Création et débuts (1968 à 1971)
Jim Garrard fonde le Théâtre Passe Muraille en 1968. Basée au Collège Rochdale, la plus grande université libre d’Amérique du Nord de l’époque et une résidence d’étudiants radicaux, la compagnie a pour but de faire tomber les barrières entre le public et les artistes en faisant ressortir l’aspect événementiel du théâtre.
En 1969, le Théâtre Passe Muraille devient célèbre avec la présentation de Futz, une pièce d’avant-garde de Rochelle Owens mettant en scène un fermier qui scandalise une petite ville rurale américaine en entretenant des rapports sexuels avec un porc apprivoisé. Des accusations de grossière indécence sont portées contre les producteurs, le metteur en scène, les comédiens et l’équipe du plateau. Cela donne lieu à des condamnations qui sont finalement annulées. Jim Garrard déménage avec la compagnie dans une salle paroissiale, au 11, Trinity Square, et produit des pièces comme The Maids de Jean Genet (v.f. Les Bonnes) et Home Free de Lanford Wilson, mettant toutes les deux en vedette la jeune Kate Nelligan.
Après une crise financière — le Théâtre Passe Muraille en traverse plusieurs —, Jim Garrard démissionne en 1969. De 1969 à 1971, Martin Kinch dirige le triumvirat artistique qu’il forme avec le dramaturge John Palmer et Paul Thompson avant de passer le flambeau à ce dernier en 1972.
Création collective et collaboration (1972 à 1991)
Ouvertement nationaliste et novatrice, la compagnie de Paul Thompson attire des artistes et des auteurs dramatiques talentueux, comme John Gray, Carol Bolt, Rick Salutin, Hrant Alianak, Saul Rubinek, Nick Mancuso et Louis Del Grande. Dans des spectacles tels que Doukhobors (1971), Paul Thompson met au point une forme d’écriture dramatique basée sur la coopération des comédiens et connue sous le nom de création collective. Mentionnons d’autres spectacles remarquables du même genre : The Farm Show (1972); 1837: The Farmers’ Revolt (1973), écrit avec Rick Salutin; et I Love You, Baby Blue (1975). Ses scènes de nudité et sa critique cinglante des normes morales font de I Love You, Baby Blue une pièce à la fois controversée et populaire. Cela permet à la compagnie d’acheter le bâtiment où elle loge aujourd’hui : une ancienne boulangerie et manufacture de chandelles située au 16, avenue Ryerson.
Sous la direction de Paul Thompson et des directeurs artistiques qui lui succèdent, le Théâtre Passe Muraille offre de l’espace à un prix abordable à de jeunes troupe théâtrales novatrices comme Buddies in Bad Times, Necessary Angel de Richard Rose, Nightwood Theatre et Videocabaret. Elle présente aussi de nombreuses pièces canadiennes déterminantes, dont The Blues (1976) de Hrant Alianak, 18 Wheels (1977) de John Gray, Maggie and Pierre (1979) de Linda Griffiths et The Crackwalker (1980) de Judith Thompson.
Paul Thompson prend sa retraite en 1982. Clarke Rogers lui succède et s’engage à son tour à continuer à présenter de nouvelles œuvres canadiennes. Bien que la qualité de ces productions varie, quelques dramaturges intéressants sont mis en vedette, notamment Sally Clark et Brad Fraser. Linda Griffiths continue à remporter du succès avec les nouvelles pièces O.D. on Paradise (1983) et Jessica (1986). De 1984 à 1988, Linda Griffiths y est directrice artistique associée et elle y revient comme auteur en résidence en 1995 avec sa pièce The Duchess: a.k.a. Wallis Simpson (1998).
