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Ted King

Theodore « Ted » Stanley King, militant des droits civiques, courtier immobilier, comptable, porteur pour les chemins de fer (né le 14 juillet 1925 à Calgary, en Alberta; décédé le 7 juillet 2001 à Surrey, en Colombie Britannique). Ted King a été président de l’Alberta Association for the Advancement of Coloured People de 1958 à 1961, une fonction dans laquelle il s’est fait le défenseur des droits des Canadiens noirs. En 1959, il a intenté une action en justice contre la politique discriminatoire d’un motel de Calgary, et ce, plusieurs décennies avant la mise en place, partout au Canada, des protections octroyées par les dispositions législatives sur les droits de la personne. L’affaire a été portée devant la Cour suprême de l’Alberta. La procédure n’a pas abouti; toutefois, l’affaire King a révélé l’existence d’un vide juridique que les hôteliers pouvaient exploiter pour refuser d’accueillir des clients noirs.
Ted King et sa famille
Ted King, au milieu, est accueilli par ses parents à son retour à Calgary, en Alberta. De gauche à droite: John King, Della Mayes, Ted King, Stella King, et Violet King. Photo datée le 21 mars 1946.Ted King, au milieu, est accueilli par ses parents à son retour de Calgary, en Alberta. De gauche à droite: John King, Della Mayes, Ted King, Stella King, et Violet King. Photo datée le 21 mars 1946. (avec la permission des Glenbow Archives/NA-4987-5)

Jeunesse

John et Stella King donnent naissance à Ted à Calgary. Il a un frère, Vern, et deux sœurs, Lucille et Violet. Cette dernière deviendra la première personne noire admise au barreau de l’Alberta et la première avocate noire au Canada. John King travaille comme porteur dans les voitures‑lits du Chemin de fer du Canadien Pacifique, Stella exerçant le métier de couturière.

La famille King s’installe au Canada en 1911 en provenance d’Oklahoma. Les King emménagent tout d’abord dans une localité uniquement peuplée de personnes noires, Keystone, en Alberta. Leur installation dans ce village s’inscrit à la suite d’une vague d’arrivée d’autres colons noirs venus dans la province pour retrouver leur liberté et de nouvelles possibilités économiques (voir Canadiens noirs). À leur arrivée, ces derniers doivent d’abord faire face à des obstacles de type raciste, y compris de la part de certains politiciens, un député conservateur s’étant prononcé contre l’immigration des Noirs lors d’un discours intitulé : « Nous ne voulons pas de “taches noires” en Alberta », une phrase restée tristement célèbre.

LE SAVIEZ‑VOUS?
Le décret C.P.  1324 a été approuvé le 12 août 1911 par le Cabinet du premier ministre sir Wilfrid Laurier. Son objectif consistait à interdire l’entrée des personnes noires au Canada pour une période d’un an, et ce, tel que mentionné dans le texte, parce que « la race noire [...] est considérée comme inadaptée au climat et aux exigences du Canada ». Ce décret n’a jamais été inscrit dans la loi; toutefois, les mesures prises par les fonctionnaires gouvernementaux ont clairement démontré que les immigrants noirs n’étaient pas les bienvenus au Canada.

Après avoir terminé ses études secondaires, Ted King entre dans les Forces armées canadiennes et est affecté en Angleterre, dans une station postale, de 1943 à 1946 (voir Deuxième Guerre mondiale). Avant de partir pour l’Angleterre, il rencontre Della Mayes dans une entreprise de Calgary appartenant à des Noirs appelée « Chicken Fry ». Il se marie après son retour d’Angleterre, le 18 août 1947.

Une fois libéré de ses obligations militaires, Ted King travaille comme porteur pour les Chemins de fer nationaux du Canada, puis pour le Chemin de fer du Canadien Pacifique. L’emploi de porteur consiste à prendre soin des passagers dans le train. Il s’agit, à cette époque, de l’une des rares professions accessibles aux Canadiens noirs. Lorsqu’un syndicat blanc refuse de les représenter, les porteurs noirs doivent se battre pour former leur propre syndicat, The Brotherhood of Sleeping Car Porters.

