Amanda Todd était une élève de 15 ans qui fréquentait l’école secondaire. Elle s’est suicidée le 10 octobre 2012 après avoir été victime de cyberintimidation et de sextorsion. Elle a publié un mois avant sa mort une vidéo d’elle sur YouTube. Elle a utilisé des cartons pour raconter son histoire de cyberexploitation sexuelle, ainsi que la détresse émotionnelle et la violence verbale et physique qui l’ont suivie dans sa vie réelle. La vidéo de l’adolescente est devenue virale, attirant l’attention des médias nationaux et internationaux. Elle a déclenché une enquête policière officielle sur son suicide qui a conduit à l’arrestation d’un Néerlandais pour extorsion et pornographie juvénile. Elle a également amené les gouvernements de la Colombie-Britannique et de la Nouvelle-Écosse à adopter des lois contre la cyberintimidation. Une loi fédérale modifiant le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne a été déposée en février 2024.
Petite enfance
Amanda « Manda » Michelle Todd naît à Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, le 27 novembre 1996. Ses parents, Norm et Carol Todd, se séparent lorsqu’elle est enfant. La plupart du temps, Amanda Todd vit avec sa mère. Mais pendant environ deux ans, elle vit avec son père.
Amanda Todd fréquente l’école secondaire Maple Ridge puis une école alternative, la Coquitlam Alternate Basic Education (CABE). Elle éprouve des difficultés à l’école en raison d’un trouble d’apprentissage attribuable au langage. Selon sa mère, une enseignante qui travaille avec des enfants ayant des troubles d’apprentissage, Amanda Todd est souvent la dernière de la classe en raison de ses problèmes d’apprentissage, ce qui la rend anxieuse et dépressive. (Voir Santé mentale.) Elle fait souvent l’objet de plaisanteries de la part de ses camarades. Elle est meneuse de claque avec l’équipe des All Stars de Vancouver et participe à diverses activités sportives, mais elle n’a pas l’impression d’avoir une vie normale. Sa mère obtient du soutien pour l’adolescente afin de l’aider à développer ses capacités d’adaptation. Mais la jeune Amanda se sent souvent seule. Elle se tourne vers Internet pour rencontrer de nouvelles personnes.
Piégeage en ligne
Lorsqu’elle est en 7e année, Amanda Todd et des amis utilisent une webcam. Elle commence à recevoir des messages d’inconnus qui la flattent, lui disant qu’elle est « superbe, belle, parfaite ». Comme elle le déclare plus tard dans ses cartons, ils « ont ensuite voulu que je montre mes seins. C’est ce que j’ai fait un an plus tard ».
Amanda Todd a 12 ans lorsqu’elle dénude sa poitrine pour le flux webcam. Un pédophile qui traque de jeunes filles en ligne enregistre des trames des images et envoie à Amanda Todd un message de chantage sur Facebook. Il la menace d’envoyer une photographie d’elle dénudée à ses amis, à moins qu’elle ne lui fasse un « spectacle ». Il connaît son adresse, son école et le nom des membres de sa famille, de ses proches et de ses amis. L’adolescente refuse, puis l’image apparaît sur les réseaux sociaux et sur un site de blogue en direct. Durant les congés de Noël de 2012, la police se rend chez elle pour l’informer que la photo est largement diffusée sur Internet. Des camarades la ridiculisent et l’ostracisent.
En conséquence directe de l’extorsion sexuelle (ou sextorsion) et de la cyberintimidation, Amanda Todd commence à souffrir d’anxiété, de dépression et de trouble panique. Sa famille déménage et l’adolescente est transférée dans une nouvelle école. Mais elle commence à consommer de l’alcool et des drogues. Elle sort rarement.
