C’est principalement par voie de traités que sont établies les relations entre nations et que sont définis les droits, responsabilités et obligations des parties. Dans ce qui est aujourd’hui le Canada, les nations autochtones ont conclu et mis en application des traités entre elles et avec les Européens pendant des siècles. Les traités se voulaient des moyens de baliser l’occupation conjointe d’un territoire de manière pacifique. Ce n’était pas aux yeux des nations autochtones une façon d’abandonner leur souveraineté et leur identité aux mains des puissances coloniales (voir aussi Traités avec les peuples autochtones au Canada). Terre-Neuve-et-Labrador n’a jamais envisagé de conclure des traités avec les Autochtones même si la province a été l’un des premiers lieux de colonisation en Amérique (voir aussi Colonialisme au Canada). C’est là le fruit de l’histoire unique de la province par rapport aux autres provinces canadiennes. Avant de se greffer au Canada, Terre-Neuve n’avait aucun mécanisme pour reconnaître les nations autochtones. Ainsi, à l’adhésion de la province au Canada, les Autochtones ont été omis des conditions de l’union (voir aussi Terre-Neuve-et-Labrador et la Confédération). À Terre-Neuve-et-Labrador, il n’y a pas de traités anciens reconnus par le gouvernement fédéral ou la province. Cependant, selon les documents qui persistent de l’époque et la tradition orale autochtone, il y aurait eu au moins deux traités au 18e siècle. Aussi, deux traités modernes couvrent une partie du territoire de Terre-Neuve-et-Labrador et il y a eu des tentatives de négociations ou il y a actuellement des traités en négociation.
Contexte des traités
Les traités sont des accords officiels entre deux entités internationales, généralement des pays ou des nations. Les traités conclus avec les peuples autochtones au Canada énoncent les droits, les avantages et les obligations de chaque partie. Ce sont des accords juridiquement contraignants reconnus par le droit international. Les nations autochtones concluent des traités entre elles depuis des temps immémoriaux. La Confédération Haudenosaunee est une alliance entre les Kanyen’kehà:ka (Mohawks), les Oneidas, les Onondagas, les Cayugas, les Sénécas et les Tuscaroras communément appelée les Six Nations. Depuis le contact avec les Européens, les nations autochtones concluent des traités avec ces derniers. Le célèbre Kaswentha (ceinture wampum à deux rangs) entre les Néerlandais et les Haudenosaunee en 1613 et la Grande Paix de Montréal en 1701 entre la Nouvelle-France et les Haudenosaunee et d’autres nations autochtones en sont deux exemples marquants. Les traités sont des accords de nation à nation. Les nations autochtones qui ont conclu des traités avec les Européens estiment qu’elles ne leur ont pas cédé leurs droits et leurs territoires. Elles ont plutôt convenu de se respecter et de coexister. Le gouvernement estime que les traités sont des documents juridiques qui cèdent les droits ancestraux sur le territoire. Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada reconnaît que les droits issus des traités ainsi que les droits des peuples autochtones au Canada sont « reconnus et confirmés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et font également partie intégrante de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones que le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre en œuvre en partenariat avec les peuples autochtones ».
Premiers traités à Terre-Neuve-et-Labrador
Selon un rapport public sur la chronologie historique des événements survenus à Terre-Neuve-et-Labrador, aucun traité n’est signé entre les nations autochtones et les colons européens. Le rapport fait cependant état de traités signés entre les puissances européennes. En font notamment partie le traité d’Utrecht en 1713 et le traité de Versailles en 1783. On y trouve aussi la convention de 1818, qui définit les droits de pêche des États-Unis à Terre-Neuve. Pourtant, d’après la tradition orale autochtone et certains documents coloniaux, deux traités les précéderaient entre les nations autochtones et les gouvernements coloniaux à Terre-Neuve-et-Labrador. On parle ici d’un traité de paix et d’amitié avec les Micmacs en 1763 et du traité de paix entre les Britanniques et les Inuits en 1765.
