Cet éditorial a été rédigé en 2016 à l’occasion du 25e anniversaire de la première Minute du patrimoine. Comme pour tout le contenu éditorial de l’Encyclopédie canadienne, celui-ci n’est pas mis à jour.
« Un moment de notre histoire. »
Il y a déjà 25 ans que ces mots, accompagnant une série de courts films présentant des personnages importants et des moments forts de l’histoire canadienne, apparaissaient pour la première fois sur nos écrans. Les Minutes du patrimoine sont diffusées pour la première fois le 31 mars 1991, donnant naissance à un phénomène culturel unique au Canada. Créées à une époque marquée par une indifférence – et, dans de nombreux cas, une ignorance – généralisée de la population par rapport à l’histoire de leur pays, les Minutes, au bout de ces 25 années, ont aujourd’hui droit à un public beaucoup plus mature et intéressé à célébrer de façon active et enthousiaste les réalisations passées de sa nation.
La collection des Minutes du patrimoine, comptant jusqu’à maintenant 82 épisodes (auxquels s’en ajouteront trois nouveaux cette année), a elle aussi évolué au fil des années, abordant des sujets aussi importants que diversifiés – Viola Desmond, Terry Fox, le gouvernement responsable et Louis Riel, pour ne nommer que ceux-là. L’histoire des Minutes du patrimoine, que nous sommes sur le point de vous raconter, démontre bien que pour apprendre, il faut savoir d’où l’on vient.
« Il faut connaître le passé pour comprendre le présent et faire face à l’avenir. »
– Nellie McClung, 1935
Création
« Aucune société ne peut se réaliser pleinement sans héros, héroïnes ou légendes. Or, au Canada – pays qui pourtant n’en manquait pas – peu de gens en connaissaient l’existence. » - Charles Bronfman
La première génération des Minutes du patrimoine est créée à l’initiative du philanthrope Charles Bronfman. En 1986, la Fondation CRB – l’un des groups fondateurs ayant précédé la création d’Historica Canada, organisme également responsable de la publication de cette encyclopédie – commande une enquête nationale dont les résultats montrent que moins de la moitié des répondants connaissent le nom du premier homme à assumer les fonctions de premier ministre et que près du quart d’entre eux ne sont pas en mesure de citer une page de l’histoire du Canada ou une réalisation canadienne dont ils sont fiers.
Devant ce constat déplorable, Charles Bronfman s’applique à créer une série de messages d’intérêt public à saveur historique. À l’instar des capsules publicitaires, les Minutes sont conçues pour capter l’attention; toutefois, si elles empruntent à la publicité leur durée, elles se présentent plutôt sous la forme d’un récit dramatique. Le célèbre producteur et animateur Patrick Watson assure la direction artistique, l’écriture du scénario et la narration de la première série. Thomas Axworthy, à l’époque directeur de la Fondation CRB, de même que Michael Levine, avocat bien connu du secteur du divertissement, jouent également un rôle important.
Développement
Le projet des Minutes du patrimoine commence à prendre forme en 1988 avec l’élaboration de trois épisodes pilotes : « Valour Road », « Le chemin de fer clandestin » et « Jacques Plante ». Des groupes de discussion anglophones et francophones sont mis sur pied, respectivement à Toronto et à Montréal, afin d’évaluer la réaction des Canadiennes et des Canadiens à leur égard et d’estimer le niveau d’intérêt pour l’histoire canadienne et le sentiment de fierté nationale.
Durant les premières étapes du projet, la Fondation CRB définit les critères suivants devant être respectés dans le traitement des sujets des Minutes du patrimoine :
1. Susciter la curiosité du public quant à différents éléments du patrimoine canadien;
2. Produire dans les limites des ressources disponibles;
3. Faire preuve d’honnêteté tout en demeurant fidèle à l’esprit de la « création dramatique »;
4. Témoigner des valeurs sociales et culturelles canadiennes, à savoir la tolérance, l’équité, le courage, la ténacité, la débrouillardise et l’inventivité, et leur rendre hommage;
5. Lever le voile sur les origines de la nation;
6. Surprendre, provoquer la réflexion, approfondir les sujets, soulever des questions.
Production
Les 13 premières Minutes du patrimoine sont filmées à Montréal et à Québec. Au cours de leurs 25 années d’existence, elles voyageront d’une ville canadienne à l’autre, passant par Toronto, St. John’s, Calgary et Cape Dorset. Plusieurs Minutes du patrimoine contiennent des extraits de longs métrages. C’est le cas de « Grey Owl » et de « L’Arrow d’Avro ». D’autres Minutes sont quant à elles produites en collaboration avec l’Office national du film (entre autres, « Wilder Penfield », « L’institutrice rurale », « Les Vikings » et « Le gardien de la paix »).
