Dans cette version condensée de sa vie, Wes FineDay, Gardien du Savoir Nehiyaw, discute sa résistance à la violence coloniale et le travail qu’il a fait au long de sa vie, ainsi que ses connaissances profondes des médicines, de l’histoire orale et des cérémonies.
Kinanâskomitin, Wes, pour nous avoir enseigné les protocoles, pour nous avoir guidé et pour tout que tu as partagé avec nous. Un merci spécial à Leon Thompson et Max FineDay.
Merci à ceux qui ont contribué à cette histoire : Jonathan Elliott (Dir. Photographie), Madison Thomas (Monteur), Benoît Côté (Coloriste) et Simon Petraki (Ingénieur du son).
Mise en garde : Ce témoignage contient du contenu difficile qui pourrait susciter des émotions douloureuses. Il inclut des expériences d’un Survivant du pensionnat de Gordon. Si vous avez besoin d’aide, la ligne d'écoute téléphonique concernant les pensionnats est le 1-866-925-4419.
Tourné le 31 mars 2019 à Sweetgrass First Nation sur le territoire du Traité n°6, en Saskatchewan.
Dir. Photographie – Jonathan Elliott
Montage – Madison Thomas
Correction des couleurs – Benoît Côté + Outpost MTL
Mixage – Seratone Studios
Portrait - Natasha Donovan
Transcription
Vous savez, je vais partager avec vous, je vais vous dire la vérité comme je m’en souviens, et comme je la vis et la ressens. Et vous pourrez en faire ce que vous voulez.
Je fais danser les esprits. Tu vois, c’est dans cette direction: l’Est. Et nous avons le Sud là-bas. Et l’Ouest. Et le Nord. Mais mon grand-père a fait une danse du soleil ici. C’était en 1911, je crois. Ils ont campé au pied de la colline et ils ont effectué une danse du soleil. Nous disons une « danse de la soif », pâhkwesimôwin. Priver son corps afin de pouvoir se passer de liquide ou de nourriture pendant un certain nombre de jours. Et nous effectuons la cérémonie ici afin de conserver un lien fort avec ces esprits. Sinon, nous les ignorons, et ils s’éloignent de ces entrées. Ils s’éloignent au point où nous pourrions éventuellement ne plus avoir accès à leurs bénédictions, à leur force, à leurs énergies. Il est donc important de maintenir cette connexion.
Et les arbres commencent tout juste à verdir. Et tu sais, à ce temps-ci de l’année, lorsque la sève commence à couler dans les peupliers, lorsque nous étions jeunes, on nous amenait dans la forêt, et nous devions trouver un gros peuplier et lui arracher un morceau d’écorce. Pas à l’horizontale, mais de haut en bas, afin de ne pas tuer l’arbre. Il fallait ensuite gratter l’écorce à l’intérieur, puis manger la sève de l’arbre parce que c’est de la médecine pour le sang. Elle nettoie le sang, et renforce le système immunitaire. Après un dur hiver de difficultés et beaucoup d’instances de famine, il fallait se refaire des forces, et ce renouveau provenait de la terre. Il provenait des médecines de la terre. Alors, chacun de ces arbres devient donc un parent que vous pouvez venir visiter, et appeler au besoin. Et donc « Qui suis-je? » devient « Regarde autour de toi ». Je suis cela, mais plus encore. Les choses que tu ne peux voir, et celles que tu peux voir.
La police, les docteurs, les infirmières et les enseignants étaient les seules personnes qui venaient sur la réserve, que nous voyions. Et la police cherchait toujours à embarquer quelqu’un. Les infirmières voulaient toujours nous piquer avec leurs aiguilles. Les enseignants voulaient nous trainer à l’école et nous laver le cerveau. Et donc, nous avons appris à avoir peur des blancs. Lorsque nous entendions un véhicule arriver, nous courrions nous cacher dans la forêt. Mais parfois, tu sais, ils étaient plus vite que nous, et on se faisait emporter.
