L’Acte de Québec a reçu la sanction royale le 22 juin 1774. Il a révoqué la Proclamation royale de 1763, qui visait à assimiler la population canadienne-française sous la domination anglaise. L’Acte de Québec est entré en vigueur le 1er mai 1775. Il a été adopté afin d’acquérir la loyauté de la majorité francophone de la province de Québec. Basé sur les recommandations des gouverneurs James Murray et Guy Carleton, l’Acte garantissait la liberté de croyance et la restauration des droits des biens français. Cependant, l’Acte a entraîné des conséquences désastreuses pour l’empire de l’Amérique du Nord britannique. Considéré comme l’une des cinq « lois intolérables » par les treize colonies britanniques, l’Acte de Québec a été l’une des causes directes de la Révolution américaine (1775 à 1783). L’Acte constitutionnel lui a succédé en 1791.
Ce texte est l’article intégral sur l’Acte de Québec de 1774. Si vous souhaitez lire un résumé en langage simple, veuillez consulter l’article « Acte de Québec de 1774 (résumé en langage simple) ».
Contexte historique
En 1763, un siècle de guerre impériale en Amérique du Nord se termine. Suite à la victoire décisive des Britanniques sur les plaines d’Abraham, la France cède la majeure partie de son territoire nord-américain à la Grande-Bretagne avec le Traité de Paris. (Voir Conquête.) Ces terres comprennent l’île Royale (île du Cap-Breton), le Canada, et les territoires dans le bassin des Grands Lacs et à l’est de la rivière Mississippi (à l’exception de la Nouvelle-Orléans). La Proclamation royale de 1763 incorpore ces régions et ses peuples à l’empire nord-américain britannique.
Le saviez-vous?
Le traité de Paris a mis fin à la guerre de Sept Ans entre la France, l’Angleterre et l’Espagne. Il marque aussi la fin du conflit européen en Amérique du Nord et jette les bases de l’actuel pays du Canada.
La Proclamation royale vise à assimiler la population francophone. Des lois, des coutumes et des pratiques anglaises sont établies dans la colonie. On espère qu’un afflux massif de colons anglophones protestants suivra. Ainsi, on assume que la population francophone locale n’aura d’autre choix que de s’assimiler pour survivre. Cette Proclamation crée aussi un environnement dans lequel les marchands britanniques peuvent s’emparer de l’économie de la colonie, tout particulièrement de la traite des fourrures.
Cependant, en pratique, les choses sont bien différentes. Comme les immigrants anglophones n’arrivent pas en masses, le gouverneur James Murray constate que l’assimilation n’est pas pratique. Les francophones sont plus nombreux que les anglophones, et James Murray dépend de leur coopération pour gouverner. Donc, alors qu’il introduit le droit criminel anglais, il maintient le droit des biens et le droit civil français. Selon l’historien Donald Fyson, des catholiques francophones ont même occupé des postes de la fonction publique.
Le saviez-vous?
Dans les cinq décennies qui suivent la conquête britannique de 1759-1760, la communauté anglophone du Québec demeure un groupe restreint, mais influent. En raison de la taille relativement petite de cette communauté et de la Révolution américaine qui couve dans le sud, l’élite dirigeante hésite à imposer les politiques officielles d’anglicisation et de suppression du catholicisme du gouvernement britannique déjà en vigueur en Irlande. Ils cherchent plutôt à gagner la loyauté de la majorité canadienne-française par des mesures d’apaisement, notamment l’Acte de Québec de 1774, même si cela ne plaît pas à la classe marchande anglophone ou au clergé anglican.
L’Acte de Québec
En février 1774, Alexander Wedderburn, le solliciteur général pour l’Angleterre et le pays de Galles, commence à rédiger un projet de loi devant remplacer la Proclamation royale. Il est assisté de Lord Dartmouth, secrétaire d’État des colonies, du gouverneur Guy Carleton, de William Hey, juge en chef de la province de Québec, de Lord Hillsborough, ancien secrétaire d’État des colonies, de Lord Mansfield, juge en chef de la Cour du Banc du Roi, ainsi que d’Edward Thurlow, procureur général.
En juin 1774, l’Acte de Québec est d’abord adopté par la Chambre des communes britannique. Il est ensuite adopté par la Chambre des Lords. Il reçoit la sanction royale le 22 juin 1774 et entre en vigueur le 1er mai 1775. À de nombreux égards, cet Acte est façonné par les points de vue de James Murray et de son successeur Guy Carleton. La lenteur avec laquelle les immigrants anglophones arrivent fait en sorte que les fonctionnaires coloniaux dépendent des colons francophones. Le gouverneur Guy Carleton prévient même les fonctionnaires en Grande-Bretagne que le Québec est « une province complètement différente des autres, et ses circonstances particulières ne peuvent être ignorées... »
En conséquence, Guy Carleton soutient donc que le maintien des coutumes canadiennes-françaises locales est une bien meilleure option. Il passe des années à tenter de convaincre les fonctionnaires britanniques d’abandonner leurs politiques d’assimilation. Étant donné les tensions croissantes dans les treize colonies, on craint également que les Canadiens français se joignent à une éventuelle révolte. Il est impératif que la Grande-Bretagne obtienne leur loyauté.