Ted King travaille comme porteur de 1946 à 1953. Pendant ce temps, il suit des cours du soir à l’Université de Calgary et obtient un diplôme en comptabilité. Il travaille ensuite pour une entreprise de machines agricoles en tant que comptable.

Ted King
(avec la permission de la famille King)

Droits civiques

Au milieu des années 1950, Ted King participe aux activités de l’Association for the Advancement of Coloured People (AAACP). Il en devient président en 1958, un poste qu’il occupera jusqu’en 1961.

Selon Ted King, l’AAACP a pour objectif de « promouvoir la bonne volonté et de rechercher l’égalité en matière d’activités sociales et civiques, partout en Alberta ». Pour atteindre cet objectif, l’association mène le combat contre les discriminations et organise des activités et des manifestations sociales pour les communautés noires de la province.

Ted King met en place un processus simple pour résoudre les plaintes du fait de discriminations. Il communique tout d’abord avec les personnes accusées d’avoir commis des injustices raciales, explique qui il est et détermine si le problème peut être résolu de façon informelle. Si une telle résolution amiable s’avère impossible, il n’hésite pas à solliciter le soutien de certains citoyens en vue de Calgary et de certaines des associations auxquelles ils appartiennent.

Ted King est parfaitement conscient des injustices et des préjugés que subissent les Albertains noirs; en effet, il a personnellement vécu le racisme et les discriminations. Lorsqu’il arrive avec sa famille dans la région de West Hillhurst à Calgary en 1953 pour s’y installer, un voisin fait circuler une pétition demandant le départ des King. Cependant, personne ne signe la pétition et c’est ce voisin qui part en signe de protestation. Les King sont la première famille noire à vivre dans le quartier ouest de la ville.

LE SAVIEZ‑VOUS?
Violet King, la sœur de Ted, a été la première personne noire à obtenir un diplôme en droit en Alberta (1953), la première personne noire admise au barreau de l’Alberta et la première avocate noire au Canada (1954). Violet a également été la première femme nommée à un poste de direction du YMCA aux États‑Unis.

Violet King
Violet King est la première femme Noire admise au barreau de l’Alberta et autorisée à pratiquer le droit au Canada. E. J. McCormick, auprès de qui elle a fait son stage, lui sert la main, le 2 juin 1954. (avec la permission de Glenbow Archives/NA-5600-7760a)

Procès

Le 13 mai 1959, Ted King est à la recherche d’un ami censé séjourner au Barclay’s Motel à Calgary. Lorsqu’il appelle l’hôtel, le propriétaire, John Barclay, décroche le téléphone et répond que personne de ce nom ne séjourne dans son hôtel. Ted King décrit alors son ami, mais le propriétaire lui répond aussitôt que l’hôtel « n’accepte pas les personnes de couleur ».

Après cette discussion, Ted King se rend à l’hôtel pour réserver une chambre afin de confirmer l’existence effective de cette politique raciste. Une fois arrivé, on refuse effectivement de lui louer une chambre. Il décide d’informer les médias locaux et de lancer un recours en justice contre cette politique discriminatoire.

Il base son argumentation juridique sur la Innkeepers Act qui stipule que les auberges sont obligées de servir n’importe quel voyageur. Les avocats du Barclay’s Motel réfutent toutes les accusations, arguant, d’une part, que l’action en justice n’est pas fondée puisque Ted King ne venait pas de l’extérieur de la ville et n’était donc pas à proprement parler un « voyageur » et que, d’autre part, l’établissement concerné ne pouvait être qualifié d’« auberge » puisqu’on n’y servait pas de nourriture.