Mon nom est Wes Fineday, c’est comme ça qu’on m’appelle. Les documents disent Wesley Fineday. Et dans la hutte, lorsque je vais communiquer avec les esprits, lorsqu’ils viennent pour me parler, ils disent « pahpahmpitchoh ». Donc tu sais, pour les esprits, je suis « l’homme errant ». Et pour le gouvernement, je suis Wesley Fineday. Ou Wes Fineday pour les gens qui me connaissent mieux. Tu sais, je suis un conteur, un musicien, un compositeur; je suis allé en Norvège, en Suède, au Japon, soit pour faire une présentation ou enseigner au sujet de l’histoire orale et des origines de l’histoire orale, qui remonte au moment du premier son : « ispikeesikohkakistawih », le moment de la grande explosion dans le cosmos.
Dans ma langue, les esprits appellent ceci « kahkihkahnah kwahkih », « les offrandes clairement visibles. » Parce qu’elles ont été faites à partir des saules que j’ai approchés de façon cérémonielle, et à qui je me suis adressé. Et je lui ai rappelé qu’au début, lorsque les humains sont arrivés ici, tu nous as donné la permission d’utiliser ton corps pour créer nos offrandes cérémonielles. Tu sais, lorsque je pense à cela, je pense à l’histoire du premier humain qui a été placé sur terre… dans une réalité matérielle, et à qui on a donné une conscience. Et en s’assoyant, il a regardé ce monde incroyable, puissant, et magnifique dans lequel nous avons été placés. Et ils disent que le premier humain s’est mis à pleurer après avoir jeté un regard à cette réalité. Et avoir ressenti cette force et avoir vu cette beauté. Et il y avait un saule qui se tenait tout près et qui regardait, alors que le premier humain était assis là et pleurait. Nîpisîy, le saule, a demandé « Tahnaikih omah itha kahapihyin kahmahmatoin? Pourquoi es-tu assis là à pleurer? » a-t-il demandé au premier humain. Le premier humain s’est retourné, a regardé et vu ce saule qui se tenait là et a expliqué : « Je suis assis ici à pleurer parce que je suis triste. Je regarde à l’entour de moi et je vois la vie, et je vois la croissance et je vois le renouveau. Et je vois le processus en cours ici. Mais je ne comprends pas. Quelle est ma place dans tout cela? Pourquoi suis-je ici? » Et ils disent qu’à ce moment-là, le saule s’est assis et a compati avec le premier humain. Puis il a finalement parlé et a dit: « Âstam », « Viens ici ». Et le premier humain s’est exécuté, et pendant que le premier humain pleurait, le saule avait pleuré aussi. Avez-vous déjà entendu l’expression « saule pleureur » ? Certaines de ces expressions, tu sais, sont anciennes, mais leur signification a été perdue. Mais nous utilisons encore les expressions.
Mais pendant que le saule pleurait de sympathie pour le premier humain, ils disent que les larmes du saule ont coulé de ses yeux et ont commencé à couler sur son corps. Alors qu’elles coulaient sur son corps, elles ont commencé à sécher et ont fini par se transformer en un champignon qui s’attache au saule. Et dans nos récits, on appelle cela « neepsihohpahk kahwahpohin », « les larmes du saule ».