Traité de paix et d’amitié avec les Micmacs
L’un des premiers traités qui auraient vu le jour à Terre-Neuve-et-Labrador serait le renouvellement des traités de paix et d’amitié avec les Micmacs. Bien qu’on en conteste l’existence, les partisans du traité affirment qu’il fait partie des traités de paix et d’amitié signés entre les Micmacs, les Wolastoqiyik (Malécites), les Passamaquoddy et les Britanniques avant 1779. Les traités de paix et d’amitié sont des traités multiples signés en 1725, 1726, 1749, 1752 et 1760-1761. Ils réaffirment la paix entre les Premières Nations et les Britanniques après des périodes de guerre avec les Français. Traditionnellement, ces traités ne s’appliquent pas à l’île de Ktaqmkuk (Terre-Neuve). Les spécialistes cherchent à déterminer si Ktaqmkuk était un territoire Micmacs avant que les Européens s’y installent. Les récits oraux des Micmacs indiquent pour leur part une présence prolongée sans équivoque des Micmacs à Ktaqmkuk avant l’arrivée des colons. Ktaqmkuk est l’endroit où vivaient ceux que les Micmacs appellent Sa'yawe'djki'k (les anciens) avant le 18e siècle. Les archives indiquent que le chef micmac Jeannot Pequidalouet a renouvelé un traité de paix et d’amitié sur l’île Codroy, à Terre-Neuve. Selon les Micmacs, Ktaqmkuk est traditionnellement regroupé avec le district d’Unama’kik (île du Cap-Breton). Récemment, un chercheur de l’Université Memorial de Terre-Neuve a retrouvé une lettre du capitaine Samuel Thompson adressée au secrétaire de l’amirauté en avril 1764 et décrivant le traité de Terre-Neuve.
Traité de paix entre les Britanniques et les Inuits
Le traité de paix entre les Britanniques et les Inuits est un accord conclu entre les Britanniques et les Inuits dans le centre et le sud du Labrador. Cet accord instaure la paix entre les Inuits et les Britanniques. On y décrit les intérêts britanniques et les autres droits et avantages pour chaque partie. En 1764, le gouverneur de Terre-Neuve, y compris la côte du Labrador, Hugh Palliser proclame que les habitants ne doivent pas être méchants envers les Inuits. Il espère à ce moment être capable de conclure incessamment un traité avec les Inuits. Le gouverneur invite les Inuits à se réunir à Chateau Bay en août 1765. Plus de 300 Inuits viennent ainsi participer aux discussions sur le traité qui durent plusieurs jours. Ce sont ces discussions qui aboutissent à la rédaction du traité de paix entre les Britanniques et les Inuits. Le traité protège les Britanniques des colonies françaises et états-uniennes. Il promet également aux Inuits qu’ils bénéficieront de la protection de l’Empire britannique, d’une autonomie sur leur gouvernance et de droits sur les ressources naturelles et les échanges. Certains chercheurs affirment que la réunion n’a abouti à aucun traité officiel. En revanche, les descendants des Inuits du centre et du sud du Labrador, représentés par le NunatuKavut Community Council, ne sont pas du même avis.
Traités modernes à Terre-Neuve-et-Labrador
Les traités modernes sont des accords modernes conclus entre les gouvernements fédéral, provinciaux et autochtones. Ils sont signés après la création du Canada et l’arrivée de Terre-Neuve-et-Labrador au sein de la Confédération. À Terre-Neuve-et-Labrador, l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador est signé en 2005. De plus, les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, qui couvrent principalement les terres de la région du Nunavik au Québec, débordent un peu sur le Labrador. Toutefois, comme le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador n’est pas une partie à l’accord qui en découle, celui-ci n’est généralement pas considéré comme un traité moderne de Terre-Neuve-et-Labrador. L’accord de chevauchement territorial est signé par les Inuits du Nunatsiavut au Labrador, les Inuits du Nunavik au Québec et le gouvernement fédéral.
Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador
L’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador est un traité moderne conclu entre les Inuits du Labrador au Nunatsiavut et les gouvernements fédéral et provincial. L’accord est conclu après que les Inuits du Labrador ont fait valoir une revendication territoriale en 1977 et après les négociations qui ont suivi avec les gouvernements fédéral et provincial. Un accord-cadre est établi en 1990, suivi d’un accord de principe en 2001. L’accord est ratifié par les membres du Nunatsiavut en 2004 et entre en vigueur en 2005. L’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador définit une zone qui comprend plus de 72 000 km² de terres et 44 030 km² d’océan ainsi qu’environ 15 000 km² de terres désignées comme des terres des Inuits du Labrador. Ce traité établit le gouvernement du Nunatsiavut, qui devient souverain pour les questions de culture, d’éducation et de santé, entre autres. Les Inuits du Labrador se voient aussi confier la gestion des ressources (chasse, piégeage, pêche) dans la zone revendiquée et peuvent rapatrier leur patrimoine culturel (artefacts et autres objets matériels). Le parc national des Monts-Torngat est également créé dans la même zone.
