C'est un signe de maturité lorsqu'un peuple commence à étudier sa propre histoire, sa langue et sa culture. L'étude de la culture des sourds est une discipline récente. On ne connaissait que très peu de choses sur cette culture au Canada jusqu'à ce que des chercheurs appartenant à cette culture commencent à analyser et à faire des recherches sur le quotidien des personnes atteintes de surdité : des personnes possédant leur propre langue, leur histoire, leurs traditions, leurs aspirations et leur culture. Dans les écrits, l'état de surdité et l'identification à la culture des sourds sont souvent différenciés par l'utilisation de la lettre minuscule pour désigner la condition « sourd », et par l'utilisation de la lettre majuscule pour désigner la « culture des Sourds » (voir PERTE D'AUDITION).
Histoire de la culture des Sourds
Il n’existait pas de culture des Sourds ou de communauté officielle de Sourds au Canada avant l’établissement de pensionnats pour les élèves sourds. Les Sourds étaient isolés des autres et, souvent, ne pouvaient recevoir d’éducation. Seulement quelques-uns d’entre eux ont pu étudier dans des écoles en Europe ou aux États-Unis avant que les provinces canadiennes commencent à ouvrir leurs propres écoles pour enfants sourds. Au Canada, la première école pour enfants sourds ouvre à Québec le 15 juin 1831, au 39, rue d’Auteuil, une rue donnant sur l’Esplanade. Deux ans plus tard, Antoine Caron (1813-1847), un ancien élève de cette école, devient la première personne sourde à enseigner aux enfants sourds au Canada. L’Église catholique ouvre deux écoles francophones à Montréal : l’Institution Catholique des Sourds-Muets (pour les garçons) en 1848, et l’Institution Catholique des Sourdes-Muettes (pour les filles) en 1851. En 1870, Thomas Widd (1839-1906), un Anglais sourd, fonde la Protestant Institution for Deaf-Mutes, à Montréal, connue sous le nom de Centre Mackay. Ces deux écoles catholiques ferment au milieu des années 70. Une autre école, l’Institut des Sourds de Charlesbourg, située à une courte distance au nord de la ville de Québec, accueille des élèves sourds de 1961 à 1988.
Le plus ancien établissement d’enseignement connu pour enfants sourds situé à l’extérieur de la province de Québec est la School for the Deaf, à Halifax, Nouvelle-Écosse, fondée en 1856 par deux Écossais sourds, William Gray (1806-1881) et George Tait (1828-1904). Cette école ferme en 1961, quand on ouvre la nouvelle Interprovincial School for the Education of the Deaf, à Amherst, Nouvelle-Écosse. Cet établissement, qui accueille les élèves des provinces de l’Atlantique et de Terre-Neuve et qui a ensuite été connu sous le nom de Centre de ressources de la Commission de l’enseignement spécial des provinces de l’Atlantique pour les personnes handicapées de l’ouïe, n’offre plus de services depuis 1995. Il y a eu trois écoles au Nouveau-Brunswick : la New Brunswick Institution for the Deaf and Dumb (1874-1890), fondée à Saint-Jean par un homme sourd nommé Alfred Henry Abell (1852-); la Fredericton Institution for the Education of the Deaf and Dumb (1882-1902); et la New Brunswick School for the Deaf, à Lancaster (1903-1918). La Newfoundland School for the Deaf à St. John’s, Terre-Neuve, existe depuis 1964.
La Upper Canada Institution for the Instruction of the Deaf and Dumb (1858-1864), à Toronto, Ontario, est la première école pour enfants sourds de cette province. Son nom change pour la Hamilton Institution for the Instruction of the Deaf and Dumb (1864-1870) après son déménagement à Hamilton. En octobre 1870, l’Ontario Institution for the Education and Instruction of the Deaf and Dumb établit ses installations permanentes à Belleville. En 1913, on change le nom de cette école pour l’Ontario School for the Deaf et, en 1974, pour la Sir James Whitney School for the Deaf. Samuel Thomas Greene (1843-1890) est le premier professeur sourd de cette école. Il est aussi cofondateur de l’Ontario Deaf-Mute Association en 1886 (nommée aujourd’hui l’Ontario Association of the Deaf). En 1963, la province ouvre une deuxième école, connue aujourd’hui sous le nom de Ernest C. Drury School for the Deaf, à Milton, et une troisième, la Robarts School for the Deaf, à London, en 1974. Les trois établissements accueillent encore aujourd’hui des élèves sourds.
