir Ambrose Shea, Henry Shea, est un commerçant prospère. Il arrive à Terre-Neuve à la fin du 18siècle. Il élève trois filles et six garçons. Un de ces derniers passe sa vie en Angleterre. Les cinq autres enfants deviennent des notables de la société terre-neuvienne. Deux deviennent médecins et deux sont éditeurs du journal appartenant à la famille, The Newfoundlander. Le plus jeune, Edward, siège, comme sir Ambrose Shea, à la Chambre d’assemblée pendant de nombreuses années.

Début de carrière

À la naissance de sir Ambrose Shea à St. John’sen 1815, Terre-Neuve est une jeune colonie de quelque 40 000 habitants. Ce chiffre est déjà multiplié par plus de deux lorsque sir Ambrose Shea est élu pour la première fois à l’Assemblée en 1848. L’île reste malgré tout ignorée de l’Empire britannique. Quasiment dépourvue de terres arables ou d’une industrie lourde, Terre-Neuve dépend de l’exportation de poisson et de l’importation de biens manufacturés. Dans ce contexte, sir Ambrose Shea s’attache à développer et à diversifier l’économie locale par le biais de réseaux commerciaux coloniaux. Il prône la mise en place de trajets réguliers de bateaux à vapeur vers Halifax et Montréal, et la construction d’un chemin de fer traversant l’île. Ces initiatives en font un acteur clé pour le gouvernement. Connu pour son éloquence et sa diplomatie, il noue des liens étroits à St. John’s en vendant et en affrétant des navires au début de sa carrière. Il se trouve ainsi dans une situation avantageuse pour négocier avec des investisseurs privés au nom du gouvernement.

Sir Ambrose Shea est élu pour la première fois représentant libéral du district de Placentia-St. Mary’s. Les deux points principaux du programme libéral sont la mise en place du libre-échange avec les États-Unis et d’un gouvernement responsable. Sir Ambrose Shea joue un rôle actif dans la réalisation de ces deux objectifs. En 1853, il se rend dans la ville de Washington afin de négocier l’adhésion de Terre-Neuve au traité de réciprocité liant le Canada et les États-Unis. Il s’agit de la première d’une série de missions diplomatiques au nom de la colonie.

Néanmoins, tout ne se déroule pas aussi paisiblement. Membre important du caucus libéral, il mène campagne pour un gouvernement responsable, ce qui le fait entrer en conflit direct avec les gouverneurs de la colonie (John Gaspard Le Marchant, puis Ker Baillie-Hamilton), qui refusent de se soumettre à l’autorité de la Chambre de l’assemblée. Après sept années de polémique, le gouvernement responsable est accordé par leministère des Colonies. Il est mis en place dès les élections de 1855, au cours desquelles sir Ambrose Shea est réélu et les libéraux conservent la majorité absolue.

Président de l’Assemblée

Pendant les six années suivantes, sir Ambrose Shea est président de la Chambre de l’assemblée. Ce poste, axé sur les aspects plus techniques du gouvernement et de la définition des politiques, l’éloigne temporairement des controverses publiques. Pourtant, en juillet 1858, le poste de premier ministre échoit à John Kent, dirigeant proclérical dont le jeu politique est à l’opposé de celui de sir Ambrose Shea, pour sa part convaincu que le sectarisme religieux n’a pas sa place au gouvernement. Très vite, les libéraux sont considérablement affaiblis par les querelles intestines entre sir Ambrose Shea, John Kent et le procureur général. Ambrose Shea menace en outre de démissionner de son poste de président. Il est alors pris à partie par les rédacteurs de The Public Ledger, journal concurrent de The Newfoundlander, pour « l’audace dont il fait preuve en tentant de prendre le contrôle du gouvernement en démissionnant ». Les libéraux perdent de peu les élections de 1861 face aux conservateurs. Sir Ambrose Shea se retrouve ainsi dans l’opposition.

Confédération

Terre-Neuve est invitée à participer à la Conférence de Québec à l’automne 1864. Le gouvernement envoie deux délégués: Ambrose Shea, pour représenter les libéraux-catholiques, et le nouveau président de l’Assemblée, Frederic Carter, pour représenter les protestants-conservateurs. Ils deviennent de fervents défenseurs de la Confédération. Cela étant dit, ils éprouvent tous deux des difficultés à convaincre leurs collègues et leurs électeurs de ses avantages. L’île jouit d’une relative autonomie depuis une décennie, après l’obtention du gouvernement responsable ; d’aucuns estiment que leurs intérêts risquent d’être négligés par un gouvernement situé en dehors de la colonie et indifférent à leurs problèmes.

