Écoutez Trouver sa place, un balado en cinq parties de Historica Canada.
Dans cet épisode, nous posons la question : à quoi ressemble la politique de multiculturalisme en pratique ? Pour y répondre, Jim Torczyner, un professeur de travail social à l’Université McGill, nous guide à travers Côte-des-Neiges, le quartier le plus diversifié de Montréal, et nous explorons ce qui fonctionne, et ce qui nécessite de l'amélioration.
Jim Torczyner: Comment peut-on comprendre les gens et leur vécu? Il faut aller vers eux. N’attendez pas, assis dans vos bureaux, qu’ils viennent à vous. Allez cogner à leur porte. Faites preuve d’assez de respect pour vous présenter chez quelqu’un sans être une figure d’autorité, sans avoir quelque chose à donner, sans vendre de brosses, de bibles, de forfaits vacances ou autres choses du genre. Allez-y à titre d’humain authentique, parce que c’est important pour vous.
Narratrice: Voici James Torczyner, on l’appelle Jim.
JT: Je suis professeur à la Faculté de service social de l’Université McGill, où j’ai aussi fondé le Réseau International d'Action Communautaire, le programme de McGill au Moyen-Orient. J’en suis maintenant le directeur académique.
N: Jim aime raconter de bonnes histoires. Celle qu’il s’apprête à vous conter explique comment il a mis sur pied le Projet Genèse, un organisme communautaire basé dans le quartier Côte-des-Neiges de Montréal. Entre autres choses, il aide les résidents à trouver des services sociaux et leur enseigne leurs droits, particulièrement comme locataires. C’est toute une histoire.
Voici Trouver sa place: une histoire du multiculturalisme au canada.
JT: L’histoire qui m’a amené à créer le Projet Genèse est une histoire qui m’a touché jusqu’au fond de l’âme, et a changé ma vie.
N: Jim croit profondément à une approche très pratique, sur le terrain, du travail social. Lorsqu’il a été engagé à McGill en 1973, il savait qu’il ne pourrait enseigner le travail social sans que ses étudiants n’aident les personnes vivant dans les communautés mal desservies à accéder à leurs droits. Il a commencé à cogner aux portes avec ses étudiants, et ils se sont éventuellement retrouvés dans le quartier Côte-des-Neiges de Montréal: le quartier le plus diversifié de la ville, et l’un des plus négligés.
JT: Il y a un appartement précis, un appartement au sous-sol, sur l’avenue Victoria, un peu au nord du chemin de la Côte-Sainte-Catherine. J’avais cogné à cette porte quelques fois sans jamais avoir de réponse, alors je me suis dit que j’allais essayer de nouveau. Et cette fois, on m’a répondu. Un homme a ouvert la porte. Il avait cet air renfrogné que mon père avait toujours dans son œil droit. Je savais qu’il était un survivant de l’Holocauste. J’ai immédiatement jeté un coup d’œil à son bras et, assurément, j’y ai vu le tatouage.
Puis j’ai regardé son appartement. Tout était peint en noir: les murs, le plafond, le plancher. Les fenêtres étaient couvertes de rideaux noirs. Et il ne parlait pas anglais. Puis il a parlé… il ne parlait pas hébreu. Il parlait polonais et yiddish. Je parle hébreu, pas yiddish. Et je ne connaissais pas son histoire. Mais je savais qu’il possédait une histoire qui devait être entendue.
Je l’ai regardé — et nous n’avions pas de bureau, donc sur un morceau de papier j’ai écrit mon nom et mon numéro de téléphone. J’ai mis le papier dans sa main. Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai dit:
N: Là, Jim a pointé l’homme, puis lui-même, pour lui faire savoir qu’il pouvait le joindre à ce numéro.
JT: Il a hoché la tête. Et je suis parti. Quelques semaines plus tard, la police m’a appelé. Est-ce que je connaissais cet homme? Et je leur ai dit: « Voici ce que je sais de lui. Pourquoi m’appelez-vous? » « Et bien, nous ne savons quoi faire. » « Que voulez-vous dire? » « Et bien, à peu près une fois par mois, nous trouvons cet homme dans la rue en plein milieu de la nuit, hurlant, parfois complètement nu. » « Que faites-vous? » « Nous l’amenons soit au poste, soit à l’hôpital. » « Et que font-ils? » « Éventuellement, ils le renvoient à la maison. Puis nous le ramassons encore un mois plus tard. » Je suis donc revenu avec David Rome.