Le 7 avril 1960, l’affaire est jugée par le juge Hugh Farthing de la Cour de district du sud de l’Alberta. Après avoir examiné les preuves, et bien qu’ayant trouvé l’argumentation du plaignant convaincante, le juge Farthing est forcé de rejeter sa demande. Il fonde sa décision sur des détails techniques de la Innkeepers Act, jugeant que le Barclay’s Motel n’est pas visé par cette loi. En effet, l’établissement ne servant pas de nourriture ne pouvait être considéré comme une auberge et, bien qu’il héberge également des citoyens de la ville, il n’était pas obligé de fournir une chambre à Ted King qui n’était pas à proprement parler un voyageur. Dans sa décision, le juge mentionne également sa déception vis‑à‑vis du fait que l’avocat du plaignant ait rendu publique la poursuite engagée.

Appel et conséquences

Ted King interjette appel de cette décision devant la Cour suprême de l’Alberta, l’affaire étant entendue le 14 février 1961. La Cour maintient la décision prise en première instance, tous les juges ayant décidé à nouveau que l’appelant n’était pas un voyageur. En outre, quatre juges sur cinq confirment que le Barclay’s ne peut être qualifié d’auberge puisqu’on n’y sert pas de nourriture.

Dans leur décision, les juges mentionnent également leur désapprobation face aux tentatives de Ted King visant à utiliser les tribunaux pour provoquer un changement social.

Bien qu’il ait été perdu, ce procès va faire bouger les choses. En 1961, l’Assemblée législative de l’Alberta comble le vide juridique de la Innkeepers Act en éliminant l’exigence qu’une auberge offre de la nourriture. Le législateur ajoute en outre un article à la Loi stipulant qu’un motel peut demander à un client de partir s’il provoque des troubles.

Âge mûr et fin de vie

Ted King se montre déçu d’avoir perdu son procès, notamment en raison du temps passé à le préparer. Il se montre cependant satisfait lorsque l’Assemblée législative de l’Alberta comble le vide juridique qui était la principale raison de sa défaite en justice.

En 1963, Ted King déménage, accompagnant l’expansion en Colombie‑Britannique de l’entreprise qui l’emploie, et s’installe à New Westminster. Au début des années 1970, il lance son propre cabinet et poursuit son travail de comptable.

En 1975, Ted King et sa famille déménagent à Surrey où il poursuit ses activités de comptable. Convaincu de l’importance de la formation continue tout au long de la vie, il décide de retourner aux études pour apprendre le métier de l’immobilier. En 1978, il obtient son permis d’agent immobilier. Après avoir obtenu son diplôme, il travaille pour Royal Trust et, dans les années 1980, lance sa propre entreprise, la Galaxy Real Estate.

Ted King continue à travailler dans le secteur de l’immobilier jusqu’à sa retraite en 1992. Il reprend cependant une activité de comptable à temps partiel après sa retraite. Il aime les voyages, le rôle d’entraîneur sportif et la musique. Il se montre dévoué vis‑à‑vis de sa famille et de ses petits‑enfants qui vivent aujourd’hui principalement en Colombie‑Britannique.

Ted King est décédé le 7 juillet 2001. Il a été incinéré en 2002 et est enterré avec ses parents à Calgary. Après son décès, il laisse dans le deuil son épouse, Della, et ses enfants, Richard, Linda et Brian.

Ted King et Della King
(avec la permission de la famille King)

Importance et héritage

L’histoire de Ted King s’inscrit dans la longue histoire des luttes pour les droits civiques en Alberta qui reste aujourd’hui encore largement méconnue. Ted King s’est appuyé sur les actions antérieures dans ce domaine d’autres Albertains noirs, tels que Lulu Anderson et Charles Daniels, qui ont lutté contre les discriminations raciales pendant des décennies avant que le mouvement de défense des droits civils ne devienne un sujet d’une actualité brûlante à l’échelon international. Ces deux militants ont mené le combat contre la discrimination dans les salles de cinéma d’Edmonton et de Calgary.

Après la publicité de l’affaire King et les modifications législatives qui ont suivi, les Noirs ne devraient plus se voir refuser un hébergement en raison de la couleur de leur peau. Si cela se produisait, ils pourraient porter leur cause devant un tribunal où ils obtiendraient certainement gain de cause sur la base des vides juridiques mis en évidence par Ted King.