Définition
Selon la plupart des traditions orales algonquiennes, un windigo est un monstre cannibale qui s’en prend aux personnes vulnérables et socialement isolées. Dans la plupart des versions de la légende, l’homme devient un windigo après que son esprit soit corrompu par la cupidité ou affaibli par des conditions extrêmes comme la faim et le froid. Dans d’autres versions, l’homme se transforme en windigo lorsqu’il est possédé par un esprit vagabond dans un moment de faiblesse.
Parmi les Premières nations qui parlent une langue algonquienne (y compris les Abénaquis, les Siksikas, les Micmacs, les Algonquins, les Ojibwés et les Innus), l’orthographe et la prononciation du mot « windigo » diffère. Ainsi, wendigo, wheetigo, windikouk, wi’ntsigo, wi’tigo et wittikka sont tous des versions différentes d’un même terme. D’autres noms, comme atchen, chenoo et kewok, sont aussi couramment utilisés pour désigner le windigo.
Apparence et caractéristiques
Tout comme il existe différentes versions du mot « windigo », il existe de nombreuses variations quant à l’apparence de la créature et de ses pouvoirs. On dit parfois du windigo qu’il est très élancé, son crâne et son squelette poussant contre sa peau, elle-même de la couleur des cendres grises. D’autres récits décrivent la créature comme un géant charnu qui croît après chaque repas. Selon d’autres légendes, enfin, le windigo est doté d’oreilles pointues ou d’apparence animale, ainsi que de bois ou de cornes sur la tête. On dit parfois que les yeux du windigo sont affaissés ou brillants comme des charbons ardents. Des dents pointues et aiguisées, une haleine fétide et une odeur corporelle nauséabonde sont aussi souvent des traits caractéristiques du windigo.
Généralement (mais pas toujours), le windigo est doté de pouvoirs spéciaux, comme une force surhumaine et l’endurance nécessaire pour pouvoir traquer, attaquer et dévorer ses victimes. On dit généralement des windigos qu’ils possèdent une vision, une ouïe et un odorat exceptionnels. On dit qu’ils se déplacent à la vitesse du vent et qu’ils ont la capacité de marcher sans s’enfoncer sur la neige la plus profonde ou même sur l’eau.
Selon certaines légendes, on peut tuer le windigo à l’aide d’armes classiques, comme un bâton ou une arme à feu. D’autres légendes décrivent une méthode plus élaborée : on doit d’abord maîtriser le windigo, puis lui arracher son cœur de glace, pour ensuite faire fondre celui-ci à feu vif. D’autres encore racontent que seul un chef spirituel savant des Premières nations (un chaman) peut chasser un windigo à l’aide d’un rituel particulier.
Origine et histoire
La légende du windigo fait partie de l’histoire orale algonquienne depuis de nombreux siècles, longtemps avant l’arrivée des Européens en Amérique du Nord. Le premier Européen à raconter par écrit une rencontre avec un windigo est toutefois Paul Le Jeune, un missionnairejésuite qui vit parmi le peuple algonquin au début du 17e siècle sur le territoire actuel du Québec. Dans un rapport qu’il envoie à ses supérieurs à Paris en 1636, Le Jeune écrit :
Cette femme diabolique… a ajouté que [le windigo] avait mangé des Attikamegoukin – les tribus qui vivent au nord de la rivière appelée Trois Rivières – et qu’il en mangerait d’autres s’il n’était pas appelé ailleurs. Atchen (une créature apparentée au loup-garou) viendrait à sa place pour les dévorer… jusqu’à la forteresse française. Il massacrerait les Français.
Le rapport du père Le Jeune démontre que les Européens du 17e siècle croient aux mauvais esprits surnaturels aussi fermement que leurs contemporains des Premières nations. En fait, ce rapport précède la chasse aux sorcières de Salem d’une soixantaine d’années. Les missionnaires établis dans ce qui est devenu le Canada raconteront jusqu’au 20e siècle des histoires de rencontres avec le windigo.