Un an plus tard, le maître chanteur réapparaît. Il crée une page Facebook qui utilise la photo d’Amanda Todd seins nus comme image de profil et l’envoie à ses camarades de classe. L’un des quelque 700 messages qu’il lui envoie via Facebook, YouTube et Skype mentionne : « Tu as déjà oublié qui je suis? Le type qui t’a fait changer d’école l’année dernière… Donne-moi trois spectacles et je disparaîtrai pour toujours… Si tu fréquentes une nouvelle école, une nouvelle meilleure amie, de nouveaux amis, ou quoi que ce soit de nouveau, je serai encore là… Je suis fou, oui. ».
Amanda Todd est de nouveau ridiculisée à l’école. Ses camarades la qualifient de « star du porno » et de « pute de la caméra ». Elle désespère de pouvoir effacer la photo d’Internet. Comme elle le mentionne par la suite : « C’est là pour toujours… [J’ai] pleuré tous les soirs, perdu tous mes amis et le respect que les gens avaient pour moi… encore une fois. Alors personne ne m’aimait… les insultes, les jugements. ». Elle commence à se scarifier, une forme d’automutilation qui accompagne parfois certaines formes de maladie mentale. À l’école, elle mange seule.
Agression physique
Amanda Todd change d’école de nouveau. Même si les choses semblent aller mieux pour elle au début, elle passe quand même la pause-repas seule à la bibliothèque. Au bout d’environ un mois, elle commence à clavarder avec un « vieil ami » qui la contacte. Elle sait qu’il a une petite amie, mais il semble sympathiser avec elle et comprendre sa situation. Comme elle le dit plus tard, il « m’a menée en bateau ». Alors que la petite amie du garçon est en vacances, Amanda Todd a accepté une invitation à se rendre chez lui. « Il a couché avec moi », dit-elle, puis ils ont des relations sexuelles.
Peu après, Amanda Todd reçoit un message texte lui demandant de sortir de l’école. Elle est alors attaquée dans la rue devant l’école par la petite amie du garçon et 15 autres adolescents. Devant le garçon, la petite amie frappe Amanda Todd; tous l’agressent verbalement, lui disent que personne ne l’aime et la laissent au sol. Certains filment l’incident. Amanda Todd se terre dans un fossé jusqu’à ce que son père la trouve. Elle déclare plus tard : « J’avais l’impression d’être la risée de ce monde ». Une fois à la maison, elle ingère de l’eau de Javel et doit être transportée à l’hôpital pour subir un lavage d’estomac.
À la suite de cette tentative de suicide, Amanda Todd continue d’être la cible de cyberharcèlement de la part du maître chanteur initial et d’autres personnes. Sa famille déménage de nouveau, mais la cyberviolence la suit. Elle fait une surdose de pilules et est hospitalisée en psychiatrie. Ses cyberbourreaux la qualifient par la suite de « psychopathe ».
Suicide
Le 7 septembre 2012, Amanda Todd publie une vidéo de 9 minutes dans laquelle elle utilise des cartons pour décrire ses deux années de persécution. Elle conclut par ces mots : « Je n’ai personne. J’ai besoin de quelqu’un [illustré par un visage malheureux]. Je m’appelle Amanda Todd. ». Le 10 octobre, sa mère trouve son corps dans leur maison. Elle s’est pendue.
Le saviez-vous?
La compositrice canadienne Jocelyn Morlock a composé une pièce musicale classique intitulée « My Name is Amanda Todd », qui a été récompensée par un prix Juno.
Enquête
Deux jours plus tard, la GRC et le service des médecins légistes de la Colombie-Britannique entreprennent une enquête sur la mort d’Amanda Todd. Le 15 octobre, le nom d’Amanda Todd est mentionné à la Chambre des communes lors d’un débat sur une motion visant à créer une stratégie nationale de prévention de l’intimidation.
Des enquêteurs mènent des entrevues et examinent des sites Web de médias sociaux, de même que les deux ordinateurs d’Amanda Todd, à la recherche de facteurs ayant pu contribuer à sa mort. Ils découvrent que l’organisme national canadien Cyberaide.ca, un groupe de lutte contre l’exploitation des enfants, est informé un an avant le suicide de l’adolescente que celle-ci est victime de sextorsion de la part d’un homme adulte. L’information est transmise aux forces de l’ordre et aux agences de protection de l’enfance, mais personne n’y donne suite, apparemment parce qu’on croit que la police ne peut rien y faire.
