Éditorial

La vie d’Everett Klippert et son importance

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Everett George Klippert a été décrit un jour comme « le plus célèbre homosexuel du Canada » en raison des peines de prison injustes qu’il a dû subir. Son cas a finalement conduit à la dépénalisation de l’homosexualité au Canada.

Everett George Klippert (1926‑1996) était un chauffeur d’autobus populaire parmi la population de Calgary qui a été emprisonné pour homosexualité entre 1960 et 1964 et entre 1965 et 1971. Martyr improbable, il fuyait les projecteurs. On l’a décrit, un jour, comme « le plus célèbre homosexuel du Canada » en raison des peines de prison injustes qu’il a dû subir, son cas ayant finalement conduit à la dépénalisation de l’homosexualité au Canada.

Enfance et adolescence à Calgary

Everett Klippert, le plus jeune d’une fratrie de neuf enfants, naît en Saskatchewan en 1926. Sa famille déménage à Calgary alors qu’il est âgé d’à peine deux ans. En 1928, l’économie de la ville connaît l’une de ses meilleures années depuis la Première Guerre mondiale, ce qui y attire de nombreuses familles. Bien que le marché du logement soit tendu, les Klippert réussissent à louer une maison sur les hauteurs nord de la ville. Au cours des premières années d’Everett à Calgary, la famille déménage souvent dans les environs. Malheureusement, sa mère décède en 1933 d’une maladie rénale.

En 1934, le père d’Everett achète une maison située juste au nord du centre‑ville. Là, la sœur aînée du petit garçon, Leah, décide d’assumer l’éducation et les soins de ses huit jeunes frères et sœurs. La famille est baptiste évangélique et Leah fait en sorte de préserver cette tradition, toute la famille assistant régulièrement aux services religieux à l’église baptiste de Crescent Heights.

L’école n’est pas une priorité pour Everett et il arrête ses études après sa huitième année. Son père exploite une épicerie et l’adolescent commence à travailler dans la boutique familiale en compagnie de certains de ses frères aînés. Il travaille ensuite dans une laiterie locale puis, pendant huit ans, il conduit un autobus pour Calgary Transit et s’avère un chauffeur apprécié de ses passagers. On rapporte même que certains d’entre eux préfèrent, compte tenu de son caractère sympathique et amical, laisser passer un certain nombre d’autobus afin de monter dans le sien pour rentrer chez eux.

Premier procès Klippert

La police commence à s’intéresser de très près à Everett Klippert en 1960 lorsqu’un homme, furieux que son fils ait eu des rapports sexuels avec lui, demande à la police de mener une enquête. Le 21 mars, il est mis en prison et accusé de « contribution à la délinquance d’un jeune garçon ». La caution est fixée à 500 $.

Le lendemain, le 22 mars, sa caution passe à 9 000 $, la Couronne ayant présenté 17 accusations supplémentaires contre Everett Klippert – à savoir des attentats à la pudeur sur 17 jeunes garçons de Calgary – après avoir découvert un petit carnet noir lui appartenant dans lequel il notait ses rendez‑vous et sa vie sexuelle. Un journal local le décrit ainsi lorsqu’il se présente au tribunal : « Klippert s’est présenté mardi devant le tribunal la tête baissée, les épaules appuyées sur la barre du box des accusés et le visage enfoui dans ses mains. »

En 1960, le concept de majorité sexuelle n’existe pas pour les rapports homosexuels étant donné que cette pratique est illégale. Les dossiers judiciaires ne précisent pas l’âge des personnes concernées; toutefois, aucune des procédures engagées contre Everett Klippert ne soulève la question de l’âge de ses « victimes » de Calgary.

Le 4 avril, la famille d’Everett Klippert se présente avec la caution demandée, soit l’équivalent de près de 75 000 $ d’aujourd’hui. Elle apporte également une lettre de recommandation positive du prêtre de l’église qu’elle fréquente. L’accusé est cependant maintenu en prison jusqu’au 14 avril, tandis que le procureur de la Couronne précise les accusations portées contre lui et recense 18 chefs d’accusation de « grossière indécence ».

Everett Klippert plaide coupable de toutes ces accusations. La Couronne présente des preuves du fait que l’accusé assistait à des matchs de boxe et de catch et qu’il fréquentait les piscines ainsi que d’autres endroits où il était susceptible de rencontrer de jeunes hommes.

L’avocat d’Everett Klippert explique au tribunal que l’évaluation psychiatrique de son client a permis d’établir que ses tendances homosexuelles trouvent leur origine dans une enfance malheureuse. Il fait également remarquer que l’accusé a été employé sans discontinuer depuis l’âge de 16 ans et demande au juge de se contenter de le placer en probation.

Néanmoins, le juge condamne Everett Klippert à une peine d’emprisonnement de quatre ans pour chacun des 18 chefs d’accusation. Il précise qu’il s’est montré indulgent en autorisant les peines à être effectuées simultanément plutôt que successivement, ce qui serait revenu à un emprisonnement à vie.

Délinquant dangereux

Après avoir purgé sa peine, Everett Klippert déménage dans les Territoires du Nord‑Ouest où il est à nouveau poursuivi et emprisonné pour les mêmes raisons en 1965. En raison de ses infractions répétées, il est également déclaré « délinquant sexuel dangereux », une décision confirmée par la Cour suprême du Canada en 1967.

Le sort réservé à Everett Klippert par la loi suscite toutefois de nombreuses préoccupations à Ottawa et conduit finalement à la légalisation des rapports homosexuels entre adultes consentants en 1969. Cette nouvelle législation ne lui est toutefois d’aucune utilité puisqu’il demeure en prison jusqu’en 1971.

Importance de l’affaire Klippert

Everett Klippert est une victime de son époque, passablement homophobe. Il semble agir sans malice et pense naïvement que son esprit de coopération et son honnêteté le protégeront. En fait, l’État va cruellement utiliser ces traits de caractère contre lui.

Everett Klippert est également le produit de son époque. Les lesbiennes et les homosexuels des années 1960 vivent au Canada leur sexualité en essayant, surtout, de ne pas se faire remarquer. Leur principale préoccupation consiste à cacher leur orientation sexuelle et à trouver des endroits sûrs pour se rencontrer et se fréquenter. En gros, ils ne sont pas intéressés par l’émancipation; ils souhaitent juste qu’on les laisse en paix. Il faut attendre les révolutions culturelles du début des années 1970 pour que le mouvement de libération homosexuelle s’implante sur les campus universitaires ainsi que dans les plus grandes villes du Canada.

Everett Klippert ne participera jamais aux combats contre les injustices qu’il a lui‑même subies durant toute sa vie. De la même façon, il n’adhérera jamais, de quelque manière que ce soit, à la communauté homosexuelle. Après toutes ces affaires, il épousera une grande amie à lui, Dorothy Hagstrom, et mènera une vie tranquille jusqu’à sa mort d’une maladie rénale en 1996.

Everett Klippert a été un homme malchanceux et un martyr canadien improbable. Pourtant, il est devenu le représentant, bien malgré lui, d’innombrables autres personnes ayant vu, comme lui, leur vie saccagée à une époque où l’homosexualité était considérée comme une calamité, une maladie et un crime.