N: À l’époque, Rome était archiviste pour le Congrès juif canadien. Jim pensait qu’il pourrait aider à faire la traduction.
JT: Nous nous sommes donc rendus là. Et cet homme nous a conté son histoire. J’avais entendu beaucoup d’histoires, j’ai grandi en entendant ce genre d’histoires. Mais celle-là, c’était autre chose. Il avait été dans le camp de concentration de Treblinka. Là, on disait aux gens, je ne sais pas si c’était commun, mais on lui avait dit le jour exact où il allait être exécuté. Il n’y avait pas de fuite possible. Mais ses camarades de chambre ont fait preuve de solidarité et de courage incroyables. Ils ont ciselé, ils ont creusé un endroit entre les barraques où ils pouvaient le glisser et le cacher toute la journée. Il se tenait là toute la journée. Il ne pouvait pas parler. Il ne pouvait pas manger. Il ne pouvait pas aller à la toilette. La nuit, ils le laissaient sortir.
Et d’une façon quelconque, cet homme s’est retrouvé sur l’avenue Victoria. Cet homme n’était pas fou. Cet homme sortait au milieu de la nuit pour hurler aux étoiles, espérant que quelqu’un ou quelque chose allait entendre sa douleur. C’était ce dont il était question. Et quelqu’un l’a entendu. Puis soudainement, il y a quelqu’un qui cogne à la porte. Une femme. Une femme noire.
N: Son nom était Jasmine.
JT: Elle est au début de la cinquantaine, elle le regarde, lui sourit, lui donne quelques vêtements déchirés et lui donne un dollar. Et il le prend. On pouvait presque apercevoir le début d’un sourire. Puis elle est partie. Puis je suis monté, j’ai vu où elle habitait, et j’ai cogné à sa porte. Je lui ai demandé « Puis-je vous poser quelques questions? » Elle a dit « Oui ». « Parlez-vous le polonais? » « Non, pas un seul mot ». Elle a dit: « Je n’ai pas à parler le polonais, je peux le regarder dans les yeux et parler son langage. Laissez-moi vous dire quelque chose. Ces vêtements ne sont pas déchirés, je les déchire. Puis je les lui donne. Puis je lui donne un dollar pour qu’il puisse les réparer. Pourquoi? Tout le monde a le droit de sentir qu’ils ont une place quelque part. »
N: En fin de compte, l’homme qui habitait l’appartement du sous-sol de l’avenue Victoria se nommait Chaim, ce qui signifie « vie » en hébreu.
En fait de quartiers canadiens, peu sont aussi divers que Côte-des-Neiges. D’une population d’à peine plus de 99 000 personnes, plus de la moitié sont immigrants. Ils proviennent de plusieurs pays, dont les Philippines, la Chine, la France, le Maroc, et la Roumanie. Promenez-vous dans le quartier et…
JT: Vous allez voir l’éclat des rues et des commerces, et les odeurs, et la multitude de restaurants et d’épiceries reflétant le patrimoine de ses habitants. C’est presque comme si vous étiez absorbé dans un autre endroit, et tous se côtoient et s’entendent.
N: En apparence, Côte-des-Neiges est un modèle parfait de multiculturalisme. Mais en regardant plus attentivement, vous trouverez des histoires plus complexes d’immigration et de pauvreté, et du pouvoir qu’ont les communautés lorsqu’elles se rassemblent. C’est en partie ce qui a amené Jim, un New-Yorkais juif ayant étudié en Californie, à Côte-des-Neiges.
JT: Je suis arrivé en août 1973 pour un an. C’est ce que je croyais.
N: Jim a commencé à enseigner à l’Université McGill et a commencé à faire du porte-à-porte avec ses étudiants.