Carol Todd révèle également, lors d’une entrevue accordée dans le cadre de l’émission The Fifth Estate de la CBC, avoir signalé à de nombreuses reprises à la police les menaces de chantage en ligne. Elle estime toutefois que ses inquiétudes ne sont pas prises au sérieux. Les rapports adressés à la police par les enseignants de l’école d’Amanda Todd ayant reçu par courrier électronique la photo de l’élève aux seins nus auraient été rejetés sans qu’aucune mesure ne soit prise. On recommande seulement à Amanda Todd de fermer ses comptes Facebook et de messagerie électronique et de se tenir loin d’Internet.
Arrestation et procès
L’affaire Amanda Todd attire l’attention de la communauté internationale. Les autorités américaines transmettent les conclusions d’une enquête au Child Exploitation and Online Protection Centre, un service de protection contre l’exploitation des enfants en ligne rattaché à la National Crime Agency du Royaume-Uni. L’information est ensuite relayée aux autorités néerlandaises. La police néerlandaise arrête Aydin Coban, un homme dont les activités sur Internet sont en observation parce qu’il est soupçonné d’être impliqué dans des affaires de pornographie juvénile et de sextorsion sur plus de 33 autres victimes aux Pays-Bas, en Norvège, au Royaume-Uni, en Australie et au Canada.
Aydin Coban fait l’objet de poursuite aux Pays-Bas et est condamné à 10 ans et huit mois de prison. En décembre 2020, il est extradé au Canada pour faire face à des accusations concernant son implication dans l’affaire Amanda Todd.
Le procès d’Aydin Coban à New Westminster, en Colombie-Britannique, s’ouvre le 6 juin 2022. Le 6 août, il est reconnu coupable d’extorsion, de harcèlement et de communication avec une adolescente en vue de commettre une infraction sexuelle, ainsi que de possession et de distribution de pornographie juvénile. Le tribunal canadien condamne l’homme à 13 ans de prison. Selon les conditions de son extradition, sa peine canadienne sera purgée dans une prison aux Pays-Bas après l’expiration de sa peine néerlandaise. En 2023, conformément aux normes judiciaires néerlandaises, la peine canadienne d’Aydin Coban est commuée en une peine de six ans.
Héritage
La vidéo d’Amanda Todd est visionnée plus de 15 millions de fois sur YouTube. Elle devient un symbole international de la lutte contre la cyberintimidation. Carol Todd est harcelée en ligne après la mort de sa fille. Elle devient porte-parole des droits des enfants en matière de santé mentale et se fait la championne de la lutte contre la cyberviolence. Elle crée la Fondation Amanda Todd à la Banque Royale du Canada pour recueillir des dons en faveur de programmes de sensibilisation à la lutte contre le harcèlement.
En 2017, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse adopte une loi contre la cyberintimidation et la diffusion d’images intimes sans consentement. Première loi de ce genre au Canada, elle permet aux victimes de cyberintimidation de demander une ordonnance de cyberprotection auprès de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. La Colombie-Britannique adopte également une loi qui classe la cyberintimidation comme une forme illégale de harcèlement en vertu du Code criminel. La Colombie-Britannique lance aussi le programme ERASE (Expect Respect and a Safe Education) pour lutter contre l’intimidation et la cyberintimidation dans les écoles.
Le gouvernement fédéral élabore également une loi contre la cyberintimidation en réponse à l’affaire Amanda Todd. S’il est adopté, le projet de loi C-63 (Loi sur les préjudices en ligne) modifiera le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il prévoit également des peines plus lourdes, la création de nouveaux organismes de réglementation chargés de protéger les personnes contre la violence en ligne et la création d’une commission chargée de faire appliquer les nouvelles lois. Le projet de loi franchit l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 26 février 2024.