Clarke Rogers démissionne en 1987 et Brian Richmond, le nouveau directeur artistique, connaît quelques succès publics avec Lilies (1988) de Michel Marc Bouchard, Fire (1989) de Paul Ledoux et David Young, Rigoletto (1990) de Michael Hollingsworth, Don Horsburgh et Deanne Taylor, ainsi que l’adaptation réalisée en 1991 par James W. Nichol de The Stone Angel (trad. L’Ange de pierre) de Margaret Laurence. Brian Richmond quitte son poste après la saison 1990-1991.
Renouvellement et activisme politique (1992 à 2008)
Layne Coleman, qui a joué au Théâtre dans les années 1970 et y a été directeur artistique associé quand Clarke Rogers le dirigeait dans les années 1980, devient le directeur artistique intérimaire en 1991. Il travaille avec le directeur général Colin Rose pour sauver la compagnie victime d’une grave crise financière en aidant à mener une campagne de financement. Productrice artistique de 1992 à 1997, Susan Serran réitère l’engagement du Passe Muraille de présenter de nouvelles œuvres tout en mettant fortement en évidence son activisme politique. Parmi les grandes productions des cinq années pendant lesquelles Susan Serran occupe son poste, mentionnons The Last Supper (1994), produit en association avec le DNA Theatre et Platform 9, Still The Night (1996), de Theresa Tova, et une reprise de Possible Worlds (1997) de John Mighton, pièce déjà récompensée par le Prix du Gouverneur général.
Layne Coleman revient encore comme directeur artistique par intérim en 1997 et remonte 1937: The Farmers’ Revolt, de Rick Salutin et du Passe Muraille, pour souligner le 30e anniversaire de la compagnie et le 25e de la pièce. Quand il accepte son mandat de deux ans en 1998, il précise sa philosophie dans une note biographique du Toronto Star: « À son meilleur, le Passe Muraille a toujours été vivant, et même dangereux. Je sais que ça ne plaît pas à tous. Certains aiment que l’art soit rigoureusement contrôlé, manipulé et poli […] De plus en plus, je veux traiter le Théâtre comme une galerie où divers artistes viennent présenter leurs œuvres. Je veux que nous nous parlions par le biais de l’œuvre plutôt que dans de longues réunions sur la dramaturgie et la recherche de la structure d’une pièce parfaite. »
À la fin des années 1990, le Théâtre Passe Muraille se trouve encore en déficit. Susan Serran et Deanne Taylor quittent leur poste et Andrea Geddes Poole prend les commandes à la direction générale au début de la saison 1997-1998. Dorénavant, Layne Coleman est le seul metteur en scène résident du Théâtre.
Sous la direction de Layne Coleman, la saison 1998-1999 amène deux succès critiques : The Drawer Boy de Michael Healy, pièce librement inspirée de la création de The Farm Show, et Aurash, une fable persane traduite et adaptée par Soheil Parsa et Brian Quirt. La pièce de Michael Healey est montée de nouveau la saison suivante et son succès convainc Layne Coleman de demeurer à la direction artistique, poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite à la fin de la saison 2006-2007. En 2002, In the Wings reçoit des éloges de la critique en tant que l’adaptation du dernier roman de la femme (décédée) du directeur, la journaliste et auteure Carol Corbeil, qui traite d’une mise en scène alternative d’Hamlet (le Théâtre Passe Muraille a présenté cette pièce de Shakespeare en 1983 avec Layne Coleman dans le rôle-titre). Après avoir été présentée en première en 2002 au Toronto Fringe Festival, Da Kink in My Hair de trey anthony joue à guichet fermé et atteint des records de vente en 2003.
Malgré cela, les difficultés financières du Théâtre Passe Muraille empirent et il a recours à des moyens inventifs pour ramener la prospérité. Une tentative de produire du théâtre d’été avec le Regent Theatre de Picton, en Ontario, périclite dès le deuxième été quand le groupe de Picton cesse ses activités en juillet 2004. Cette année-là, la compagnie s’associe avec Bell Canada, qui fournit des services de billetterie à des organisations artistiques de Toronto. En 2006, le Théâtre Passe Muraille offre ses premières conférences d’artistes universitaires.