Et alors que le saule parlait, il a dit au premier humain: « Âstam », « Viens ici. Et prends ce saule. Enlève les larmes de mon corps ». Et le premier humain est venu et a pris les larmes. « Maintenant, invoque le grande-père feu, kihmahsohm iskohtaih - ton grand-père feu. Fais un feu, puis retire quelques charbons du feu. Ne mets pas ceci sur une flamme nue, mais plutôt sur des charbons. Prend un morceau de mes larmes, et mets-le sur les charbons. Et alors que la fumée commence à s’élever, alors que mes larmes commencent à brûler ces larmes de sympathie pour toi afin que tu puisses en prendre avantage et apprendre à ce moment. Puis je porterai tes mots, tes prières, tes questions et tes pensées dans la fumée qui s’élèvera de l’incendie de mes larmes ». Après un moment, alors que le premier humain était assis là, une voix s’est fait entendre, qui a dit au premier humain : « La raison pour laquelle je t’ai mis ici-bas, dans ce monde matériel, est pour que tu aies la chance d’apprendre, et grâce à cet apprentissage, développer la force dont tu as besoin. Prends ce cadeau, ouvre tes yeux. Deviens conscient et regarde l’environnement autour de toi. Et avant de te mettre là, j’y ai mis quelqu’un d’autre - kihstes, ton frère aîné, ‘maskwa’, l’ours. Je I’ai placé là avant toi afin que tu puisses apprendre de quelqu’un. En ayant un modèle à observer. Lorsque tu auras faim, observe l’ours. Regarde où il va. Regarde ce qu’il mange, quelles baies. Parce qu’à l’avenir, ce sera ta nourriture. Et parfois, il ne se sent pas bien. Et il va partir à la recherche des médicines dont il a besoin pour être de nouveau en santé. Encore une fois, observe et souviens-toi. Et familiarise-toi avec ces choses que l’ours utilise au cours des différentes saisons afin que tu connaisses aussi ces médecines - ces choses qui peuvent te guérir. Mais comprends qu’il existe un processus, et que tu ne peux pas tout simplement te promener et tout ramasser. Il faut être conscient, discipliné et respectueux. »
Tu sais, lorsque j’essaie de raconter mon histoire, les gens me disent souvent : « Ça ne peut pas avoir été si pire, non? Ne pouvais-tu pas juste t’en remettre? » Certaines années, je ne rentrais pas de l’école pour l’été, car ils avaient besoin de quelqu’un pour pelleter le charbon afin d’alimenter la chaudière. Ils choisissaient donc un enfant qui restait là toute l’année. Et tu sais, nous n’avions pas le choix. Nos parents n’avaient pas le choix. C’est simplement que nos vies ne nous appartenaient pas. Même notre temps libre pouvait nous être pris. C’était au point où nous n’avions aucun pouvoir sur nos vies. Aucun sentiment d’identité. Puis l’isolement dans ces écoles, je veux dire, tu étais avec 30 autres enfants, mais tu étais seul. Il n’y avait aucun de réseau. À part quelques petits groupes, ou gangs, qui se tenaient ensemble pour rester en sécurité et pour se protéger, et ce genre de chose. Ce n’était donc pas vraiment un endroit pour se faire des amis. Émotionnellement, il n’y avait donc aucune croissance. Et j’ai toujours fait exprès de ne pas montrer de signes de faiblesse. Ils peuvent me tuer, mais je ne vais pas pleurer. Tu sais, lorsqu’on nous accusait de quelque chose et que personne ne voulait admettre son tort, je me mettais toujours au début de la ligne :
« OK, vous ne trouvez pas qui est le coupable. Je suis le coupable. »
« Alors, qu’as-tu fait de mal? »
« Bien, la chose dont vous m’accusez.C’est ça que j’ai fait. »
« Alors allez-y. »
Je voulais toujours que les autres enfants me voient comme une personne forte qui n’allait pas céder malgré toutes les tortures. Mais je me souviens, une fois, j’ai fait cela et j’ai été battu jusqu’à en être inconscient. Et tu sais, je regardais cette personne battre mon corps. Et tout d’un coup, j’étais là-haut, au plafond, à regarder cette personne qui battait mon corps. J’entendais des cris et des pleurs. Et dans mon esprit, j’ai refusé de me rendre. Et ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai réalisé que c’était mon propre corps qui pleurait, que c’était mon corps qui criait. J’étais en train de mourir. Puis on m’a sorti de là et on m’a traîné dans une douche à huit pommes. Ils ont ouvert la champlure. L’eau était très chaude. C’est ce qui m’a réveillé. C’est ce qui a ramené mon esprit dans mon corps, lorsque j’ai senti cette brûlure. J’ai essayé de rouler hors du jet, puis ils ont mis l’eau très froide. Et ils faisaient cela sans cesse. Chaud et froid, chaud et froid. Pour moi, il fallait essayer de survivre à cela. Je ne peux rien faire maintenant, mais un jour, lorsque je sortirai d’ici. Lorsque je m’évaderai, ils ont intérêt à faire attention à eux. La haine grandissait en moi. Je ne pouvais pas l’exprimer parce que ce n’était pas sécuritaire d’exprimer ce type d’émotion.