La Manitoba Institution for the Education of the Deaf and Dumb, qui porte aujourd’hui le nom de Manitoba School for the Deaf, ouvre ses portes à Winnipeg en 1888. On ferme « temporairement » cette école durant la Deuxième Guerre mondiale (période « temporaire » qui dure 25 ans, soit de1940 à 1965). Deux écoles ouvrent leurs portes pendant une courte période à Victoria, en Colombie-Britannique : la British Columbia School for Deaf Mutes (1888-1889) et la Victoria School for the Deaf and Dumb (1899-1900). En 1914, une femme sourde, Lucy Jane Gosse, devenue Elliott (1889-1994), lance un mouvement qui mène à la création, en 1922, de la British Columbia School for the Deaf à Vancouver. En 1955, son nom change pour la Jericho Hill Provincial School for the Deaf. Cette école ferme en 1993, après 71 années d’existence, quand on la fusionne avec le district scolaire 41 de Burnaby. Une première école, la Saskatchewan School for the Deaf, s’installe quelque temps (1915-1916) à Regina, Saskatchewan. En 1931, Rupert J.D. Williams (1893-1973), un homme sourd, fonde la Saskatchewan School for the Deaf, à Saskatoon. En 1982, cette école devient la R.J.D. Williams Provincial School for the Deaf, la seule école à porter le nom d’une personne sourde. Cette école ferme en 1991. L’Alberta School for the Deaf ouvre ses portes en 1955, à Edmonton. En 1995, la commission des écoles publiques d’Edmonton prend en charge la responsabilité provinciale des programmes de cette école.
Récents progrès dans l’éducation des Sourds
Parmi les récents changements apportés dans l’éducation des élèves sourds au Canada notons la création de programmes d’intervention précoce (voir ENSEIGNEMENT SPÉCIAL), l’intégration des élèves sourds dans des écoles locales (soit dans des classes qui leur sont réservées ou avec des élèves « entendants »), l’utilisation de technologies telles que les systèmes en circuit fermé et la modulation de fréquence (FM) pour les élèves utilisant des audiophones ainsi que l’utilisation de différents systèmes de signes artificiels pour représenter l’anglais ou le français oral dans les classes. Dernièrement, une approche bilingue et biculturelle dans l’éducation des élèves sourds a été mise de l’avant. Il s’agit d’une approche qui comprend l’usage de la langue ASL (American Sign Language) et de l’anglais écrit comme langues d’enseignement, et des programmes d’enseignement qui incluent des sujets tels que l’étude de la culture des Sourds afin que les élèves aient une connaissance à la fois de la culture des Sourds et de celle des « entendants ». Dans certaines provinces canadiennes, quelques écoles ont adopté le principe d’un enseignement bilingue et biculturel dans leurs programmes.
Organisations des Sourds
Après leurs études, les élèves tendent à s’installer ou à travailler dans des villes situées près de leurs institutions d’enseignement. Le désir de fréquenter des gens qui parlent la même langue est l’un des facteurs clés dans l’établissement des communautés de Sourds. Afin de demeurer en contact les uns avec les autres, les Sourds canadiens forment des groupes de discussion, des organisations religieuses, et des clubs littéraires, sportifs et sociaux. Ces organisations renforcent les liens entre les personnes sourdes et contribuent au développement de la culture naissante des Sourds. Aujourd’hui, les membres de la communauté des Sourds ont des intérêts sportifs et culturels, et des activités qui leur sont propres (littérature, théâtre, mime, folklore, blagues et organisations sportives), tout en partageant des intérêts communs avec les « entendants » canadiens. Au Canada, la plus ancienne organisation communautaire de Sourds, l’Ontario Association of the Deaf, fondée en 1866, est encore active. D’autres organismes officiels sont gérés par des membres de la communauté des Sourds dont l’Association des sourds du Canada (fondée en 1940 sous le nom de Inter-Provincial Association of the Deaf), l’Association des sports des sourds du Canada (fondée en 1959 sous le nom de Fédération canadienne des sports pour sourds et muets) et la Société culturelle canadienne des sourds (fondée en 1970). Ensemble, ces trois organismes nationaux commanditent le Festival canadien des Sourds qui a lieu tous les deux ans.
Les langues des signes
Le Canada ne possédait pas sa propre langue des signes. Ce sont des immigrants sourds qui, au XIXe siècle, ont apporté leur propre langue des signes au pays. Les immigrants anglais ont introduit la langue BSL (British Sign Language) et les immigrants français ont introduit la langue des signes français (LSF). Les élèves et les professeurs qui ont étudié ou fréquenté les écoles américaines ont introduit une langue connue aujourd’hui comme la ASL (American Sign Language). De nos jours, la majorité des personnes sourdes de culture anglophone résidant au Canada utilisent ASL qui, malgré sa dénomination, est devenu une langue véritablement « continental ». L’usage des langues BSL et LSF a pratiquement disparu. Dans les régions francophones, comme au Québec, les personnes sourdes préfèrent utiliser leur propre langue, la langue des signes québécois (LSQ). Les deux langues, l’ASL et la LSQ, possèdent des variantes régionales (dialectes ou accents).