JT: Mes valeurs et mon approche ont toujours été d’essayer de trouver une cause commune parmi une diversité multiculturelle. Je crois en ça. Je crois que j’ai reçu ça du mouvement des droits civiques, et aussi de ma mère, qui a dit: « Plus jamais, à personne ».
N: Plus jamais. Au fond, cette phrase est un appel à l’action de la part des juifs et des autres communautés qui ont survécu au génocide. Elle affirme que personne ne devrait vivre le traumatisme auquel ils ont fait face. Les deux parents de Jim étaient des survivants de l’Holocauste. Il a grandi dans un quartier multiculturel de New York similaire à Côte-des-Neiges. Sa mère, Martha, avait l’habitude d’expliquer ce principe:
JT: Nous faisons tous partie de cette communauté. Si tu vois une injustice faite à qui que ce soit, tu agis. C’est un message qui vient de l’expérience vécue par certaines personnes. Ça ne s’apprend pas dans les livres. Elle m’a transmis ça.
N: Des décennies plus tard, Jim tient encore une résidence à Montréal. Comment Côte-des-Neiges est-il devenu le quartier le plus diversifié de la ville? La réponse après la pause.
MIDROLL
N: Trouver sa place fait partie d’une campagne éducative plus large, créée par Historica Canada. Ce projet a été rendu possible en partie grâce au gouvernement du Canada. En plus de la série de baladodiffusion, Historica Canada offre une série vidéo et un guide pédagogique au sujet de l’histoire du multiculturalisme au Canada. Visitez le site historicacanada.ca pour en savoir plus.
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N: Comme pour tous les quartiers canadiens, l’histoire de Côte-des-Neiges et de Montréal commence avec les peuples autochtones qui y ont vécu pendant des milliers d’années avant la colonisation. Mais le Côte-des-Neiges de l’histoire de Jim est né après la Deuxième Guerre mondiale.
JT: Lorsque les promoteurs immobiliers ont construit plusieurs édifices résidentiels à prix relativement modestes. C'est donc devenu un endroit attirant pour les nouveaux immigrants.
N: Montréal accueille l’une des plus vieilles communautés juives du Canada. Durant le 20e siècle, ils sont majoritairement venus d’Europe de l’Est. Comme c’en était la tradition, la communauté juive a bâti son propre filet de sécurité sociale. Mais Montréal n’a pas toujours été un refuge sécuritaire.
Si vous avez suivi cette série, vous savez que le Canada a une histoire mitigée lorsqu’il est question d’immigration. Pendant longtemps, les lois interdisaient l’entrée au Canada ou la participation complète à la société canadienne à certaines personnes en fonction de la race, la nationalité, l’occupation ou la classe. Elles donnaient priorité aux immigrants blancs du Royaume-Uni, des États-Unis et des autres colonies britanniques, et plaçaient au bas de la liste les immigrants asiatiques, roms, noirs ou juifs, entre autres.
JT: Irving Abella écrit un livre, « None is too many. » Dans ce livre, il documente que le Canada a eu l’occasion de sauver des juifs durant la guerre, mais ne l’a pas fait. Il a fermé ses portes.
N: La citation que mentionne Jim provient d’un haut fonctionnaire canadien. Lorsqu’on lui a demandé combien de juifs allaient être admis au Canada à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il a répondu: « Aucun, c’est déjà trop ». On dit souvent du Canada que c’est le pays occidental à avoir accueilli le plus faible nombre de réfugiés juifs. Dans les années 60, le pays avait commencé à ouvrir ses portes à plusieurs des mêmes personnes qui avaient auparavant été activement repoussées, dont les juifs. Les personnes juives ont pu fréquenter les universités alors qu’elles s’en voyaient auparavant refuser l’accès.
JT: La communauté a alors commencé à changer.
N: Cela signifie qu’une des premières communautés juives de Montréal, celle où tout le monde connaissait tout le monde, a commencé à se fragmenter.
JT: Les juifs pauvres, ceux qui étaient les premières d’aller à Côte-des-Neiges, sont devenus doublement invisibles. Ils étaient invisibles pour la communauté juive parce qu’ils étaient pauvres, et ils étaient invisibles aux yeux de leurs voisins parce qu’ils étaient juifs.