Tu sais, j’ai survécu. Puis je me suis échappé durant ma septième ou huitième année. Et je me suis dit : « Je ne vais m’échapper qu’une fois, mais je vais bien le faire. Lorsque je partirai, c’est la dernière fois qu’ils me verront. » Je me suis évadé. Me déplaçant dans la campagne, travaillant en ramassant des roches et des racines. Et j’ai fait cela jusqu’à ce que j’atteigne l’âge de 16 ans, parce que je ne pouvais pas revenir à la maison avant d’avoir 16 ans, car ils m’auraient renvoyé là-bas. Et ils m’auraient rasé la tête, et ils m’auraient battu. Tu sais, je suis devenu une personne très dangereuse. Ce qui a pu grandir en moi était la colère, la haine et la frustration. Alors j’ai vécu ces moments et, tu sais, une personne raisonnable te dirait qu’il s’agissait d’une grande défaite. Mais je n’aime pas me concentrer sur mes défaillances. Je me suis relevé et j’ai essayé de me rattraper en travaillant. J’essayais constamment de faire partie de quelque chose. J’ai subi des pertes. J’ai été blessé. J’ai frôlé la mort. J’ai abandonné. Et j’ai quand même dû me relever. Puis je me suis dit : « Ok. Je peux réussir. Je peux faire ces changements. » Et j’ai passé beaucoup de temps seul dans les montagnes et la forêt, à amasser différentes médecines. Je me suis familiarisé avec les esprits. J’ai interagi avec les esprits. Mais tu sais, lorsque j’ai commencé à apprendre au sujet des choses qui étaient importantes pour moi, j’ai commencé à comprendre l’importance de transmettre ces connaissances, car elles sont puissantes. De transmettre les cérémonies. D’expliquer en détail le processus pour devenir un oskapew (aidant pendant les cérémonies). Donc si cela est ton rôle dans la vie, tu peux recevoir cette orientation, ce sont les processus que tu entreprendras. Et voici certaines des choses que tu pourras vivre et ressentir. Et surtout lorsque mes garçons sont arrivés. C’est alors que j’ai vu à quel point c’était important pour eux d’avoir quelqu’un qui soit un modèle à suivre. Qu’ils n’aient pas honte de dire : « C’est mon père ».
Mais toutes ces médecines, elles sont ici. Et aujourd’hui, tu sais, c’est de nouveau le temps d’enseigner à ces gens qui veulent réapprendre ce qu’on a laissé derrière. Parce qu’ils en comprennent l’importance pour un environnement et un corps sain.
Tu sais, et je crois que nous avons tous été dans le même bateau. Nous avons tous souffert. Nous avons tous vécu nos expériences uniques. Et nous devrions simplement nous asseoir, nous écouter et apprendre les uns des autres. Comme si c’était important, parce que c’est important. Retirer ce dont nous avons besoin des récits qui nous sont offerts. Redonner ce que nous pouvons, laisser l’expérience être réciproque. Puis nous asseoir ensemble et essayer de faire des plans à propos de - tu sais, il y a un futur qui s’en vient. Qu’allons-nous faire pour accueillir ce futur?
À mes enfants et aux jeunes: il y a de l’information et du savoir partout, mais il faut chercher. – Wes FineDay