Le Tiktaalik est un genre de poisson à nageoires lobées (sarcoptérygien) de la période dévonienne que l’on trouve sur l’île d’Ellesmere au Nunavut, dans l’archipel arctique du Canada. Une seule espèce de Tiktaalik est connue, le T. roseae, qui vivait il y a environ 385 millions d’années. L’espèce a été nommée en 2006 dans deux articles décrivant plusieurs spécimens articulés. Ces articles ont déclenché une tempête dans la presse populaire. Le Titkaalik représente une étape claire et importante de l’évolution des animaux vers la terre ferme.
Découverte
L’équipe des chercheurs qui font la découverte est dirigée par les docteurs Ted Daeschler (alors membre de la Philadelphia Academy of Natural Sciences), Neil Shubin (Université de Chicago) et le regretté Farish Jenkins (Harvard). Ils s’intéressent à l’évolution des animaux dotés de mains et de pieds, appelés tétrapodes, issus des poissons à nageoires lombaires qui sont courants durant la période dévonienne. Les premiers tétrapodes archaïques vivent à la fin de cette période (le Famennien; il y a 372,2 à 358,9 millions d’années) dans l’est du Groenland et dans d’autres localités d’Europe du Nord. Leurs plus proches parents, les elpistostégidés, dont Panderichthys de Lettonie et Elpistostege de la péninsule gaspésienne du Québec, sont découverts plus tôt dans la période dévonienne, entre le Givétien (387,7-382,7 millions d’années) et le Frasnien (382,7-372,2 millions d’années).
Toutefois, on observe chez ces poissons un manque de plusieurs des caractéristiques trouvées chez les premiers tétrapodes. L’équipe se met donc à la recherche d’un fossile représentant une espèce qui démontre mieux une étape vers les tétrapodes. Les chercheurs ciblent des roches provenant d’une région qui préserve le bon type d’environnement fossile (eau douce aquatique), le bon âge (début du Frasnien), le bon endroit (hémisphère nord), mais qui n’a pas encore été explorée par les paléontologues. C’est ce qui les mène à la formation de Fram, dans le sud-est de l’île d’Ellesmere. Après deux saisons de recherches sur le terrain infructueuses, au cours desquelles ils ne trouvent que des poissons fossiles déjà bien connus, ils planifient une dernière excursion en misant le tout pour le tout, car le travail de terrain dans l’Extrême-Arctique est logistiquement difficile et coûteux pendant la saison estivale, qui est limitée. Cette dernière expédition de terrain, en 2004, s’avère heureusement extrêmement fructueuse.
Nom
Le nom Tiktaalik vient d’un mot inuktitut qui désigne « un gros poisson d’eau douce que l’on voit dans les bas-fonds ». Ce nom est suggéré par le Nunavut Council of Elders (Inuit Qaujimajatuqangit Katimajiit) et il est choisi parmi deux noms proposés. L’épithète spécifique, roseae, est nommée en l’honneur d’un bienfaiteur anonyme de paléontologie du Dévonien. Les fossiles sont actuellement conservés au Musée canadien de la nature d’Ottawa, jusqu’à ce que des installations de recherche soient mises en place au Nunavut.
Description
Le spécimen type du Tiktaalik comprend un crâne complet et la partie avant du squelette; le reste du squelette est connu grâce à d’autres spécimens. Le corps est entièrement recouvert d’écailles osseuses. Le crâne est large, il est de forme triangulaire lorsque vu du dessus, et il est recouvert d’une texture fine et striée. Les yeux sont situés sur le dessus du crâne, contrairement à la plupart des poissons qui ont les yeux sur les côtés de la tête. Le crâne présente une rangée extérieure de nombreuses petites dents de taille régulière. La rangée intérieure et le plafond de la bouche (le palais) comportent plusieurs grands crocs, un motif commun aux poissons à nageoires lobées et aux premiers tétrapodes. La connexion osseuse entre l’arrière de la tête et la ceinture scapulaire présente chez la plupart des poissons a été perdue, créant ainsi le premier cou de vertébré connu d’après les archives fossiles.
Dans leurs lobes charnus, les nageoires de devant contiennent les mêmes os (homologues) que ceux des bras et des poignets des tétrapodes, ce qui suggère une ascendance commune. Fait unique au Tiktaalik, ces os présentent des signes d’articulations mobiles entre eux.
L’os de la hanche, appelé ilion, est plus large que chez d’autres poissons étroitement apparentés, mais il n’est pas relié aux vertèbres. L’os de la hanche, appelé pubis, est également élargi et il forme, avec l’ilium, une cavité pour la nageoire postérieure. En revanche, le troisième os de la hanche, l’ischion, n’est pas ossifié.
Les vertèbres, comme chez la plupart des poissons, sont constituées de plusieurs os distincts qui s’enroulent autour de la notochorde, ce qui les renforce. Contrairement à la plupart des poissons, il n’y a pas de nageoires au-dessus des vertèbres. Les côtes s’articulent avec chaque segment vertébral et se chevauchent pour résister à la torsion du corps. Il existe des preuves de différences régionales le long de la colonne vertébrale, et les côtes près du bassin se sont élargies, formant un raccord par l’intermédiaire des tissus mous. Cependant, la spécialisation des deux premières vertèbres pour l’articulation en lien avec l’arrière du crâne, trait commun chez les tétrapodes, est absente chez le Tiktaalik.
Habitat et alimentation
Les dents témoignent d’un régime carnivore. L’absence de nageoires dorsales et les yeux situés sur le dessus de la tête suggèrent que le Tiktaalik se cachait possiblement le long de l’horizon eau-air, peut-être près du bord de l’eau, en tant que prédateur en embuscade.
Des travaux récents utilisant des modèles numériques dérivés de la tomographie assistée par ordinateur (CT) suggèrent que le Tiktaalik a un mode d’alimentation semblable à celui des alligators et des crocodiles vivants, appelé « claquement latéral ». Lorsqu’ils se nourrissent dans l’eau, la plupart des poissons ont des raccords mobiles entre les os du crâne qui aident à élargir la cavité buccale pour aspirer la nourriture dans la bouche. Chez le Tiktaalik et l’alligator, la plupart des articulations mobiles (cinétiques) fusionnent fermement les unes avec les autres, ce qui permet une forte occlusion entre les mâchoires supérieures et inférieures. La mobilité est conservée dans la partie du crâne liée à la chambre branchiale, ce qui signifie que le Tiktaalik respire exclusivement sous l’eau.
Transition de l’eau à la terre
Les tout premiers tétrapodes connus de la fin du Dévonien sont encore obligatoirement aquatiques et leur anatomie ressemble à celle des poissons. Toutefois, des empreintes fossiles plus anciennes suggèrent qu’il reste peut-être un chaînon manquant à découvrir dans le registre fossile. À bien des égards, le Tiktaalik représente un intermédiaire entre ces tétrapodes archaïques et un schéma corporel entièrement « de type poisson ». Un cou permet un mouvement indépendant de la tête. L’expansion des os de la hanche et le développement d’une connexion avec les vertèbres sont des étapes essentielles vers la locomotion sur terre. Le développement d’articulations mobiles dans la nageoire antérieure est également nécessaire pour interagir avec le sol.