L’Acte de Québec vient encore une fois diviser le territoire nord-américain. La province de Québec s’élargit considérablement. Elle ne se limite plus à la vallée du fleuve Saint-Laurent. Ses frontières s’étendent pour inclure le Labrador, l’île d’Anticosti, les Îles-de-la-Madeleine et une vaste zone à l’ouest des treize colonies. Ceci inclut ce qui deviendra le sud de l’Ontario, le territoire contesté de l’Ohio, le Michigan, l’Indiana et même des parties des États actuels du Wisconsin, de l’Illinois et du Minnesota. Cette région comprend également ce qu’on appelle à l’époque la « terre des Indiens. » La Proclamation royale la reconnaît comme un territoire de réserves autochtones. Elle interdit toute colonisation européenne sur ce territoire. Selon Alan Taylor, l’idée est que le « gouvernement autoritaire du Québec » sera plus en mesure de bloquer l’arrivée de colons et de spéculateurs des treize colonies qui voudraient s’installer sur ce territoire.
L’Acte de Québec et la province de Québec
L’Acte de Québec vise à apaiser les Canadiens français et à gagner leur loyauté. D’abord et avant tout, l’Acte leur permet de pratiquer librement leur religion : le catholicisme. Cela contraste fortement avec la manière dont le gouvernement britannique gère généralement les situations similaires. Au cours des 200 dernières années, il a adopté une approche anti-catholique, plus particulièrement en Irlande. Mais il reconnaît les réalités distinctes du Québec et adopte une attitude différente. Grâce à la liberté de religion, les catholiques francophones sont libres de gérer les affaires de la colonie. Ils sont seulement tenus de prêter un serment d’allégeance au roi, ce qui ne fait aucunement mention d’une appartenance religieuse (contrairement au serment du Test antérieur).
Bien que le droit criminel anglais soit conservé, l’Acte rétablit le droit civil français. Ceci veut dire que l’Église catholique romaine peut maintenant percevoir la dîme de façon légale. On réinstaure également le système seigneurial. Alors que les seigneurs et les membres du clergé sont de toute évidence enchantés, les habitants francophones sont beaucoup moins contents de devoir payer des taxes et des droits seigneuriaux. L’Acte de Québec révoque également toutes les ordonnances adoptées entre 1764 et 1775. Comme l’indique la Proclamation royale, l’autorité législative ne peut être détenue que par le gouverneur, son conseil et l’assemblée. Et comme une assemblée n’a jamais été créée, les autorités coloniales n’ont pas le pouvoir d’imposer des taxes ou des droits.
Pour les colons anglophones, et surtout les membres du « Parti britannique », l’Acte n’est pas source de réjouissance. Ces hommes, la plupart des commerçants établis à Montréal et à Québec, voulaient autrefois assimiler la population francophone. Ils espèrent faire de leur colonie une colonie britannique digne de ce nom. Ils sont en faveur de l’établissement d’un système de common law anglais, ainsi que des tenures franches au lieu du système seigneurial. Ils veulent aussi une assemblée élue sous le contrôle du Parti britannique. Ils affirment que seuls les protestants anglophones devraient pouvoir voter ou occuper une charge publique. Ils adressent même une pétition qu’ils déposent sans succès.
Les fonctionnaires britanniques rejettent leurs demandes. Ils craignent qu’une assemblée dominée par les Britanniques n’engendre des tensions au sein de la colonie. L’historien Alan Taylor conclut que « le Québec présente un paradoxe du fait qu’une minorité britannique s’indigne que les représentants impériaux protègent la culture et le droit de la majorité francophone ». Au lieu de cela, un conseil législatif de 23 membres est nommé par la Couronne. Il dirige la colonie avec le gouverneur. Néanmoins, l’expansion du territoire de la colonie plaît à de nombreux marchands britanniques, car elle accroît considérablement leur portée commerciale.
L’Acte de Québec et les treize colonies américaines
L’une des plus importantes conséquences de l’Acte de Québec est possiblement la Révolution américaine (1775 à 1783). L’Acte de Québec est très mal vu par les colons des treize colonies. Ils considèrent que c’est une sorte d’« autoritarisme britannique ». Cet Acte est considéré comme étant l’une des cinq « lois intolérables » adoptées par la Grande-Bretagne durant la période précédant la révolution.