L’année suivante, Frederic Carter devient premier ministre. Sir Ambrose Shea, son frère Edward et John Kent rejoignent le nouveau gouvernement. Dès 1869, l’arène politique voit désormais s’opposer les pro-Confédération, conduits par Frederic Carter et sir Ambrose Shea, et les anti-Confédération, conduits par Charles James Fox Bennett. L’équipe de sir Ambrose Shea essuie une cuisante défaite et il perd son siège pour la première fois.

(Voir aussi The Anti-Confederation Song (chanson anti-confédération); Terre-Neuve-et-Labrador et la Confédération.)

Fin de vie et de carrière

Ambrose Shea dispute le siège de l’est de St. John’ssous l’étiquette conservatrice en 1873, mais perd à nouveau. Une autre élection a lieu un an après, mais, cette fois-ci, pour la ville de Harbour Grace. Il en sort vainqueur. Au cours de la décennie que dure son mandat à l’Assemblée, il travaille à nouveau sous le gouvernement de Frederic Carter, puis sous celui de William Whiteway. Il continue de défendre le développement du commerce grâce au navire à vapeur et à ce qui deviendra par la suite la Newfoundland Railway Company. (Voir aussi Histoire du chemin de fer.)

L’épisode le plus éprouvant de ces années-là est certainement celui de 1883. Les tensions religieuses dans la circonscription de sir Ambrose Shea (Harbour Grace) sont portées à leur paroxysme, débouchant sur des émeutes et la mort de trois membres de l’ordre d’Orange et d’un catholique. Dix-neuf catholiques sont jugés. Ils sont rapidement acquittés par la Cour suprême de Terre-Neuve. Cependant, le caucus de William Whiteway décide de condamner officiellement cette décision dans un amendement au discours du trône de 1885. Sir Ambrose Shea et d’autres considèrent cette initiative comme résolument anti-catholique, ce qui l’éloigne du caucus conservateur. Lors des élections de 1885, il change à nouveau d’allégeance et remporte la circonscription de l’est de St. John’s pour les libéraux.

En septembre de cette même année, le gouverneur de Terre-Neuve, John Hawley Glover décède. Sir Ambrose Shea, alors âgé de 70 ans, se porte candidat au poste. En visite à Londres, en Angleterre, il se présente au ministère des Colonies, où il est chaudement accueilli. Frederic Carter est également dans la course, mais sir Ambrose Shea, fort de son expérience diplomatique et de son sens des affaires, part favori. Néanmoins, ses opposants à Terre-Neuve, dont William Whiteway, font pression pour empêcher sa nomination. En 1886, le titre est décerné à sir George William Des Vœux, représentant colonial qui n’entretient jusqu’alors aucun lien avec Terre-Neuve. Sir Ambrose Shea revient à St. John’s, irrité par ce qu’il considère comme une manœuvre de l’ordre d’Orange à son encontre.

Gouverneur des Bahamas

Cependant, un an plus tard, le ministère des Colonies nomme Ambrose Shea gouverneur des Bahamas. Il arrive à Nassau en octobre 1887, accompagné de son épouse Louisa. Ils y restent sept ans. Ambrose Shea consacre son mandat au développement des réseaux de transport et de communication de l’archipel, en particulier le télégraphe et les trajets des navires à vapeur. Il supervise également la construction d’un hôpital et tente d’aider les populations rurales défavorisées en faisant la promotion de la culture du sisal (variété d’agaves).

En 1895, il part avec Louisa pour Londres, où il s’éteint le 30juillet 1905, à l’âge de 90 ans. Ses restes sont rapatriés à St. John’s, où il a droit à des funérailles nationales.

Héritage

Sir Ambrose Shea est un des hommes politiques les plus influents deTerre-Neuvedu 19esiècle. Il siège à la Chambre de l’assemblée de la colonie pendant 34 ans. Bien que n’ayant jamais occupé le poste de premier ministre ou de gouverneur, il joue un rôle clé dans les gouvernements libéraux et conservateurs. Orateur et diplomate talentueux, il est admiré de tous pour ses nombreuses tentatives visant à rapprocher catholiques et protestants, et l’impulsion qu’il souhaite donner au développement économique de l’île.

Sir Ambrose Shea affronte de nombreux obstacles politiques importants. Catholique modéré entretenant des liens étroits avec Londres, il se place en porte à faux pour diriger le Parti libéral, qui, tout au long de sa carrière, reste marqué par son cléricalisme et son nationalisme irlandais. Sa foi catholique en fait aussi un étranger au sein du Parti conservateur, à dominante protestante. Sa défense énergique de la Confédération, qui ne rencontre pas de large soutien parmi la population de Terre-Neuve avant le milieu du 20esiècle, nuit encore plus à sa carrière. Malgré tout, il est considéré comme l’un des Pères de la Confédération.

Voir aussi Pères de la Confédération: tableau; Pères de la Confédération: collection; Éditorial: Comment la communauté « canadianisée » de la Terre-Neuve s’est jointe au Canada; Terre-Neuve-et-Labrador: chronologie.