Éditorial

Éditorial : Comment la communauté « canadiennisée » de la Terre Neuve s’est jointe au Canada

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Lorsque les édifices du Parlement d’Ottawa sont réparés suite à un incendie qui a eu lieu durant la Première Guerre mondiale, des plaques de pierre sont érigées au-dessus de l’entrée de la tour de la Paix. On en compte dix ; neuf portent les armoiries des provinces, et une, laissée à nu, attend le jour où Terre-Neuve se joindra au Canada.

Joey Smallwood
Smallwood signant l'entente qui fait entrer Terre-Neuve au sein du Canada, 11 décembre 1948.

Le 1er avril 1949, le premier ministreLouis Saint-Laurent donne les premiers coups de burin cérémonials sur la pierre intacte. À 23 h 59 la nuit précédente, Terre-Neuve est devenue une province canadienne.

Aux côtés de Louis Saint-Laurent se trouve un Terre-Neuvien, F. Gordon Bradley. Celui-ci vient d’être assermenté en tant que membre du Cabinetfédéral. « Désormais, nous sommes tous canadiens », proclame F. Gordon Bradley.

Pourtant, la décision des Terre-Neuviens de se joindre à la Confédération est en contradiction avec leur histoire. Plusieurs décennies auparavant, ce peuple a choisi de vivre aux côtés du Canada, plutôt que d’en faire partie. Les deux pays adoptent l’autonomie gouvernementale sous la Couronne britannique. Terre-Neuve observe le Canada avec méfiance, même si les liens qui les unissent se solidifient.

Les Terre-Neuviens vivent « dans le danger et l’isolement » [trad.], pour reprendre la phrase célèbre de l’historien Peter Neary. Leur population est peu nombreuse et dispersée, et leur économie de ressources est extrêmement vulnérable.

La crise des années 1930 frappe durement Terre-Neuve. La colonie est obligée de s’en remettre humblement à la Grande-Bretagne. En échange d’une sécurité économique, Terre-Neuve renonce à son indépendance et s’en remet à la Commission de gouvernement sous l’administration britannique.

Cette situation est difficilement tolérable à long terme, surtout lorsque Terre-Neuve se met à prospérer et que le moral remonte après la Deuxième Guerre mondiale.

Les Terre-Neuviens doivent décider de leur avenir. Devraient-ils rester indépendants avec la Grande-Bretagne, ou en Confédération avec le Canada ? De juin 1946 à janvier 1948, une Convention nationale élue débat de ces options.

Armoiries de Terre-Neuve

En coulisses, la Grande-Bretagne et le Canada travaillent étroitement pour que Terre-Neuve se joigne au Canada. Les Britanniques n’ont aucune envie d’agrandir leur empire et le Canada a décidé qu’il souhaite que Terre-Neuve se joigne à la Confédération.

Mais les objectifs des Canadiens et des Britanniques ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des Terre-Neuviens. Deux camps politiques émergent. D’un côté, les Confédérés pro-Canada sont dirigés par F. Gordon Bradley et Joey Smallwood. De l’autre, une coalition en faveur de l’autonomie gouvernementale inclut Peter Cashin et Chesley Crosbie. Peter Cashin dénonce l’union avec le Canada comme étant un « acte digne de Judas », alors que Chesley Crosbie est partisan d’une union économique avec les États-Unis. L’archevêque catholique de St. John’s, Edward Patrick Roche, s’oppose également à la Confédération et soutient un gouvernement responsable par l’entremise du journal officiel du diocèse, The Monitor.

Un référendum a lieu le 3 juin 1948. Sur le bulletin de vote, on trouve trois choix : la Confédération, l’autonomie gouvernementale, la Commission. L’option gouvernementale remporte 44,6 % des votes. La Confédération remporte 41,1 %. Et l’option de la Commission en remporte 14,3 %.

Comme aucun des camps n’obtient l’apport de la majorité requise, un second tour de référendum a lieu le 22 juillet. Cette fois, le choix se pose entre la Confédération et l’autonomie gouvernementale. Les Confédérés remportent la plupart des votes qui étaient en faveur de la Commission lors du premier tour de scrutin. Lors du décompte final, la Confédération remporte 78 323 votes (52,34 %) et l’autonomie gouvernementale récolte 71 344 votes (47,66 %).

Les relations étroites que Terre-Neuve a nouées avec le Canada pendant la guerre sont l’un des grands atouts des Confédérés. Le journaliste Ewart Young écrit : « Il est surprenant de voir à quel point cette communauté insulaire est déjà “canadiennisée”. »

Le principal défenseur de la Confédération, Joey Smallwood, doit néanmoins surmonter des préjugés profondément ancrés contre l’union politique. « Celle-ci suscite de violentes réactions, rapporte Ewart Young, qui éclatent comme des plaies de lépreux ».

Drapeau de Terre-Neuve

Animateur de radio expérimenté et orateur fascinant, Joey Smallwood mène une campagne populaire. Il promet que les prestations de sécurité sociale canadiennes vont mettre un terme à l’incertitude économique des Terre-Neuviens. « Si vous n’êtes pas millionnaire, déclare-t-il, votez pour la Confédération. »

Selon son biographe Richard Gwyn, la plus importante réussite indéfectible de Joey Smallwood est d’avoir convaincu un pays de renoncer à son statut de nation, volontairement et démocratiquement.

En avril 1949, les Terre-Neuviens deviennent canadiens dans le calme et l’acceptation. Des petites célébrations se tiennent dans les ports isolés, qui sont des bastions pro-Canada. Cependant, la capitale St. John’s a voté 2-1 pour l’autonomie gouvernementale. Des cravates noires et quelques drapeaux noirs en berne signalent discrètement la fin de l’espoir pour un Terre-Neuve indépendant.

Avec l’ajout de Terre-Neuve et de l’imposant Labrador, le Canada couvre maintenant plus de territoire que toute l’Europe. Le nom de la province a été officiellement changé pour Terre-Neuve-et-Labrador en 2001.

Voir aussi : Terre-Neuve-et-Labrador et la Confédération ; Pères de la Confédération ; Les Mères de la Confédération ; Confédération collection ; Confédération chronologie.