Le traité no 4, également appelé traité de Qu’Appelle, est signé le 15 septembre 1874 à Fort Qu’Appelle, en Saskatchewan. Parmi les signataires autochtones, on trouve les Cris, les Saulteaux, les Ojibwés et les Assiniboines. En échange de paiements, de différentes dispositions et de droits sur des terres de réserve, le traité no 4 cède des territoires autochtones au gouvernement fédéral. La majorité des terres visées par le traité no 4 se situent dans le sud de ce qu’on appelle aujourd’hui la Saskatchewan. De petites portions se trouvent toutefois dans l’ouest du Manitoba et dans le sud de l’Alberta. (Voir Traités numérotés.)
Contexte historique
En 1873, la colonisation de l’Ouest et la disparition du bison qui constituait la base des économies de nombreux peuples autochtones des Plaines avant l’arrivée des Européens menacent les populations des Premières Nations de l’Ouest. (Voir Chasse au bison.) Afin de protéger leurs terres et d’assurer leurs moyens de subsistance, les peuples autochtones cherchent à conclure des traités avec le gouvernement fédéral. Toutefois, les traités no 1, 2 et 3 ont déjà prévu la colonisation des terres intérieures de l’Ouest et la construction de routes y conduisant. Le gouvernement ne se sent donc pas obligé de négocier d’autres traités avec les Premières Nations de ces régions.
En dépit du désintérêt du gouvernement fédéral, le lieutenant‑gouverneur du Manitoba et des Territoires du Nord‑Ouest, Alexander Morris, estime que la conclusion de traités supplémentaires permettrait de stabiliser la situation dans l’Ouest. (Voir Traités numérotés.) Les empiétements de plus en plus importants sur les territoires autochtones de la part de colons, de Métis, de trafiquants de whisky en provenance des États‑Unis, de différents acteurs de la Commission d’établissement de la frontière Canada–États‑Unis et de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) entraînent de nombreuses frictions avec les Premières Nations vivant dans ces régions. Ces problèmes, associés à la fin de la chasse au bison et à la peur de la famine, sont à l’origine d’un accroissement des tensions entre les Premières Nations. La situation est particulièrement tendue entre les Kainai et les Cris. En effet, les deux sont impliqués dans le dernier conflit majeur entre Premières Nations au Canada : la bataille de la rivière Belly en 1870.
Peu après la nomination d’Alexander Mackenzie au poste de premier ministre, Alexander Morris écrit au ministre de l’Intérieur, David Laird, pour évoquer son idée de signer un traité avec les Cris, les Saulteaux, les Ojibwés et les Assiniboines vivant dans la région de Qu’Appelle entre Fort Ellice et la fourche de la rivière Saskatchewan. Le gouvernement accepte la suggestion du lieutenant‑gouverneur. À la mi‑mai 1874, Alexandre Morris apprend que les peuples autochtones de la région de Qu’Appelle sont également prêts à négocier un traité. Il est donc nommé négociateur principal et est accompagné par David Laird et un ancien de la CBH, William J. Christie. Les trois commissaires arrivent à Fort Qu’Appelle le 8 septembre 1874.
Négociations du traité
Les négociations connaissent un début difficile. En effet, les chefs autochtones sont quelque peu divisés en fonction de leurs intérêts tribaux. Ils éprouvent donc des difficultés à se choisir un porte‑parole principal et à s’accorder sur les termes du traité. Certains chefs, à l’instar de celui des Saulteaux, « The Gambler », hésitent à négocier et restent sceptiques face aux promesses du gouvernement. D’autres, comme le chef des Cris des Plaines, « Loud Voice », se montrent plus optimistes, estimant qu’un traité sera profitable pour leur peuple.
Outre ces dissensions internes, les commissaires s’inquiètent du fait que moins de la moitié des Premières Nations de la région sont représentées à la réunion du 8 septembre. Cette faible participation s’explique par le fait que de nombreux Autochtones sont alors partis à la chasse au bison. Étant donné que les commissaires souhaitent négocier un traité visant l’ensemble de la population de la région, Alexander Morris accepte, à contrecœur, de retarder les négociations jusqu’au 11 septembre.
Ce jour‑là, les Cris sont prêts à négocier; toutefois, les Saulteaux font savoir qu’ils n’acceptent de rencontrer les commissaires que dans leur propre camp. Les commissaires refusent de changer de camp pour tenir les négociations. Si les Saulteaux s’opposent à la tenue des négociations au camp des commissaires, c’est parce qu’il s’agit d’un poste de la CBH. Or, selon de nombreux chefs Saulteaux, cette dernière a, dans le passé, volé leurs terres. Ils estiment donc qu’ils ne sont pas en mesure de parler librement dans un poste de la compagnie et refusent d’y rencontrer les commissaires. Ils tentent même d’empêcher les Cris de rencontrer les commissaires, allant jusqu’à abattre l’une des tentes du chef cri. Cherchant à obtenir un règlement pacifique du problème, les commissaires aboutissent finalement à un compromis en décidant d’organiser la rencontre à mi-chemin entre le camp des Saulteaux et leur propre camp.