On raconte aussi de telles histoires sur la frontière de l’Ouest dans les années 1800 parmi les peuples autochtones des Plaines et les employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH). Certains documents des commerçants de la CBH relatent des rencontres avec des chefs spirituels autochtones se disant capables d’entrer en « transe » religieuse. Il n’est pas rare que les peuples autochtones accusent ces personnes d’être des windigos; les commerçants de la CBH les décrivent même parfois comme des forcenés. Dans certains cas, par mesure de précaution, les membres de la communauté ou des parents de l’accusé tuent la personne soupçonnée d’être un windigo. Dans l’un de ces cas, trois hommes assassinent le chef spirituel cri Abishabis après que celui-ci, poussé par la cupidité, ait tué une famille autochtone complète. On le croit possédé par un windigo.
Psychose du windigo
Au début du 20e siècle, le terme « windigo » vient s’incorporer au vocabulaire médical occidental. La première génération de psychiatres l’utilise pour faire référence à un état mental dans lequel les patients se croient pris de désirs cannibales. Le missionnaire oblat J. E. Saindon est le premier à utiliser le terme dans les années 1920 dans le cadre de son travail dans une communauté crie de l’ouest de la baie James. Là-bas, une femme lui raconte avoir vu des étrangers qui voulaient la tuer et dévorer son corps. J. E. Saindon décrit alors l’état mental de la femme comme une « psychonévrose », soit un trouble mental ou comportemental caractérisé par la dépression et l’anxiété. Cet état mental sera connu ultérieurement sous le nom de « psychose du windigo ». À ce jour, toutefois, la communauté médicale demeure sceptique quant au caractère réel de cette maladie.
Symbolisme et signification
Les légendes du windigo fournissent une foule d’informations sur les croyances, les modes de vie, les structures sociales et les traditions de ceux qui les racontent. Pour certains, ces légendes évoquent l’importance de la communauté – et, surtout, les conséquences désastreuses qui peuvent découler du fait d’en exclure des membres individuels. On croit que pour donner naissance à un windigo, il faut réunir les facteurs que sont la faim, le froid extrême et l’isolement. Or, ces conditions sont omniprésentes chez de nombreuses Premières nations qui vivent dans les forêts boréales du nord. La plupart des histoires de windigo racontent le malheur de personnes ou de petits groupes qui, piégés dans les bois sans nourriture pendant une longue période, ressentent une grande solitude et sont tourmentés par le froid. On raconte que le windigo tue les voyageurs solitaires ou des membres individuels d’un groupe pour ensuite usurper leur personnalité temporairement, avant de tuer d’autres humains trouvés sur son passage.
La cupidité légendaire du windigo, elle, représente certaines attitudes retrouvées dans de nombreuses cultures autochtones quant au partage. Dans les bois, la survie de l’homme dépend souvent de la coopération communautaire et du partage de la nourriture et des biens. Toute personne qui refuse de partager les ressources locales, surtout dans les moments de grande misère, est considérée comme un « monstre ». Selon l’historien Shawn Smallman, le windigo est toujours perçu comme un symbole de cupidité dans la société moderne; il se manifeste aujourd’hui sous la forme du capitalisme et de la consommation à outrance.
Il en est également venu à servir de métaphore pour les injustices faites aux populations autochtones au Canada, notamment les pensionnats indiens, la restriction des droits dans la Loi sur les Indiens, la rafle des années 60 et certaines autres politiques d’assimilation. Le film A Windigo Tale d’Armand Ruffo (2010), par exemple, utilise le monstre pour raconter le traumatisme infligé à de nombreuses générations d’Autochtones dans les pensionnats. Pour certains Autochtones, le windigo symbolise la destruction amenée par la colonisation. (Voir aussi Impérialisme).
Culture populaire
Contrairement aux créatures mythologiques de la culture européenne, popularisées il y a plusieurs siècles – vampires et loups-garous, notamment –, la découverte du windigo dans la culture populaire occidentale, elle, est relativement récente. Toutefois, les films, romans graphiques (comme Curse of the Wendigo de Mathieu Missoffe), émissions télévisées ou bandes dessinées (comme Wendigo de Marvel) s’inspirant de légendes de windigo sont désormais nombreux. La créature maléfique a également inspiré plusieurs œuvres d’art de Norval Morrisseau, ainsi que des œuvres littéraires de Basil H. Johnston, Margaret Atwood, Tomson Highway et Joseph Boyden. Ces nouveaux médias viennent enrichir la diversité de la légende, ainsi que les différentes manières dont elle est interprétée par les peuples autochtones et non autochtones.