Transplantation
La transplantation est une branche de la médecine unique en ce sens que les traitements font intervenir le transfert d'un individu à un autre d'un organe ne se renouvelant pas. La transfusion sanguine et la greffe de moelle osseuse constituent des sources de tissus se renouvelant et, pour cette raison, elles ne sont pas prises en considération dans le présent exposé. L'organisme humain n'est pas conçu pour recevoir des greffons provenant d'autres individus. Les organes et les tissus diffèrent d'un individu à l'autre par la présence de marqueurs sur les membranes cellulaires, ou groupes tissulaires, appelés antigènes HLA. Ces facteurs sont héréditaires et sont transmis à moitié par la mère, à moitié par le père. Chaque personne possède huit de ces facteurs (sur les quelque 90 facteurs possibles connus dans la population). Ceux-ci constituent notre profil génétique HLA. Chacun d'entre nous peut être identifié par ce profil car, selon toute vraisemblance, la probabilité est faible qu'une autre personne non apparentée possède exactement les mêmes facteurs.
Le système immunitaire humain est conçu pour reconnaître les protéines étrangères, ou antigènes, et provoquer une réaction immunitaire contre celles-ci. Les réactions immunitaires nous protègent aussi contre nos propres cellules qui deviendraient cancéreuses. Ces cellules sont également reconnues comme étrangères et sont attaquées, pourvu qu'elles conservent les marqueurs de reconnaissance. Le secret d'une transplantation réussie consiste à faire échec aux réactions immunologiques par immunosuppression de façon à ce que l'organisme ne rejette pas le greffon tout en demeurant apte à résister aux infections et à reconnaître les cellules cancéreuses. Il serait très avantageux de pouvoir faire ceci de façon sélective, c'est-à-dire en amoindrissant l'immunité seulement par rapport aux antigènes du greffon et en laissant intacts les autres composants de l'immunité. Il est impossible pour le moment de réaliser ceci chez les humains, mais c'est un des buts ultimes de la recherche.
Certains agents immunosuppresseurs sont des substances chimiques, notamment la cyclosporine et l'azathioprine. D'autres, comme la globuline antilymphocytaire (GAL) ou les anticorps T3 des lymphocytes humains T (OKT3), sont des anticorps très spécifiques d'origine animale et sont conçus pour bloquer la réaction immunitaire de façon très précise et sélective. Malgré la célébrité méritée de la cyclosporine, dont l'utilisation a remarquablement amélioré les chances de survie dans un certain nombre de cas de greffes d'organes, l'immunosuppression est un domaine des traitements médicaux en constante mutation.
Transplantation d'organes spécifiques
Plus de 60 000 transplantations rénales ont été réalisées en Amérique du Nord depuis 1964, l'année de la première transplantation réussie sur un humain d'un greffon rénal prélevé sur un cadavre. L'opération, d'abord expérimentale ou utilisée en dernier recours, est devenue le traitement de choix pour la plupart des patients souffrant d'insuffisance rénale chronique. Au départ, on faisait appel à de nombreux donneurs vivants (membres de la famille), mais dans les deux dernières décennies, l'utilisation de reins prélevés sur des cadavres est prépondérante. Il a donc fallu établir des critères spéciaux de diagnostic et de constatation de la mort à la suite de la cessation totale et définitive de toutes les fonctions du cerveau (ou mort cérébrale), et trouver des moyens pour expliquer la situation à la population et aux familles récemment endeuillées en demandant leur permission pour utiliser les organes après la mort. Dans tous les centres de transplantation, des personnes sont maintenant spécialement assignées à cette tâche et à sa coordination.
Les transplantations rénales ont été les premières à se développer, car cet organe possède un débit sanguin abondant (nécessaire à la formation de l'urine), est doté d'une seule artère et d'une seule veine (habituellement), est moins sujet aux infections postopératoires (le poumon est le plus sensible aux infections), et bénéficie d'un système de secours, l'hémodialyseur, qui permet au rein de fonctionner en attendant que cesse l'activité de rejet.