Un certain nombre d’actrices et d’acteurs canadiens célèbres apparaîtront au fil des années dans les Minutes, dont Dan Aykroyd, Roy Dupuis, Colm Feore, Graham Greene, Allan Hawco, Jared Keeso, Jean L'Italien, Kate Nelligan et Kandyse McClure. De nombreux autres prêteront leur voix à la narration finale, notamment Jackie Burroughs, Molly Parker, Pierre Houde, George Stroumboulopoulos, Alanis Obomsawin, Lloyd Robertson et Peter Gzowski.
Diffusion
Les 13 premières Minutes du patrimoine sont diffusées sur les ondes de CBC et de Radio-Canada le 31 mars 1991. Ces vignettes prennent la forme de jeux-questionnaires télévisés visant à éduquer la population canadienne sur son histoire en lui offrant des courts métrages dramatiques conçus dans un style divertissant.
Les dix premières années, les Minutes du patrimoine passent régulièrement sur les grandes chaînes de télévision canadiennes. Étant donné leur nature pédagogique et culturelle, les réseaux ne sont pas payés pour les diffuser. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) les classe d’ailleurs comme une série dramatique continue renfermant 150 % de crédits pour les diffuseurs, ce qui leur permet de satisfaire aux exigences en matière de contenu canadien.
Dès 1992, et pendant plusieurs années, les Minutes du patrimoine sont aussi projetées sur les écrans de Cineplex Odeon partout au pays. À la fin des années 1990, Universal Studios Home Video Canada inclut également des Minutes dans plusieurs de ses sorties vidéo.
Réaction du public et distinctions
« Les Minutes du patrimoine nous rappellent d’une manière cruelle notre ignorance quant à notre propre histoire, ainsi que la perception diamétralement opposée qu’en ont les francophones et les anglophones. En visionnant ces parcelles d’une minute, on parvient inévitablement à la triste conclusion suivante : la télévision canadienne n’a que très peu de héros légendaires et de personnages inspirants à nous présenter. » - Stephen Godfrey, The Globe and Mail, 19 avril 1991
On produit une cinquantaine de Minutes du patrimoine entre 1991 et 1995. La réaction au projet prend notamment la forme d’un examen du rôle des Minutes sur le plan de l’enseignement de l’histoire et de la création d’une identité canadienne . Certains critiquent le format choisi, soutenant que soixante secondes ne suffisent pas pour éduquer de façon efficace les téléspectateurs.
Les émissions The Heritage Quiz et Questions d’histoire, présentées en anglais et en français en guise d’inauguration des Minutes, sont mises en nomination aux prix Gemini et aux prix Gémeaux, respectivement. Le cinéaste Steve Danyluk est quant à lui mis en nomination pour le prix Gemini de la meilleure photographie dans un programme ou une série dramatique pour son travail dans l’épisode « L’explosion d’Halifax ».
Impact culturel
Les Minutes du patrimoine se forgent une place dans la culture populaire canadienne au point d’être citées dans des articles de journaux et parodiées dans des émissions de télévision canadiennes comme This Hour Has 22 Minutes, Royal Canadian Air Farce, Rock et Belles Oreilles et The Rick Mercer Report. La chaîne Comedy Network diffuse également des parodies de la série sous le titre de Sacrilege Moments. On peut également voir en ligne de nombreuses imitations et satires publiées par des internautes.
De nombreux universitaires de différents secteurs explorent au fil des ans le rôle des Minutes du patrimoine dans la projection et la création de l’identité canadienne. La relance du projet en 2012 contribue à rouvrir le débatconcernant la collection et sa représentationde l’histoire canadienne.
Critiques à l’endroit des Minutes du patrimoine
S’il est vrai que les Minutes remportent un très grand succès, elles font également l’objet de certaines critiques. La capsule consacrée au militant métis du XIXe siècle Louis Riel le montre, au début du film, regardant directement la caméra, tandis que le récit est assuré par une voix hors champ; toutefois, l’histoire se termine par la pendaison de Louis Riel et des voix s’élèvent pour dénoncer cette capsule comme étant trop violente pour être diffusée auprès d’un jeune public. D’autres reprochent aux Minutes portant sur les héros et les réalisations militaires de ne pas accorder assez d’attention aux événements plus pacifiques.
Les Minutes du patrimoine sont également parfois considérées avec suspicion au Québec, où certains observateurs les décrivent comme de la propagande fédéraliste. En 2000, le producteur Robert-Guy Scully devient la cible d’un prétendu conflit d’intérêts du fait qu’il travaille sur la version francophone de la série tout en animant une émission sur la chaîne d’information de Radio-Canada. Tout ceci survient alors que fait rage le scandale des commandites. De leur côté, les producteurs des films soulignent le caractère indépendant du processus de production, mettant en avant le fait que le bailleur de fonds n’y joue aucun rôle.