N: Mais la nouvelle vague d’immigrants juifs après la guerre a aussi commencé à revitaliser la vie juive dans la ville
JT: Parce qu’ils sont venus avec leurs accents. Ils sont venus avec leurs traditions. Ils sont venus avec leur nourriture. Ils sont venus avec leurs histoires culturelles. Pour eux, avoir un symbole juif dans leur maison, ils se disaient: « ne t’en fais pas si les voisins le voient. C’est donc, bien sûr, qui nous sommes ». Ils sont beaucoup plus près de leurs racines. Ça a apporté un formidable coup de pouce à la vie juive.
N: Ce ne sont pas seulement les communautés juives de l’Europe de l’Est qui ont trouvé refuge au Canada et, plus précisément, dans Côte-des-Neiges, à Montréal.
JT: Ils ont été suivis d’une communauté nord-africaine, majoritairement juive marocaine. Lorsqu’Israël a été déclaré un état en 1948, plusieurs juifs du monde arabe ont été forcés de partir, ou ont réalisé qu’il était temps de se déplacer.
N: Comme Jim l’a mentionné plus tôt, Côte-des-Neiges était un endroit attirant pour TOUS les immigrants, majoritairement parce que les logements étaient abordables, et que le quartier accueillait plusieurs institutions. Mais c’était aussi un quartier assez fraîchement urbanisé.
JT: Côte-des-Neiges aurait-il pu se développer dans une autre partie de la ville? Oui, mais peu probablement dans une communauté juive qui existait depuis longtemps.
N: Côte-des-Neiges était l’une des dernières parties de Montréal à s’urbaniser, alors les communautés qui y vivaient n’ont pas ressenti la même pression de vivre dans une zone immobilière de premier ordre du centre-ville, comme ce fut le cas, par exemple, pour le quartier chinois de Toronto, ou Hogan’s Alley à Vancouver. Les communautés de toutes provenances pouvaient aussi y ouvrir des commerces: les immigrants irlandais, les immigrants noirs des Caraïbes, ceux de l’Europe de l’Est, du Vietnam, du Sri Lanka, du Bangladesh et d’autres immigrants ont commencé à s’établir dans le quartier.
JT: Côte-des-Neiges était unique à l’époque, car c’était l’une des rares communautés de la ville qui semblait être comme une bulle.
N: Par le temps qu’un jeune Jim Torczyner arrive à Montréal en 1973, le quartier multiculturel animé était amplifié par une série de politiques et de loi progressives sur le multiculturalisme. Parmi celles-ci se trouvaient l’adoption du multiculturalisme comme politique officielle du gouvernement en 1971, et, plus tard, la Loi sur l’immigration de 1976. Encore plus tard, la Loi sur le multiculturalisme canadien allait être adoptée en 1988.
En 1974 et en 1977, le gouvernement du Québec a adopté les lois 22 et 101, respectivement. La première a fait du français la langue officielle du Québec, signifiant que les immigrants devaient envoyer leurs enfants à l’école en français. La Loi 101 a fait du français la langue officielle des cours et du gouvernement. Désormais, les grandes entreprises devaient fonctionner en français. Plusieurs anglophones de Montréal ont alors décidé de partir vers des villes comme Toronto. Plusieurs entreprises et emplois ont suivi.
JT: À cette époque, Montréal était indéniablement une ville divisée. Elle me faisait penser moins à New York et beaucoup plus à Jérusalem, où les gens, les juifs et les arabes, vont à différentes écoles, obtiennent des services de différents endroits. Je regardais Montréal qui était politiquement et institutionnellement divisée par langue et par religion, et cela pouvait s’observer aussi au sein des groupes communautaires.
N: Côte-des-Neiges accueillait une variété de langues, d’ethnies et de religions, mais n’était pas exempt des divisions observées par Jim dans le reste de la ville. Il s’agit littéralement d’un quartier ségrégué. La partie sud, le « haut Côte-des-Neiges » héberge des universités et plusieurs hôpitaux. Ses résidents sont considérés comme ayant un haut niveau d’éducation, et plusieurs vivent seuls. La partie nord cependant, le « bas Côte-des-Neiges » comprend deux fois plus de familles avec des enfants, et une plus forte concentration d’immigrants et de minorités visibles. En raison des circonstances, plusieurs des résidents ont de faibles revenus.