Après une transplantation rénale, le taux de survie des greffons provenant d'un cadavre est aujourd'hui d'environ 80 p. 100 à un an, 73 p. 100 à trois ans et 66 p. 100 à cinq ans, et on s'attend qu'il atteigne environ 50 p. 100 à dix ans. Les sujets chez qui la greffe n'est pas une réussite retournent en hémodialyse dans l'attente d'une autre greffe. La dose requise de médicaments immunosuppresseurs chute de façon notable au bout de trois mois environ, mais, même réduit, le traitement doit alors se poursuivre indéfiniment. L'incidence du cancer augmente considérablement, et il faut être d'autant plus vigilant pour détecter cette complication le plus rapidement possible.
Les sujets chez qui l'organe greffé devient fonctionnel, c'est-à-dire la majorité, jouissent d'une bonne santé et ont peu de restrictions. Les personnes qui reçoivent un rein d'un membre de leur famille ont de meilleurs résultats encore que les receveurs d'un organe provenant d'un cadavre. Le taux de survie du greffon à 10 ans est de 75 à 80 p. 100 et la survie du patient à long terme est supérieure à 90 p. 100.
Les meilleurs résultats sont obtenus chez les sujets dont la maladie se limitait aux reins. Les personnes atteintes d'insuffisance rénale en raison d'un DIABÈTE SUCRÉ, par exemple, continuent de souffrir des autres complications de cette maladie, même quand le problème du rein a été traité avec succès au moyen d'une greffe.
Transplantation cardiaque
Le 3 décembre 1967, l'attention du monde se porte sur le Groote Shure Hospital, à Cape Town, où a été annoncée la première transplantation cardiaque réussie d'un humain à un autre. Cette technique avait tout de même été préalablement mise au point avec soin grâce à des travaux sur des animaux aux États-Unis. Motivés par cette réussite, près de 50 centres effectuent plus de 100 transplantations semblables en 1968 et, à la fin de 1970, ce nombre atteint 250, mais la plupart des patients meurent à cause d'un rejet ou d'une infection. En 1968-1969, 20 opérations de ce genre sont pratiquées au Canada, à Montréal et à Toronto, et la plupart des patients succombent dans la première année, bien que dans chaque centre il reste un unique survivant après plus de quatre ans. Aucune autre transplantation cardiaque n'est pratiquée au Canada jusqu'en 1980.
Au cours des années 70, une équipe de Stanford, aux États-Unis, poursuit les travaux sur les stratégies de diagnostic et d'approche thérapeutique et, pour la première fois, introduit la cyclosporine dans le protocole de traitement. Leur succès entraîne une renaissance des transplantations cardiaques dans le monde. En avril 1981, l'opération est de nouveau pratiquée au Canada, au University Hospital de London. En septembre 1987, 150 transplantations cardiaques avaient été effectuées au Canada. À l'échelle mondiale, il y a aujourd'hui plus de 120 centres qui pratiquent plus de 5000 transplantations.
Actuellement, les taux de survie des patients à un an et à cinq ans sont respectivement de 80 p. 100 et de 75 p. 100, et la plupart des patients retrouvent une vie active et productive. Des problèmes particuliers se présentent : incidence élevée de coronaropathies induites par des mécanismes immunitaires dans l'organe greffé, et aussi un besoin d'un plus grand nombre de donneurs et de soutien à apporter aux receveurs éventuels au cours de la période d'attente.
Transplantation cardio-pulmonaire
La première transplantation cardio-pulmonaire combinée est effectuée en 1969. Deux autres sont pratiquées à la fin de 1971. Le patient qui a survécu le plus longtemps est mort après 23 jours. Aucune autre tentative n'est faite jusqu'en 1981 quand, à la suite de transplantations cardio-pulmonaires réussies sur des primates, l'équipe de Stanford décide qu'il est temps d'essayer à nouveau sur les humains. Le premier receveur est une femme de 45 ans, qui était toujours bien portante en 1987.
En mai 1983, la première transplantation coeur-poumons est pratiquée au University Hospital de London. À la fin de 1986, plus de 150 opérations semblables ont été effectuées dans 15 à 20 centres dans le monde. Le taux de survie actuel n'est que de 60 p. 100 à un an et de 50 p. 100 à cinq ans. L'infection constitue un grand problème à cause de l'exposition du poumon à l'environnement par les voies respiratoires. De plus, le poumon est aussi sujet à d'importants rejets.