Discussions en cours sur les traités à Terre-Neuve-et-Labrador
Il y a eu de nombreuses tentatives de traités modernes et d’autres en sont à différents stades de discussion à Terre-Neuve et au Labrador. La nation innue, le NunatuKavut Community Council et les Micmacs de Ktaqmkuk revendiquent notamment des terres.
Revendication territoriale de la nation innue
La nation innue au Labrador cherche à faire reconnaître depuis des années son territoire traditionnel et son autonomie. En 1977, elle fait valoir une première revendication territoriale auprès du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral estime cependant que les preuves sont insuffisantes, et la nation innue reçoit des fonds pour approfondir ses recherches. En 1990, elle fait valoir une autre revendication territoriale, puis elle signe un accord-cadre en 1996. En 2008, la nation innue, la province et l’Energy Corporation of Newfoundland signent l’accord Tshash Petapen. On résout ainsi les problèmes liés à la revendication territoriale des Innus et à divers projets d’exploitation de ressources. En 2011, un accord de principe est signé à Natuashish dans l’attente d’un accord final sur les revendications territoriales.
Revendication territoriale du NunatuKavut Community Council
En 1991, le NunatuKavut Community Council (NCC), qui porte alors le nom de Labrador Metis Association, représente les Inuits du sud et du centre du Labrador et fait valoir une revendication territoriale auprès du gouvernement fédéral. Le gouvernement répond en affirmant que la recherche n’est pas complète. En 2010, le NCC présente une version révisée de la revendication. Les pourparlers entre le NCC et le gouvernement fédéral sur la reconnaissance des droits ancestraux et de l’autodétermination commencent en 2018. En 2019, le NCC signe un protocole d’accord avec le gouvernement fédéral, mais il n’y est pas question de revendications territoriales.
Il y a controverse sur l’identité autochtone du NCC. La Commission royale sur les peuples autochtones mentionne que le NCC (alors les Labrador Métis) jouit d’un enracinement historique, d’une cohésion sociale et d’une conscience de soi culturelle typiques d’une nation et qu’il pourrait se voir accorder le statut de nation par la politique de reconnaissance alors projetée. Cependant, plusieurs gouvernements autochtones, dont la nation innue, le gouvernement du Nunatsiavut et l’Inuit Tapiriit Kanatami contestent ouvertement les allégations du NCC sur son identité, son territoire et ses droits ancestraux au titre de l’article 35 de la Constitution canadienne.
Revendication territoriale de Ktaqmkuk
Les Micmacs de Ktaqmkuk (Terre-Neuve), par l’intermédiaire de la Federation of Newfoundland Indians and Conne River Band Council (aujourd’hui la Première Nation de Miawpukek), font valoir en 1981 une revendication territoriale globale couvrant la partie sud-ouest de l’île. En 1986, la revendication est rejetée par les gouvernements provincial et fédéral. Ils affirment qu’il n’y a pas de preuves archéologiques de leur présence sur l’île avant l’arrivée des colons. Cependant, les récits oraux des Micmacs font état d’une présence de ces derniers à Terre-Neuve avant la colonisation. À ce jour, aucune revendication territoriale n’est réglée pour les Micmacs de Ktaqmkuk, que ce soit par la Première Nation de Miawpukek ou par la Première Nation micmaque Qalipu. En 2013, la Première Nation de Miawpukek signe un accord de principe sur l’autonomie gouvernementale avec les gouvernements fédéral et provincial bien que cet accord ait été explicitement déclaré comme n’étant ni un traité protégé ni une revendication territoriale.
Écho actuel
L’histoire des traités à Terre-Neuve-et-Labrador est marquée par l’absence de reconnaissance provinciale et fédérale des Autochtones dans la province. La situation fait en sorte que le gouvernement néglige depuis longtemps ses responsabilités constitutionnelles à l’égard des Autochtones. Bien qu’ils soient souvent négligés dans les récits historiques, les premiers traités, comme le renouvellement du traité de paix et d’amitié avec les Micmacs et le traité de paix entre les Britanniques et les Inuits font état d’accords de nation à nation dans la région. Les accords contemporains, comme l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, mettent en relief la quête continue pour l’autodétermination des peuples autochtones. Les revendications non résolues de la nation innue, du NunatuKavut Community Council et des Micmacs de Ktaqmkuk soulignent quant à elles les difficultés qui persistent dans la recherche de la reconnaissance et de la justice et dans le travail de réconciliation.