À cause de cela, Jim affirme que le quartier fait face à beaucoup de préjugés.
JT: Nos stéréotypes, et les jugements que nous portons à propos des autres sans jamais avoir été à leur place… nous jugeons les autres en fonction de nos propres standards, de notre propre expérience.
N: De plus, plusieurs de ces immigrants recherchent la familiarité de leurs communautés.
Magda Popeanu: C'est un geste absolument humain et normal d'aller chercher la sécurité de ton environnement ou, premièrement, tu comprends la langue, tu comprends les coutumes, tu décodes bien le code culturel.
N: Voici Magda Popeanu, une immigrante roumaine qui a déménagé dans le quartier en 1992. Elle est conseillère municipale pour Côte-des-Neiges depuis 2013.
MP: 18 :42 Immigrer c'est un choix personnel extrêmement déchirant. Il y a personne qui le vie bien, il y a personne… c'est des années, des années de lutte avec, avec le quotidien parce que premièrement, il faut, il faut être capable de se loger, de se nourrir. C'est à la base d'être bien dans la société d'accueil, d'être soutenu.
N: Depuis les années 1960, Côte-des-Neiges offre les pires conditions relatives au logement à Montréal. Les conditions sont si mauvaises que les locataires nomment le quartier « la capitale de la misère ». Des centaines de locataires vivent avec des rats, des infestations de punaises de lit et de coquerelles, avec de la moisissure, un manque d’eau chaude, ou dans des logements qui requièrent des réparations majeures. Plusieurs des résidents dépensent plus de la moitié de leur chèque de paie en loyer. Souvent, les immigrants n’osent pas se plaindre, car ils ont peur de perdre leurs droits, et les propriétaires ne manquent jamais de locataires potentiels. Cela signifie que le logement se détériore dans le quartier et que les problèmes ne sont jamais réglés… une différence frappante avec les quartiers riches avoisinants.
JT: C’est ce que j’essaie de dire: les gens sont mal représentés et mal servis, car ils n’ont pas de pouvoir.
N: Ce qui nous ramène aux origines du Projet Genèse.
Pour récapituler: Jim a vu Jasmine, une femme noire dans la cinquantaine, prêter main-forte à son voisin Chaim, un homme juif ayant survécu aux horreurs de l’Holocauste. Ils n’avaient pas les mêmes origines ethniques ou culturelles. Ils n’étaient pas de la même génération. Ils ne parlaient même pas la même langue. Et Jim s’est dit…
JT: S’il existe une personne comme elle dans cet édifice, il doit exister d’autres personnes comme elle dans cette communauté. Si cette femme, qui n’est pas juive et ne parle pas la même langue, agit de cette façon, c’est parce que les humains sont unis par des valeurs communes. Et si nous pouvons éliminer la, pardonnez-moi le terme, la « merde », si nous pouvons éliminer les choses qui nous divisent et que nous pouvons puiser dans ces choses profondes et communes qui font de nous des humains, nous pouvons changer le monde. C’est ce que m’a inspiré cette femme.
N: Avec un groupe de quarante défenseurs bénévoles, Jim a décidé de créer un endroit pour rassembler la communauté, où les gens pourraient en apprendre plus sur leurs droits, et peut-être de façon plus importante, où ils pourraient apprendre qu’ils ne sont pas seuls.
JT: Nous voulions normaliser l’idée que tout le monde a des droits. Vous allez dans un endroit pour vous faire coiffer. Vous allez dans un autre endroit pour acheter du poisson. Vous allez dans ce magasin, vous vous y procurez vos droits. C’est pourquoi nous avons eu pignon sur rue avec le Projet Genèse, où nous avons recruté des bénévoles pour la communauté, les avons formés et avons fourni du soutien professionnel. Et ces gens, à notre moment le plus fort, lorsque j’étais impliqué, aidaient 30 000 personnes par année dans 80 langues différentes.