Transplantation hépatique
La transplantation hépatique présente des problèmes particuliers : l'organe se détériore rapidement chez le donneur; le chirurgien doit apparier la grosseur de l'organe de remplacement; il faut une précaution attentive à préserver la vésicule biliaire et l'intégrité du drainage biliaire; il se produit des troubles particulièrement sérieux au niveau de la coagulation sanguine qui peuvent provoquer des hémorragies postopératoires graves; et il n'y a pas de système artificiel de secours pour compenser pendant les périodes de rejet du foie.
Il n'est donc pas surprenant que les programmes de transplantation du foie aient été mis en vigueur plus lentement et que ces opérations ne se pratiquent que dans quatre centres au Canada. Le plus grand nombre de ces transplantations ont été pratiquées au centre de London, où 120 opérations ont été effectuées avec des résultats comparables à ceux du centre de Pittsburg. En effet, ce dernier a consacré beaucoup d'énergie à ces opérations depuis 1980 et, avec l'aide de la cyclosporine, ses efforts ont été couronnés de succès au point que l'opération est passée du stade expérimental à celui de traitement médical reconnu. Comme les soins pour ces patients sont très onéreux, cet exploit médical aura des répercussions considérables sur l'aspect économique des soins de santé au cours de la prochaine décennie.
Transplantation de pancréas
Les transplantations de pancréas sont pratiquées parce que cet organe contient des îlots de tissus sécrétant de l'insuline, appelés îlots de Langerhans (voir plus bas), mais le drainage des sécrétions digestives aussi produites par le pancréas s'avère le principal problème. Pour essayer de surmonter cette difficulté, le drainage des sécrétions pancréatiques est effectué dans la vessie, l'intestin et à la peau. Seuls quelques rares centres continuent cette transplantation, et les résultats sont très décevants.
Transplantation des îlots de Langerhans chez les diabétiques
Le pancréas d'un adulte compte quelque 200 000 îlots de Langerhans. La transplantation de ces îlots, pour soigner le diabète sucré, pose des problèmes : la séparation des îlots du pancréas provenant d'un cadavre sans exposition au suc digestif du corps principal de tissu pancréatique, la conservation des îlots et la réduction de la possibilité de rejet. Au Canada, plusieurs centres sont arrivés au stade des essais cliniques dans ce domaine, après avoir résolu ces problèmes sur des animaux.
Transplantation de tissus spécifiques Greffe cornéenne
La greffe de cornée est une opération bien établie. Le rejet immunitaire ne constitue pas un problème pour la plupart des patients, puisque les protéines de la cornée ne provoquent habituellement pas de réaction contre un antigène étranger et, de toute façon, cette structure est avasculaire avec comme conséquence que les anticorps et les cellules immunologiquement compétentes n'y parviennent pas.
Il n'y a pas de pénurie de cornées comme pour les autres organes, car elles peuvent être prélevées jusqu'à six heures après la mort, et les donneurs peuvent être plus âgés que ceux des organes vitaux internes. La transplantation cornéenne sans complications ne requiert pas de médicaments immunosuppresseurs.
Greffe cutanée
La plupart des greffes cutanées s'effectuent avec la peau même du patient pour réparer les dommages. On les appelle autogreffes cutanées, et elles ne présentent aucun problème d'immunité. Pour traiter les brûlures graves et étendues, il faut avoir recours à des allogreffes cutanées (obtenues de banques de peau prélevée sur des cadavres), qui servent de pansements. Aucun traitement immunosuppresseur n'est utilisé puisque les allogreffes seront perdues, bien qu'elles puissent durer pendant plusieurs semaines vitales et être remplacées si nécessaire. Les banques de peau sont en voie de devenir répandues et il en existe plusieurs au Canada.
Greffe osseuse
La greffe osseuse est utilisée pour reconstruire les os à la suite d'une résection résultant de traumas ou de chirurgies pour un cancer. L'os n'est pas utilisé comme un greffon vivant et aucun traitement immunosuppresseur n'est requis. C'est plutôt par induction osseuse que les pores de l'os sont colonisés par les cellules osseuses du receveur, qui remplacent celles du donneur. Le receveur se sert donc du greffon comme d'un échafaudage sur lequel ses cellules vont croître pour le transformer éventuellement en os autologue.
