Origines et contexte
Pendant presque tout le 19e siècle, la Compagnie de la Baie d’Hudson contrôle la plus grande partie de l’intérieur de l’Amérique du Nord britannique, des territoires appelés Terre de Rupert et Territoires du Nord-Ouest. Après 1867, le gouvernement du Canada cherche à étendre son autorité territoriale vers l’ouest. Le gouvernement conservateur de sir John A. Macdonald connaît un grand succès à cet égard, créant les provinces du Manitoba en 1870 et de la Colombie-Britannique en 1871.
En 1870, le Parlement met en place un gouvernement territorial pour cette vaste région qui s’étend de l’extrémité nord du Québec et de l’Ontario actuels aux Rocheuses en passant par les Prairies, et du 49e parallèle à l’océan Arctique. Ce gouvernement étant territorial plutôt que provincial, le Parlement d’Ottawa contrôle l’agenda politique des Territoires (voir Territoires du Nord-Ouest : 1870-1905).
Entre 1870 et 1876, l’autorité exécutive dans les Territoires du Nord-Ouest (TNO) est exercée par le lieutenant gouverneur du Manitoba, installé à Winnipeg, et le conseil consultatif du lieutenant gouverneur (créé en 1872), tous deux nommés par Ottawa. Le premier lieutenant gouverneur, Adams G. Archibald, connaît trop peu la population et la situation dans les TNO, et sa priorité est le Manitoba, plus peuplé. Son successeur, Alexander Morris, ne peut réaliser son agenda exécutif à cause de l’autorité centralisée d’Ottawa et de son approche apathique de l’administration des TNO.
Dimensions sociale et politique de l’Acte
Dans le but de mieux administrer les TNO, le gouvernement libéral du premier ministre Alexander Mackenzie adopte l’Acte des Territoires du Nord-Ouest en avril 1875. Il n’entre toutefois en vigueur que le 7 octobre 1876, en même temps que la capitale est déplacée de Winnipeg à Battleford (dans l’actuelle Saskatchewan). Déplacer la capitale dans les territoires permet d’assurer que le lieutenant gouverneur réside physiquement dans la région qu’il administre. Les 13 premiers articles de l’Acte définissent une nouvelle administration politique et constitutionnelle pour ce qui reste essentiellement une colonie du gouvernement fédéral. Bien que l’Acte crée un semblant d’administration indépendante, il ne laisse aucune place à l’initiative démocratique ou au gouvernement responsable ; le territoire n’aura pas de représentation à la Chambre des communes ou au Sénat du Canada. L’Acte ne prévoit aucune condition pour l’obtention future du statut de province.
L’Acte enchâsse l’organisation existante en matière de direction politique du territoire : les résidents de la région seront gouvernés par un lieutenant gouverneur et un conseil nommés par Ottawa, bien que les pouvoirs dont ils disposent ne sont pas clairement définis. L’Acte comprend une nouvelle disposition permettant au gouvernement des TNO d’adopter et d’appliquer des ordonnances, c’est-à-dire des décisions exécutives prises par le gouvernement sans le consentement d’Ottawa. Il prévoit aussi des places au conseil pour des représentants élus. D’autres clauses prévoient l’ajout graduel de représentants élus à mesure que la population s’accroît et se stabilise. Une assemblée législative sera officiellement reconnue quand 21 membres du conseil seront élus ; les membres non élus seront alors écartés du conseil.
L’Acte amende ou consolide également des législations existantes sur l’administration de la justice et la prohibition de l’alcool. De nouvelles dispositions concernant la propriété et les successions sont aussi introduites. L’article 11, qui crée et garantit des écoles confessionnelles protestantes (principalement anglophones) et catholiques (principalement francophones) dans la région, est sans doute le plus controversé. Les résidents locaux ont la responsabilité de choisir le type d’écoles qu’ils veulent établir pour leurs enfants. Le débat sur les écoles confessionnelles est à l’origine de la Question des écoles du Nord-Ouest et ne sera pas résolu avant que les Lois d’autonomie de 1905 ne créent les provinces de Saskatchewan et d’Alberta.
Impact à court terme
L’Acte est plus ou moins bien reçu. Bien que les efforts pour améliorer l’administration de la région soient appréciés, les critiques soulignent rapidement ses déficiences. Aucun Métis n’est nommé au premier conseil, malgré les recommandations du lieutenant gouverneurAlexander Morris et de nombreux Métis, qui avaient mis en place des « conseils » locaux populaires en signe d’autonomie gouvernementale. D’autres observent qu’il est extrêmement difficile d’administrer une si grande région géographique, un facteur qui contribue à la création du District de Keewatin le jour même où l’Acte des Territoires du Nord-Ouest est proclamé. Un amendement de 1877 clarifie la relation existant entre le lieutenant gouverneur et le conseil, mais ne corrige pas les restrictions de l’Acte sur la création de municipalités, d’écoles et de circonscriptions électorales. L’amendement de 1877 stipule aussi que le français et l’anglais ont le même statut au conseil et devant les tribunaux de la région. Le bilinguisme officiel prend fin en 1892 ; l’anglais devient la seule langue du gouvernement après cette date.
Durant les décennies qui suivent l’adoption de l’Acte, d’importantes transformations sociales, politiques et démographiques touchent la région et ses résidents : l’arrivée du chemin de fer Canadien-Pacifique et de milliers de nouveaux colons, la création de villes, l’apparition des journaux, et une présence de plus en plus apparente des institutions gouvernementales, dont la Police à cheval du Nord-Ouest. Ces transformations donnent naissance à une opinion publique plus soucieuse du gouvernement et de la manière dont la société est représentée. La population toujours plus nombreuse est frustrée par les restrictions qui frappent la création des écoles, les initiatives de travaux publics et la fondation de municipalités. Alors que les résidents revendiquent davantage de droits, le lieutenant gouverneur David Laird ne fait aucun effort pour faire comprendre le sérieux de ces plaintes à ses supérieurs, à Ottawa. La situation commence à changer dans les années 1880 : en 1886, quatre sièges sont alloués pour représenter officiellement les Territoires du Nord-Ouest au Parlement. Deux ans plus tard, le conseil est transformé en Assemblée législative comportant 22 représentants élus. Finalement, en 1897, le gouvernement responsable est accordé et un premier-ministre est chargé d’administrer les affaires courantes territoriales avec l’aide d’un Cabinet choisi au sein de l’assemblée élue.
Signification
Tout en maintenant l’autorité du gouvernement fédéral, l’Acte des Territoires du Nord-Ouest de 1875 met officiellement en branle la longue transition d’une gouvernance dirigée par le Parlement à un gouvernement responsable démocratiquement élu. L’Acte signale le début des pressions pour un contrôle local accru par la population de la région, de plus en plus nombreuse (voir Colonisation des Prairies occidentales).