Les pourparlers reprennent le 13 septembre. Toutefois, en dépit des tentatives du lieutenant‑gouverneur pour négocier un traité, les nations autochtones reviennent au problème de la CBH. Alexander Morris leur assure que la Couronne a acheté les terres de la CBH et qu’elle est donc propriétaire de ce territoire. Les Autochtones ne sont pas convaincus et continuent à réclamer que le gouvernement limite les activités et l’influence de la CBH dans la région. Le chef des Saulteaux, Pasqua, demande également une compensation pour les terres volées, déclarant : « Nous voulons cet argent! »
Avant que les négociations ne soient totalement rompues, Loud Voice suggère que les chefs autochtones négocient avec le gouvernement sur la base d’une position commune. Alexander Morris appuie ce point de vue. En outre, il avertit les chefs que s’ils ne signent pas un traité à ce moment‑là, il est peu probable que le gouvernement en négocie un autre dans un futur proche. Les commissaires et les chefs autochtones se séparent alors pour se réunir le jour suivant.
Au dernier jour des négociations, le 14 septembre, les chefs sont prêts à négocier le traité. Ils souhaitent toutefois obtenir une certaine assurance quant aux bonnes intentions du gouvernement. En tant que porte‑parole des Autochtones, Kamooses demande : « Est‑il vrai que mon enfant ne subira aucun désagrément du fait de ce que vous lui apportez? » Alexander Morris le rassure en lui disant : « La puissance de la reine l’entourera toujours. ». Selon les chefs, les propos du lieutenant‑gouverneur signifient que la Couronne les protégera et subviendra à leurs besoins pour toujours.
En dépit de désaccords persistants entre les bandes concernant les conditions du traité, les chefs se montrent prêts à accepter des termes identiques à ceux du traité no 3. Les commissaires donnent leur accord sur ce point. Les peuples autochtones demandent également un versement annuel de 15 $ par personne et que le gouvernement efface leurs dettes vis‑à‑vis de la CBH. Ces demandes sont refusées.
Une fois les termes du traité no 4 traduits et expliqués aux peuples autochtones, la signature a lieu le 15 septembre 1874 entre les commissaires et 13 chefs autochtones.
Adhésions
Après la signature du traité no 4, Alexander Morris et David Laird le ministre de l’Intérieur se rendent à Fort Ellice pour y rencontrer une bande de Saulteaux qui n’avait pas pris part aux négociations à Qu’Appelle. En effet, avec un territoire à cheval entre les terres visées par les traités no 4 et no 2, elle n’avait jamais été partie prenante à ce dernier (voir Traités no 1 et 2). Étant donné que les termes du nouveau traité no 4 sont plus favorables que ceux du traité no 2, la bande choisit de signer le premier.
En 1875, les commissaires poursuivent leur campagne d’adhésions auprès d’autres bandes autochtones. Il s’agit de peuples autochtones qui soit n’avaient pas pu se rendre aux négociations à Qu’Appelle, soit avaient, dans un premier temps, refusé les conditions du traité.
Conditions écrites
Pour l’essentiel, les dispositions du traité no 4 sont les mêmes que celles du traité no 3, hormis quelques différences mineures relatives aux montants, aux fournitures et aux cadeaux offerts.
Selon les termes du traité no 4, chaque personne doit recevoir un paiement annuel de 5 $ et un don sous forme de vêtements. Les chefs, outre un paiement unique de 25 $, un manteau et une médaille en argent, doivent percevoir 25 $ tous les ans. Tous les trois ans, les chefs et les chefs de bande doivent se voir remettre de nouveaux vêtements. Quatre dirigeants par bande doivent également toucher 15 $ chaque année.
Chaque famille de cinq personnes doit recevoir un mile carré (640 acres ou 2,6 km²) de terres qu’elle peut revendre au gouvernement pour percevoir de l’argent.
En outre, le traité prévoit la fourniture d’outils agricoles et de munitions, la mise en place de réserves et la construction d’écoles. Il garantit également les droits des Autochtones en matière de chasse, de pêche et de piégeage sur l’ensemble des terres cédées, à l’exception de celles qui doivent être utilisées pour l’agriculture, la foresterie, l’exploitation minière ou la colonisation.