Entre la fin du XIXe siècle et les années 60, l’usage de la langue des signes était interdit dans beaucoup de classes au Canada. On croyait en effet que cela pouvait compromettre le développement de la parole chez les enfants sourds. Il a été prouvé depuis que cela n’est pas le cas. Dans les années 70 et au début des années 80, des changements majeurs sont survenus dans la philosophie de l’enseignement puisque la recherche en linguistique a fait connaître la structure et les règles de la langue ASL. Quand la communication gestuelle a fait sa réapparition dans les salles de classe, c’était généralement l’un des différents codes gestuels artificiels destinés aux anglophones ou aux francophones qui était utilisé plutôt que la langue de la communauté des Sourds.
Depuis la fin des années 80 et le début des années 90, la communauté des Sourds fait preuve d’intransigeance dans sa lutte pour obtenir une éducation dans sa langue de signes préférée, l’ASL ou la LSQ. Dans certaines écoles, la bataille a été couronnée de succès. Quelques-unes ont en effet adopté une approche bilingue (ASL et anglais) et biculturelle (culture des Sourds et des « entendants »). De plus, quelques législateurs ont officiellement reconnu la langue ASL comme étant la langue de la communauté des Sourds anglophones du Canada. En 1988, le Manitoba devient la première province à reconnaître officiellement cette langue, suivi en 1990 par l’Alberta qui, dans sa résolution provinciale, reconnaît la langue ASL comme une langue optionnelle pour l’enseignement. L’Ontario est la première province, et la seule jusqu’à maintenant, à avoir adopté une loi relativement à l’ASL et au LSQ (1993). La Loi sur l’éducation de l’Ontario a été modifiée afin de reconnaître les langues ASL et LSQ comme langues d’enseignement pour les élèves sourds.
Les droits des Sourds
Pendant de nombreuses années, les Canadiens sourds se sont battus avec acharnement pour obtenir ou pour maintenir certains droits et privilèges tels que le droit de conduire une automobile, d’être juré, d’obtenir les services d’interprètes en langue des signes dans des circonstances médicales ou juridiques, d’obtenir une formation correspondant à leur choix de carrière, de garder leurs propres écoles plutôt que d’être intégrés dans des écoles avec les « entendants », d’utiliser la langue des signes en classe, d’avoir des programmes de télévision sous-titrés, et d’être considérés sur le plan culturel (comme un groupe culturel et linguistique) plutôt que sur le plan pathologique (comme des personnes dont les capacités auditives doivent être « réparées »). Des membres appartenant à la communauté des Sourds et des « entendants » qui soutiennent la culture des Sourds ont manifesté publiquement pour faire connaître ces problèmes aux législateurs, aux éducateurs et au grand public. Les personnes sourdes veulent être reconnues comme faisant partie du patrimoine du Canada, sans avoir à abandonner leur riche culture et leur langue.
Contributions des Sourds
La contribution exceptionnelle des personnes sourdes à la mosaïque culturelle canadienne a été récemment soulignée dans le livre, Deaf Heritage in Canada (1996), écrit par un auteur sourd qui en a fait toute la recherche. Ce livre a été commandité par la Société culturelle canadienne des sourds. Voici quelques exemples des nombreuses personnes qui ont apporté leur contribution : Edward T. Payne, le premier pilote sourd du monde (1931); Donald J. Kidd, la première personne sourde au Canada à recevoir un doctorat en philosophie de l’U. de Toronto (1951); Bertha M. Curtis, la première femme sourde connue à avoir reçu un diplôme honorifique de l’Atlantic School of Theology, à Halifax (1987); Jo-Anne M. Robinson, une athlète sourde qui a battu plusieurs records en natation aux Jeux mondiaux pour les sourds en 1965 et en 1969; Archibald et Duncan MacLellan, les deux premiers procureurs sourds du Canada (dans les années 1860), et Henry Vlug, le premier Canadien sourd à détenir à la fois le titre d’avocat et de procureur, et le premier à être inscrit au barreau (1986). Dorothy E. Beam est encore la seule personne sourde connue à avoir reçu la médaille de l’Ordre de l’Ontario (1987) et Gary L. Malkowski est le premier canadien sourd à devenir membre du Parlement de l’Ontario (1990). On a créé une chaire d’étude sur la surdité à l’U. de l’Alberta (1987) en l’honneur de David Peikoff, un canadien sourd grandement apprécié qui, des années 20 jusqu’à son déménagement aux États-Unis dans les années 60, s’est battu pour obtenir de meilleures conditions d’éducation et de meilleurs emplois pour les Sourds.
Comme d’autres cultures linguistiques, la culture des Sourds englobe une diversité d’individus qui partagent une même langue, des expériences, des buts et des intérêts communs. Tout en maintenant et en protégeant leur culture exceptionnelle, les Sourds du Canada forment un élément vital de la mosaïque culturelle qu’est le Canada.