Approvisionnement et conservation des organes
L'approbation et la compréhension de la population sont indispensables à toute la médecine de transplantation. Il faut du temps pour accepter une nouvelle conception de la mort, un débat ouvert est essentiel. Pendant deux décennies, toutefois, la population canadienne a consenti aux pratiques de transplantations cliniques comme le démontre sa volonté de faire don des organes prélevés sur les corps de ses êtres chers après leur mort. Personne n'apprécie ce geste davantage que ceux qui attendent ces dons pour sauver des vies. Malgré tout, il y a une pénurie importante d'organes vitaux internes pour la transplantation. C'est en grand partie dû au fait que seuls 1 à 2 p. 100 des personnes qui meurent dans des hôpitaux conservent des organes qui pourraient servir à la transplantation à cause de l'atteinte des organes internes par les processus pathologiques.
Une mort subite est toujours tragique et cause un choc émotif. Pourtant, dans une telle atmosphère de chagrin, de crainte, de confusion et d'incertitude, il faut demander à la famille de faire don des organes de leurs proches décédés pour ceux qui en ont besoin. Cela peut s'avérer une expérience marquante; il est facile de comprendre pourquoi seuls 10 à 20 p. 100 des 1 à 2 p. 100 de ces décès hospitaliers deviennent des donneurs. Toutefois, si cette proportion passait à 80 p. 100, le problème de pénurie d'organes serait grandement surmonté. Pour ces raisons, l'approvisionnement en organes devient de plus en plus la responsabilité des administrateurs d'hôpitaux et des professionnels de la santé.
La conservation des organes constitue un domaine de recherche très difficile, dans lequel il n'y a pas eu beaucoup de progrès. L'idéal serait la conservation des organes aux très basses températures de l'azote liquide, (autour de -170°C), mais la cryobiologie n'est pas en mesure d'y arriver dans les cas d'organes complexes hautement différenciés, sauf pour de très petites portions. Actuellement, les reins peuvent être conservés à 4°C pendant 48 à 72 heures, mais les transplantations cardiaques, cardio-pulmonaires et hépatiques doivent s'effectuer le plus rapidement possible, dans les quelques heures qui suivent la mort du donneur.
Problèmes éthiques relatifs aux transplantations d'organes
Les problèmes d'éthique relatifs aux transplantations abondent. Ils entrent dans trois catégories : ceux qui entourent le diagnostic de la mort de causes cérébrales, ceux qui sont liés à l'approvisionnement en organes et ceux qui ont trait à l'allocation des organes et au financement des programmes. En bref, quand les organes peuvent-ils être prélevés? À qui appartiennent-ils après leur prélèvement? Comment les distribuer de façon équitable? Y a-t-il des limites aux droits des familles de donneurs? Quels sont les droits des receveurs potentiels qui attendent? Ces programmes coûteux qui ne profitent qu'à relativement peu de personnes sont-ils hors de nos moyens?
Les réponses à ces questions impliquent l'intervention des membres de notre société, autres que le personnel médical. Différentes solutions apparaissent selon les collectivités et les cultures. Des problèmes particuliers surviennent quand les organes sont transférés entre des collectivités qui ne sont pas de même culture ou n'adhèrent pas à la même morale.
Avenir de la médecine des transplantations
Les spéculations sur les progrès de la médecine sont fascinantes, mais peu fiables. Ceci dit, voici quelques-unes des prédictions actuelles : des greffes d'organes s'effectueront entre des membres de deux espèces différentes (les xénogreffes); certaines espèces, probablement les primates, seront élevées dans ce but; le tissu cérébral sera utilisé pour le traitement de certaines maladies neurologiques (ce qui, en fait, se fait déjà) bien que le rétablissement de la pensée rationnelle ne pourra pas se faire par greffe; les transplantations d'organes vont rivaliser avec la thérapie génique dans le traitement des troubles enzymatiques et génétiques, car le régulation du système immunitaire va devenir hautement sélective et sûre; les greffes de tissus ovarien et testiculaire permettront de traiter la stérilité et les insuffisances endocriniennes associées, encore que cela soulève de très sérieuses questions éthiques qui doivent être régulées avec soin par la société. En effet, les règles d'éthique dans ce domaine sont appelées à devenir de plus en plus importantes pour que la science et la technologie nous apportent des bienfaits croissants.