Un mois avant l’adoption de l’Acte de Québec, le parlement britannique approuve une série de lois qui suscitent l’irritation des peuples des treize colonies. Celles-ci incluent l’Acte du port de Boston, une loi pour l’administration impartiale de la justice, la loi du cantonnement des troupes, et l’Acte de gouvernement du Massachusetts. Ces « lois intolérables » sont jugées par les colons américains comme étant injustes et despotiques. Par exemple, l’Acte du port de Boston suspend les activités du port de la ville jusqu’à ce que la population locale paye pour le thé détruit pendant la célèbre révolte du Boston Tea Party. La loi du cantonnement des troupes, nouvellement modifiée, permet maintenant aux autorités de loger les soldats britanniques dans des maisons privées inoccupées. Et l’Acte de gouvernement du Massachusetts transforme le conseil colonial élu en conseil nommé par le gouverneur. Il interdit également toute assemblée municipale ayant lieu sans le consentement des fonctionnaires britanniques.
Dans ce contexte, l’Acte de Québec n’est qu’une « loi intolérable » de plus. John Adams, par exemple, est partisan de la révolution américaine. Il est délégué du Massachusetts lors du Congrès continental. Il déclare que l’Acte est « dangereux pour l’intérêt de la religion protestante et de ces colonies ». Les colons américains sont particulièrement opposés au fait que la Couronne britannique favorise les catholiques francophones au détriment de ses propres colons protestants. La plupart sont furieux qu’on leur interdise de s’installer dans la vallée de l’Ohio. Certains soutiennent même que de nombreux colons ont donné leur vie pour libérer cette terre de l’emprise des catholiques français. Le New York Journal s’exclame que « les sauvages des bois n’ont jamais été expulsés pour faire de la place dans cette région, la meilleure du continent, aux idolâtres et aux esclaves [les Canadiens français] ». D’autres craignent aussi que l’Acte soit « un concept et un système prémédités, conçus et exécutés par le ministère britannique afin d’introduire un gouvernement arbitraire dans les dominions américains de Sa Majesté ».
L’Acte de Québec ne fait pas que créer plus de tensions dans les treize colonies. Il brise surtout le lien qui existe entre les colons et le monarque britannique. Selon l’historien Vernon P. Creston, il « compromet fatalement la popularité du symbole le plus reconnaissable et le plus apprécié de l’autorité de l’Empire britannique dans les colonies américaines ». Les colons américains vont même jusqu’à utiliser l’Acte pour justifier leur « résistance physique » contre les Britanniques. Ils considèrent que c’est la « preuve que leur roi n’est plus digne de confiance ». L’Acte démontre à quel point la Couronne est désormais tyrannique et corrompue. De nombreux colons américains se sentent trahis. Ils estiment qu’il est de leur devoir de « résister à de telles attaques radicales à leur liberté ».
Pendant la guerre d’indépendance américaine, deux forces d’invasion sont envoyées au Canada pour recruter des habitants dans la lutte contre les Britanniques. Ils sont dirigés par le colonel Benedict Arnold et le général Richard Montgomery. Ces attaques échouent en raison de conditions difficiles, d’une pénurie de fournitures et d’un manque de soutien de la part de la population locale. (Voir Révolution américaine : invasion au Canada.)
Loi constitutionnelle de 1791
L’Acte de Québec est suivi en 1791 par la Loi constitutionnelle. Beaucoup de choses ont changé depuis 1774. Des milliers de loyalistes arrivent dans les Maritimes et dans la province de Québec, et s’installent au nord des Grands Lacs. Après leur arrivée dans une colonie britannique aux droits civils et droits des biens francophones, et dépourvue d’institutions britanniques, ces loyalistes commencent à faire pression sur les fonctionnaires britanniques afin d’établir la common law anglaise ainsi qu’une assemblée législative appropriée. Pour leur part, les Canadiens français craignent que le nombre croissant de loyalistes n’entraîne la perte des droits qu’ils ont acquis grâce à l’Acte de Québec.
La Loi constitutionnelle de 1791 est un compromis. La province de Québec est divisée en colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada. Le Haut-Canada, où s’installent la plupart des loyalistes, adopte la common law anglaise. Le Bas-Canada, où vivent la plupart des Canadiens français, maintient ses droits de propriété français et l’ensemble des privilèges acquis par les Canadiens français en 1774. Les deux colonies bénéficient d’une représentation politique avec la création d’assemblées législatives élues distinctes.
Voir aussi Acte de Québec de 1774 : document; L’Acte de Québec, 1774 (résumé en termes simples)