Éditorial

Super Brume à Toronto

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

« C'est la meilleure partie que j'ai jamais vue... »

Le football fascine les Canadiens de plusieurs façons. Si la plupart d'entre nous ont peu d'espoir d'assister à un match de la Coupe Stanley de ce côté-ci de la frontière, neuf de nos villes peuvent cependant rêver de remporter la Coupe Grey. Ajoutez à cela les étranges règlements canadiens pour prouver que nous sommes différents des Américains (un point pour un placement raté - ô combien canadien!), les rivalités régionales et le fait que le football canadien aide aussi à définir l'identité canadienne.

La Coupe Grey est un don d'Albert Henry George Grey, un autre de ces gouverneurs généraux qui ont laissé leur nom dans notre vie sportive. Promoteur infatigable de plans pour améliorer la santé morale et physique de l'Empire, Grey se laisse convaincre par un journaliste d'Ottawa en 1909 d'offrir une coupe aux champions de football au Canada.

Le premier match de la Coupe Grey a lieu le 4 décembre 1909. L'Université de Toronto remporte la victoire devant 3807 amateurs, mais doit attendre jusqu'en mars pour recevoir la coupe, le personnel de Grey ayant oublié de la commander.

La coupe met du temps à se tailler une place au cœur de la vie sportive canadienne. Les équipes de l'Ouest, toujours forcées de jouer quand cela convient à celles de l'Est, l'ignorent en grande partie. En 1912, les Redmen de McGill refusent de jouer pour la coupe, déclarant qu'ils ne peuvent se permettre de réduire le temps consacré à leurs études.

La coupe cesse de servir de porte-parapluies dans le vestiaire du Club d'aviron des Argonauts de Toronto quand celui-ci est détruit par un incendie en 1947. À partir de 1948, année où les Calgariens s'amènent à Toronto avec chevaux, chapeaux stetsons et voitures-buffets, la coupe devient le couronnement d'une semaine de festivités et l'événement sportif le plus couru au pays.

La réputation du match de la Coupe Grey s'améliore au fil des ans parce que, contrairement à la plupart des événements qui suscitent au départ de grands espoirs, le match tient ses promesses sur le terrain : en 1950, le match se déroule dans la boue et un arbitre sauve un joueur de la noyade; en 1954, Jackie Parker récupère l'échappée de Chuck Hunsinger et court vers la victoire; en 1961, Winnipeg remporte une victoire dramatique en prolongation contre Hamilton; en 1971, McQuaig perd le ballon (Toronto s'incline de nouveau) et les deux équipes s'échangent des bottés dans la dernière minute de jeu, chacune tentant ainsi de remporter la victoire.

Le match de la Coupe Grey le plus étrange demeure sans doute celui qui a lieu à Toronto le samedi 1er décembre et le dimanche 2 décembre 1962 - l'infâme match dans le brouillard. Au deuxième quart, un épais brouillard en provenance des eaux froides du lac Ontario envahit le terrain comme du gaz moutarde sur un champ de bataille. Le Toronto Star rapporte que «l'air de la ville est le plus vicié jamais enregistré... un mélange de soufre et de saletés retenu dans une couche d'air stagnant indiquant des niveaux 10 fois supérieurs à la normale.» Le brouillard cause de nombreuses morts, une circulation chaotique et une vague de crimes.

La visibilité sur le terrain était bonne pour le match du Super Bowl, mais les spectateurs et téléspectateurs ne pouvaient voir le déroulement du jeu. Ici Charlie Shephard attrape le ballon pour un touché. (spectateur de Hamilton)

Sur le terrain, le match est tout à fait époustouflant. Garney Henley, des Tiger Cats de Hamilton, enregistre deux touchés et Bobby Kuntz, en marque un autre. Leo Lewis, des Blue Bombers de Winnipeg, riposte avec deux touchés et permet à Charlie Shephard d'en inscrire un autre. Or, tout cela est quasi invisible pour les spectateurs et téléspectateurs, y compris les américains qui regardent la transmission du match à la populaire émission Wide World of Sports.

Les joueurs perdent le ballon de vue quand il est en vol. En deuxième demie, Joe Zuger, de Hamilton, lance une passe de touché à Dave Viti. «Je l'ai lancé dans le brouillard, déclare-t-il plus tard, et je ne sais vraiment pas comment il a pu le voir descendre.» Les receveurs de botté de dégagement entendent le coup porté au ballon, mais ne peuvent l'apercevoir avant qu'il frappe le sol. «Quand on courait pour le ramasser, déclare Garney Henley, on voyait des corps qui s'avançaient, mais on ne les voyait qu'à partir des genoux jusqu'en bas.»

Pour le commissaire de la LCF, le match est un cauchemar. Il fait le tour du terrain plusieurs fois, scrute le brouillard et déclare que la visibilité n'est pas si mauvaise. Finalement, tandis qu'il ne reste que 9 minutes 29 secondes de jeu, il arrête la partie et annonce qu'elle devra se poursuivre le lendemain. Le pointage est alors Winnipeg 28, Hamilton 27.

Ce samedi soir-là, les amateurs célèbrent dans le centre-ville de Toronto. Contusionnés et exténués, la plupart des joueurs gagnent leur lit dans un motel bon marché sur le bord du lac.

Le match reprend le lendemain tandis que le brouillard se lève. Hamilton contrôle bien le ballon, mais ne marque pas de point. Winnipeg remporte ainsi son quatrième championnat en cinq ans. L'ancien joueur vedette des Eskimos Jackie Parker, qui a fait 17 heures de route depuis sa maison dans le Tennessee pour assister au match, résume : «C'est la meilleure partie que j'ai jamais vue.»

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