À la fin de 2006, dans une saison qualifiée de « serrée, simple et rationalisée » de trois pièces principales, la compagnie se trouve en face d’une dette de 500 000 $, près de la moitié de son budget annuel de fonctionnement. Le conseil qualifie encore publiquement la situation de critique. Layne Coleman annonce sa démission, qui doit entrer en vigueur à la fin de la saison.
Andy McKim est désigné comme successeur de Layne Coleman. La saison 2007‑2008 marque le 40e anniversaire du Théâtre et la pièce The Drawer Boy (que l’on rapporte comme « la pièce la plus jouée en Amérique du Nord » l’année précédente) lance la première saison d’Andy McKim à titre de directeur artistique.
La situation fait les manchettes quand la Ville de Toronto achète le bâtiment de l’avenue Ryerson où se trouve la compagnie pour 1,2 million de dollars et le loue à un groupe de gestion à but non lucratif qui le sous-loue à la compagnie pour un loyer annuel de 2 $ et des frais d’entretien de 20 000 $. La Ville admet ainsi que la dette est devenue un handicap qui doit être allégé et que, sans cette aide, la compagnie aurait été forcée de cesser ses activités.
Diversité (2009 à aujourd’hui)
Le Théâtre continue de supporter de nombreuses petites troupes. Ainsi, la saison 2008‑2009 présente six coproductions et trois collaborations produites à l’interne, dont une dirigée par l’ancien directeur artistique Layne Coleman. Des collaborations avec, entre autres, Groundwater Productions, Alameda Theatre Company et Outside The March and Cahoots sont fréquentes.
Sous la direction d’Andy McKim, le Théâtre honore son engagement envers la création collective et la diversité, produisant sur les planches de nouvelles pièces avec de nouveaux visages. Des exemples de spectacles qui reflètent le multiculturalisme de Toronto sont : Refuge Hotel (2009) de Carmen Aguirre, coproduit avec Alameda Theatre; Letters to my Grandma (2010) de Anusree Roy; The Cure for Everything de Maja Ardal; et, lauréat d’un prix Dora, Crash (2012) de Pamela Sinha.
En 2011‑2012, « La Saison au‑delà des murs », le Théâtre retourne aux sources de sa création collective avec Fare Game: Life in Toronto’s Taxis (2012) et This Must Be The Place: The CN Tower Show (2012). Par ailleurs, le Théâtre prend son nom au pied de la lettre et, avec une subvention de la Fondation Metcalf, annonce The Queen Street Project, qui entraîne littéralement les membres de l’auditoire à l’extérieur des murs du Théâtre pour les plonger dans le quartier environnant de la rue Queen. Les spectateurs‑clients, équipés d’écouteurs, suivent alors les comédiens qui interagissent avec le grand public.
En 2016, la coproduction d’Ultrasound de Adam Pottle (avec Cahoots Theatre) témoigne d’un effort d’accessibilité accru. La pièce met en vedette des personnages malentendants faisant usage de la langue des signes ainsi que de la langue anglaise. Cette initiative devient le tremplin d’un nouveau plan d’accessibilité pour le Théâtre, un plan que le Groupe Banque TD finance. Le Passe Muraille multiplie ses productions en langue des signes et lance des « performances décontractées » ouvertes aux spectateurs, y compris les personnes autistes, qui ne sont peut‑être pas à l’aise avec les règles et les performances théâtrales traditionnelles. Dès 2017, le Théâtre offre la description audio des pièces aux spectateurs aveugles ou malvoyants.
La programmation de la saison 2017‑2018, marquant le 50e anniversaire du Théâtre, présente le retour de la pièce The Drawer Boy, deux coproductions avec Buddies in Bad Times et des œuvres de troupes invitées, soit New Harlem Productions, Fixt Point, Pandemic Theatre et b current performing arts.