N: Près d’un demi-siècle après sa création, le Projet Genèse est toujours au service de la communauté de Côte-des-Neiges, particulièrement en ce qui concerne la crise du logement.
JT: Pour qu’un organisme comme le Projet Genèse puisse réussir, il doit être le miroir de la communauté. Les gens ont besoin de pouvoir le regarder et de s’y voir.
N: Jim a été grandement impliqué avec l’organisme pendant 20 ans. Puis…
JT: Le temps était venu.
N: Il a quitté le Projet Genèse dans les années 1990.
JT: Ce n’est pas moi. Ce n’est pas à propos de moi. C’est à propos de la capacité des gens de démontrer le meilleur d’eux-mêmes lorsqu’ils se réunissent, lorsqu’ils en ont la chance. Les gens finissent souvent par se blâmer eux-mêmes pour les conditions auxquelles ils font face, et se maltraitent. Lorsque les gens comprennent cette vision dans laquelle ils ont des droits, ils peuvent devenir militants plutôt que suppliants. Et plutôt que de se blâmer, ils peuvent s’affirmer. C’est le chemin vers la coexistence.
N: Jim est allé au Moyen-Orient, où il a aidé à mettre sur pied onze nouveaux organismes basés sur le modèle du Projet Genèse.
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JT: Le multiculturalisme est un but ambitieux. Le multiculturalisme s’exprime dans la réalité par la façon dont les gens agissent à la base. Vous pouvez avoir la meilleure politique sur papier. Mais son succès dépendra de son accessibilité réelle et de la façon dont elle sera appliquée.
N: La Loi sur le multiculturalisme canadien de 1988 marque la première fois qu’un pays a adopté une loi nationale sur le multiculturalisme. Elle cherche à protéger le patrimoine culturel de TOUS les Canadiens. Mais comme nous avons pu le voir au cours de cette série, cela n’a pas toujours été le cas au Canada, où les lois étaient trop souvent utilisées contre plusieurs communautés.
JT: Le Canada est un bon pays, mais chaque pays a son histoire. Et le pays peut s’améliorer en la reconnaissant et en allant de l’avant. On ne peut s’améliorer en niant le passé, et on ne peut s’améliorer en se sentant coupable pour le reste de sa vie. Oui, des choses se sont produites. Que peut-on faire? Comment rendre le tout meilleur?
N: Ce que Côte-des-Neiges nous enseigne à propos du multiculturalisme au Canada, c’est qu’il ne peut pas être mis au monde grâce à l’adoption de lois. Il faut se battre pour lui.
JT: Personnellement, je suis juif. Je suis fier de mon identité, conscient de ce que je crois devoir représenter, et lié à l’idée de ma mère. Et à celle de ma grand-mère aussi. J’allais la visiter. Elle s’assoyait sur son balcon, elle avait quatre-vingt-sept ans, et elle souriait. Je lui demandais: « Pourquoi souris-tu? » Elle disait: « Mes voisins ne se battent pas. S’ils sont heureux, la vie est belle. Je suis heureuse. » Nous devons tous prendre soin des autres, parce que notre futur en dépend. Il ne s’agit pas d’être gentil, ou charitable envers les autres. Nous le faisons parce que c’est dans notre propre intérêt. Il n’y a aucune raison pour que le bonheur de votre voisine vous rende malheureux, à moins qu’elle n’ait volé votre amoureux, ou quelque chose du genre.
CRÉDITS
N: Cet épisode de Trouver sa place a été coécrit par Melissa Fundira et Historica Canada. Il a été produit par Historica Canada. Soutien à la production par Michael Fiore et Edit Audio. Postproduction par Edit Audio. Merci à Jim Torczyner, qui a aussi été consultant pour cet épisode. Les extraits de Magda Popeanu ont été généreusement fournis par le programme Block by Block du Musée Ward de Toronto. Vérification des faits par Nicole Schmidt. Ce projet a été rendu possible en partie grâce au gouvernement du Canada.
Merci d’avoir écouté.