Problèmes de l’administration du traité
Les signataires autochtones du traité no 4 ne reçoivent pas immédiatement tout ce qui leur a été promis. Le processus de choix des réserves ne commence qu’en 1876, soit deux ans après la signature du traité, retardant d’autant la possibilité pour les peuples concernés de s’adonner à l’agriculture.
Il existe également une certaine confusion et une certaine déception quant aux conditions du traité. Le chef cri Piapot fait, par exemple, valoir que le traité devrait aussi prévoir un certain nombre de services en matière d’enseignement agricole, de médecine, de meunerie, de magasins et de forges, ainsi que la fourniture de machinerie agricole. Il estime que son peuple a été trompé par les termes initiaux du traité. Cherchant à satisfaire ces exigences, les peuples signataires du traité no 4 voient, en 1875, la perception de leur paiement annuel retardé de quatre jours, et ce, sans obtenir gain de cause. Les conditions du traité no 4 ne seront, d’ailleurs, jamais améliorées par la suite.
La colonisation d’une zone appelée « Treaty Ground », un lieu qui devait être réservé pour conduire les affaires du traité, constitue une autre difficulté. C’est là que le traité no 4 a été signé et, jusqu’en 1882, c’est là que les Autochtones perçoivent leurs paiements annuels. Toutefois, cette année-là, on les informe que cela se passera désormais dans les réserves plutôt qu’à l’endroit habituel. Bien que cette décision fasse l’objet d’une forte opposition, les Affaires indiennes excluent cette zone des terres de réserve et transfèrent, en 1894, le « Treaty Ground » au ministère de l’Intérieur. Il faudra près d’un siècle pour que les peuples visés par le traité no 4 récupèrent ces terres. Le 14 septembre 1995, le gouvernement octroie aux peuples signataires du traité no 4 une somme de 6,6 millions de dollars et autorise l’achat de terres pouvant être transformées en terres de réserve, jusqu’à une superficie de 1300 acres (526,09 ha), dans un rayon de dix kilomètres autour de « Treaty Ground ». Ce règlement rend possible la construction d’un centre de gouvernance, d’archives, d’organisations culturelles et d’espaces de bureaux.
Interprétations variées
Certains historiens et descendants des signataires du traité no 4 font valoir que les signataires du traité no 4 et les commissaires n’ont pas interprété les termes de la même façon. Cette situation s’explique par des différences culturelles et linguistiques, ainsi que par des perspectives différentes sur la propriété foncière. Les interprétations modernes du traité mettent également en avant le fait que l’absence d’un avocat et l’empressement des commissaires à signer un accord définitif n’ont laissé qu’un pouvoir de négociation limité aux signataires autochtones.
En 1986, dans Elders’ Interpretations of Treaty 4 — A Report on the Treaty Interpretation Project, les membres de la Federation of Saskatchewan Indians (devenue la Federation of Sovereign Indigenous Nations) estiment que leurs ancêtres n’avaient pas l’intention de céder définitivement leurs terres. Au contraire, selon eux, les signataires du traité no 4 ont négocié des concessions, de l’aide à l’exploitation des terres et une assistance économique ainsi que des protections de la Couronne en échange d’une utilisation de leurs terres et de leurs ressources naturelles. La promesse de la Couronne de protéger et d’aider les Premières Nations s’entendait, pour les signataires autochtones, comme une responsabilité permanente et sans limites dans le temps. En tout état de cause, les Aînés affirment aujourd’hui que leurs ancêtres avaient l’intention de conserver leur droit à l’autonomie gouvernementale.
Les Premières Nations visées par le traité no 4, tout comme la plupart des autres nations autochtones, estiment que les traités numérotés doivent être interprétés à la lumière du contexte moderne prévalant aujourd’hui. Par exemple, la promesse d’écoles et d’aide à l’exploitation des terres de réserve devrait se traduire par un accès à une éducation moderne et à une assistance économique.
Nations actuelles du traité no 4
Trente‑cinq Premières Nations vivant dans les régions sud de la Saskatchewan et de l’Alberta et dans l’ouest du Manitoba sont concernées par le traité no 4. Il n’existe pas d’organisation politique ou administrative unique représentant tous les peuples touchés par ce traité. Cependant, il existe d’autres organisations au service des peuples autochtones signataires du traité no 4. Le File Hills Qu’Appelle Tribal Council représente 11 Premières Nations du traité no 4. Le Southeast Treaty #4 Tribal Council, lui, en représente 2. Enfin, la Treaty 4 Education Alliance répond aux besoins en matière d’éducation de 12 Premières Nations. Tout en ayant fait de l’éducation et du développement économique leurs objectifs prioritaires, les Premières Nations concernées par le traité n o 4 continuent de protéger et de préserver les droits des Autochtones à la terre. En 1999, 30 chefs des Premières Nations du traité no 4 ont signé un accord de principe d’autonomie gouvernementale.