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The Body Politic

The Body Politic était un journal mensuel basé à Toronto. Publié de 1971 à 1987, il était l’organe dirigeant des mouvements de libération homosexuelle et de féminisme lesbien au Canada. Lu par des militants des droits des homosexuels du monde entier, The Body Politic remettait en question les orthodoxies sexuelles, documentait la résistance des communautés et célébrait l’histoire et la culture queer. Il rapportait les cas de discrimination, de harcèlement policier et d’homophobie dans les médias, ainsi que les efforts des militants visant à exercer des pressions sur les gouvernements afin qu’ils modifient les lois discriminatoires. Les numéros complets du journal ont constitué la base des ArQuives, qui figurent aujourd’hui parmi les plus grandes archives indépendantes sur les LGBTQ2 au monde.

Contexte

Le lancement du journal The Body Politic est une retombée du ralliement We Demand du 28 août 1971 à Ottawa. Il marque le début des mouvements de libération des personnes homosexuelles et des lesbiennes féministes au Canada. Le militant homosexuel Jearld Moldenhauer, considéré comme étant la force motrice du journal, annonce la première séance de planification de la publication lors d’une réunion de la Toronto Gay Action en septembre 1971.

Le premier numéro du Body Politic est mis en vente le 28 octobre 1971. Il se présente comme un « journal de libération des personnes homosexuelles ». Dans son édition inaugurale, il appelle à la mobilisation « des milliers d’homosexuels qui ont le pouvoir de changer les lois et les institutions de la société qui perpétuent notre oppression ». Le journal affirme en outre que : « chaque personne homosexuelle doit se préoccuper d’obtenir des droits civils pour tous ».

Importance

Le journal, lu par les militants homosexuels du monde entier, devient rapidement un porte-parole incontournable. Ses rédacteurs remettent en question les orthodoxies sexuelles, documentent la résistance de la part de la communauté et célèbrent l’histoire et la culture queer. Le journal rapporte les cas de discrimination, de harcèlement policier et d’homophobie dans les médias, ainsi que les efforts des militants visant à exercer des pressions sur les gouvernements afin qu’ils modifient les lois et les règlements discriminatoires à l’égard des communautés queer du Canada.

En particulier, en 1981, The Body Politic joue un rôle clé en organisant les manifestations qui suivent les célèbres descentes de police dans des saunas. Le journal joue un rôle central en couvrant les conséquences de ces descentes. Il est la première publication canadienne à rendre compte de la crise du sida. À son apogée, au début des années 1980, la publication aurait eu un tirage de plus de 7 000 exemplaires.

Descentes de police dans des saunas de Toronto

Entreprise

Tim McCaskell, membre de longue date du journal The Body Politic, décrit son évolution. Notant qu’il est géré de manière démocratique et que sa production est initialement contrôlée par un collectif, il ajoute : « Au fil des ans, il se rapproche de plus en plus d’un comité de rédaction. À la fin, c’est une entreprise assez importante. Il y a probablement une centaine de bénévoles qui effectuent toutes sortes de tâches différentes, de la distribution à la mise en page en passant par la révision. ».

Michael Lynch, Stephen O. Murray, John Greyson, David Rayside, Ian Young, Ed Jackson, Sue Golding, Thomas Waugh, John Alan Lee et Gary Kinsman figurent parmi les éminents rédacteurs qui contribuent au Body Politic.

Pink Triangle Press, un collectif créé par le personnel du journal, reprend la publication en 1975. Il publie également, à partir de 1984, le très populaire journal queer Xtra. Xtra connaît un tel succès que Pink Triangle Press cesse de publier le Body Politic en 1987.

Critiques

The Body Politic est principalement dirigé par des hommes gais cisgenres blancs issus de la classe moyenne. À ce titre, il est parfois critiqué pour son manque de représentation. Par exemple, les femmes jouent un rôle mineur dans sa publication, que l’on accuse d’être moins sensible aux inégalités de genre au sein des communautés qu’elle cherche à représenter. Dans une lettre adressée au rédacteur en chef en 1974, on peut lire ceci : « Pour un journal qui prétend représenter la communauté homosexuelle, je le trouve fortement axé sur les hommes, mis à part les quelques articles symboliques sur les femmes. ».

Le collectif qui dirige le journal est davantage dominé par de jeunes militants du milieu universitaire dont les écrits et les revendications en faveur de l’égalité des droits ne conviennent pas à certains membres de la communauté LGBTQ2. C’est une époque où, selon Tim McCaskell, « on pouvait être chassé de son appartement, perdre son emploi et se voir refuser d’être servi dans un restaurant parce qu’on était homosexuel. Pour beaucoup, la révélation de son homosexualité n’était pas nécessairement la chose la plus intelligente à faire ». Il ajoute : « Si vous regardez certains des premiers écrits du Body Politic […] la personne moyenne n’aurait pas terminé le premier paragraphe. Ça ne lui aurait rien dit. ».

Controverses et affaires judiciaires

The Body Politic se retrouve au cœur d’une bataille juridique déclenchée par la publication, en novembre 1977, d’un article de Gerald Hannon intitulé « Men Loving Boys Loving Men » (les hommes qui aiment les garçons qui aiment les hommes). Le 30 décembre, la police effectue une descente dans les bureaux du journal. Après la perquisition, la police inculpe trois directeurs (Gerald Hannon, Ed Jackson et Ken Popert) de Pink Triangle Press d’un chef d’obscénité en vertu de la disposition du Code criminel : « Commet une infraction quiconque se sert de la poste pour transmettre ou livrer quelque chose d’obscène, indécent, immoral ou injurieux et grossier ». Ed Jackson, secrétaire de Pink Triangle Press, déclare par la suite, « Nous nous sommes retrouvés à lutter pour notre survie dans un monde très hostile, en partie venant de notre propre communauté effrayée. ».

Le 14 février 1979, Pink Triangle Press et ses accusés sont déclarés non coupables. Il y a, au cours des six années qui suivent les accusations initiales, deux procès, un nouveau procès, de nombreux appels de la Couronne et des collectes de fonds pour couvrir les frais de justice.

Des membres de l’ensemble de la collectivité se portent à la défense du journal, y compris le maire de Toronto de l’époque, John Sewell. Il défend The Body Politic lors d’une manifestation le 3 janvier 1979. Ses propos provoquent un tollé dans les médias. Cependant, la plupart des centaines de lettres et d’appels téléphoniques envoyés à la mairie soutiennent sa position. John Sewell affirme par la suite : « Il me semblait naturel de m’exprimer en faveur de la liberté de la presse. ».

Le 6 février 1980, The Body Politic Free the Press Fund publie une annonce pleine page dans le Globe and Mail, intitulée : « Nous exhortons le procureur général de l’Ontario à abandonner l’appel contre The Body Politic » et suivie du nom de plus de 800 sympathisants. L’annonce est publiée pour coïncider avec l’audience concernant l’acquittement de Pink Triangle Press prévue le lendemain. C’est la première fois qu’une annonce en faveur d’une cause homosexuelle est publiée dans un journal quotidien canadien.

ArQuives

En 1973, Jearld Moldenhauer et Ron Dayman, un autre membre du collectif, reconnaissent la valeur archivistique et historique de la collection éditoriale de la publication. Ils utilisent des numéros complets du journal pour constituer le noyau des Canadian Lesbian and Gay Archives, les Archives lesbiennes et gaies canadiennes, aujourd’hui connues sous le nom d’ArQuives. Il s’agit de l’une des plus importantes archives LGBTQ2 indépendantes au monde. Elles contiennent tous les numéros du Body Politic.

Voir aussi Culture queer.