La Minute perdue : « Lester B. Pearson»
Certains téléspectateurs se souviendront vaguement d’un épisode présenté dans la première série en 1991, portant sur une mission canadienne de maintien de la paix. Cet épisode n’a jamais figuré dans les collections VHS ou DVD; par ailleurs, lorsqu’Historica Canada hérite des bandes maîtresses des Minutes du patrimoine, la Minute « perdue » ne s’y trouve pas. Nous avons récemment retrouvé une cassette VHS contenant cet épisode légendaire. « Lester B. Pearson » (auquel certains faisaient référence par les noms « Chypre » ou « Casques bleus ») est publié en 1991, en même temps que les pilotes des Minutes et d’autres classiques comme « L’explosion d’Halifax » et « Superman ». On retire toutefois la Minute presque aussitôt, après que des erreurs soient relevées dans les costumes portés par les personnages lors du processus de postproduction. Pire encore, l’ambassadeur de la Turquie à Ottawa soutient que cette Minute accorde un traitement injuste à son pays. Quoi qu’il en soit, les producteurs nient toute influence de cette affirmation sur la décision de retirer l’épisode des ondes.
Marchandises
En complément de la série principale, Historica crée des séries thématiques comme Minutes militaires , Screen Legends, Radio Minutes et Empreintes, ainsi qu’une série de bandes dessinées, True North Comics. En outre, Just a Minute (1994), Just Another Minute (1997) et Just a Minute More (1999) rassemblent des chroniques journalistiques de Marsha Boulton en langue anglaise à propos de l’histoire canadienne.
En 1992, le détaillant canadien Roots crée une collection de chandails et de T-shirts inspirés des Minutes du patrimoine, collection qu’il nomme « Wearing Your Roots » (Portez vos racines). On choisit, pour enjoliver les vêtements, des illustrations issues de thèmes abordés dans les Minutes, notamment Jacques Cartier, le créateur de Superman Joe Shuster et Jacques Plante.
Depuis l’annonce de la relance du programme en 2012, on a créé un certain nombre de produits inspirés des Minutes du patrimoine, dont un ensemble d’affiches conçues par Christopher Hemsworth, un artiste d’Halifax, des macarons contenant de courtes citations et des cartes de souhaits.
Relance du projet
Afin de souligner la création d’une nouvelle série de Minutes du patrimoine en 2012, Historica Canada commande un sondage de l’opinion publique afin d’identifier les meilleures Minutes des 20 dernières années, de qualifier la réaction vis-à-vis de la série et d’explorer certains thèmes potentiels pour les futurs épisodes. Le sondage, mené par le cabinet Ipsos Reid, détermine que les épisodes les plus populaires sont « L’explosion d’Halifax » et « Jackie Robinson » (ex æquo au premier rang), « Jennie Trout », « Winnie » et « Laura Secord ».
Le sondage révèle également que 63 % des Canadiens estiment que les Minutes sont une bonne façon d’enseigner l’histoire canadienne. Parmi les principales suggestions du public quant aux thèmes des épisodes futurs, citons Terry Fox (80 % des répondants), la Charte des droits et libertés (82 % des répondants) et la création du Nunavut (79 % des répondants).
Dans sa sélection de nouveaux thèmes, la Fondation CRB continue de respecter les critères établis à l’origine, tout en mettant un accent particulier sur la spécificité et la précision historiques. Les nouvelles Minutes du patrimoine se veulent une commémoration plutôt qu’une célébration et, à ce titre, explorent certains chapitres plus sombres de l’histoire canadienne, en abordant notamment le thème des pensionnats indiens.
Les nouvelles Minutes
Les deux premières Minutes de la nouvelle série, « Richard Pierpoint » et « Queenston Heights » décrivent les événements de la guerre de 1812.
En 2014, Historica Canada diffuse de nouvelles Minutes sur deux des Pères de la Confédération, sir John A. Macdonald et sir George-Étienne Cartier, 200 ans après la naissance de ces importants personnages.
Historica Canada obtient un financement supplémentaire du ministère du Patrimoine canadien en 2014, ce qui lui permet de produire deux nouvelles Minutes par année jusqu’en 2017, année marquant le 150e anniversaire de la Confédération. La diffusion des épisodes « Les Falcons de Winnipeg » et « Les infirmières canadiennes » coïncide avec le 100e anniversaire de la Première Guerre mondiale. « Terry Fox » est diffusé à l’occasion du 35e anniversaire du Marathon de l’espoir. Cette Minute devient rapidement la plus populaire en ligne, avec plus de 200 000 visionnements. « Viola Desmond » est lancé en 2016.
Perspectives d’avenir
Historica Canada travaille actuellement à la production de Minutes du patrimoine supplémentaires en vue du 150e anniversaire du Canada en 2017. Citons notamment des épisodes sur les pensionnats indiens et les traités autochtones, dont la diffusion est prévue pour le printemps 2016, ainsi qu’un portrait de la célèbre artiste inuite Kenojuak Ashevak. Produit par Fifth Town Films, ce dernier a été filmé dans la communauté locale de l’artiste, à Cape Dorset, au Nunavut. Historica Canada compte publier une version en langue inuktitute de cette Minute du patrimoine; c’est là une primeur pour le programme.