L’affaire Meng Wanzhou (ou affaire des deux Michael) est un conflit juridique et diplomatique qui a entrainé de fortes tensions entre le Canada, la Chine et les États-Unis. L’affaire a commencé en décembre 2018 lorsque la GRC a arrêté Meng Wanzhou à Vancouver, la directrice financière de la compagnie chinoise de technologies de l’information et de la communication Huawei. La GRC agissait au nom des tribunaux américains qui réclamaient son extradition aux États-Unis. Neuf jours plus tard, le gouvernement chinois a arrêté deux Canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor. Les deux hommes ont été incarcérés pendant 1020 jours. Ils ont été libérés le même jour que Meng Wanzhou, le 24 septembre 2021. Cet épisode a marqué l’émergence de la « diplomatie du loup guerrier » de la Chine et a démontré la limitation des options diplomatiques du Canada en tant que moyenne puissance.
Contexte
L’ingénieur civil Ren Zhengfei fonde l’entreprise Huawei en 1987. Un an plus tard, il en devient le PDG. Basée en Chine, Huawei grandit et devient la plus importante entreprise de technologies de l’information et de la communication (TIC) au monde. En 2018, elle possède près de 190 000 employés et est active dans plus de 170 pays, dont le Canada.
La fille de Ren Zhengfei, Meng Wanzhou (prononcer mong whan joe), naît en 1972. Parfois appelée Cathy ou Sabrina Meng, elle se joint à Huawei en 1993 après avoir obtenu une maitrise en comptabilité à l’Université des sciences et technologies de Huazhong. Cadre de l’entreprise à partir de 2003, elle joue un rôle important en restructurant l’organisation internationale et les systèmes de gestion de Huawei. Elle devient vice-présidente du conseil d’administration, présidente tournante et directrice financière de la compagnie.
Meng Wanzhou est citoyenne chinoise et elle détient un statut de résidente permanente au Canada depuis 2009. Elle possède deux maisons à Vancouver. Trois de ses quatre enfants sont éduqués dans des écoles de Vancouver. Son mari, Liu Xianozong, travaille également à Vancouver en tant qu’investisseur en capital-risque.
Arrestation et détention
Le 22 août 2018, un tribunal de Brooklyn à New York lance un mandat d’arrestation contre Meng Wanzhou. Elle est accusée de fraude bancaire, de fraude informatique et de complot en vue de commettre une fraude bancaire et une fraude électronique. Les accusations sont fondées sur des allégations selon lesquelles Meng Wanzhou a trompé des institutions financières américaines en permettant à une des filiales de Huawei, Skycom Tech, de faire affaire en Iran. À l’époque, le gouvernement des États-Unis exerce des sanctions contre l’Iran. Une demande d’extradition est approuvée. Celle-ci stipule que Meng Wanzhou doit être arrêtée et transférée aux États-Unis pour y être jugée.
Le 1er décembre 2018 à 11 h 10, Meng Wanzhou atterrit à l’aéroport international de Vancouver à bord d’un avion en provenance de Hong Kong. Elle prévoit changer d’avion pour se rendre à des réunions d’affaires à Mexico. Toutefois, elle est interceptée par des agents des douanes qui la retiennent sous prétexte d’un triage d’immigration. Elle est ensuite arrêtée par des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en vertu de l’ordre d’extradition des États-Unis.
Dans un tribunal de Vancouver, le procureur de la Couronne John Gibb-Carsley fait valoir que Meng Wanzhou a violé les lois américaines et doit être détenue en attendant son extradition aux États-Unis. Le procureur soutient que le tribunal canadien n’a pas d’autre option considérant les dispositions du traité d’extradition canado-américain. Huawei publie une déclaration selon laquelle Meng Wanzhou n’a rien fait de mal. Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères, Le Yucheng, annonce en termes très durs que le Canada subira des conséquences si Meng Wanzhou n’est pas libérée immédiatement.
Le 11 décembre, Meng Wanzhou est relâchée contre une caution de 10 millions de dollars. Son passeport est saisi et il lui est interdit de quitter le Canada jusqu’à l’audience qui doit déterminer si elle sera extradée aux États-Unis. Elle est autorisée à demeurer dans une de ses maisons de Vancouver, mais elle doit respecter un couvre-feu à partir de 23 h. Elle doit également porter un bracelet électronique GPS à la cheville et assumer le coût des services de sécurité qui veillent à l’application des conditions de la caution. Elle continue à travailler de la maison.
Les deux Michael
Michael Kovrig travaille comme diplomate avec Affaires mondiales Canada (AMC) jusqu’en 2017. Au moment de l’arrestation de Meng Wanzhou, il travaille à Beijing pour l’ONG International Crisis Group. Le 10 décembre, neuf jours après l’arrestation de Meng Wanzhou, il est arrêté et détenu par les autorités chinoises. Le journal Beijing News, contrôlé par le gouvernement, annonce qu’il est détenu pour cause d’activités menaçant la sécurité de la Chine.
Michael Spavor est un entrepreneur canadien. Il est le fondateur de Paektu Cultural Exchange, une entreprise canadienne basée en Chine. Celle-ci organise des échanges touristiques et culturels avec la Corée du Nord. (Avant son arrestation, il est surtout reconnu pour avoir organisé une visite en Corée du Nord pour l’ex-étoile de la NBA Denis Rodman.) Le 10 décembre, des agents du Bureau de sécurité publique de Chine arrêtent Michael Spavor près de la frontière de la Corée du Nord. Il est incarcéré dans une prison non loin de là et accusé d’espionnage.
Dans les médias canadiens, Michael Spavor et Michael Kovrig sont rapidement surnommés « les deux Michael ». Le président américain Donald Trump affirme qu’il n’interviendra dans l’affaire Meng que si cela peut contribuer à un accord commercial avec la Chine. Chrystia Freeland, à l’époque ministre des Affaires étrangères, déclare que le gouvernement du Canada fondera ses décisions sur la règle de droit et non sur les objectifs politiques d’un pays en particulier. Le gouvernement canadien, par l’intermédiaire des ministres des Affaires étrangères subséquents, Francois-Philippe Champagne (de novembre 2019 à janvier 2021) et Marc Garneau (de janvier à octobre 2021) travaille en coulisses pour obtenir la libération des deux Michael.

Verdicts de culpabilité et emprisonnement
Dans des procès séparés tenus en Chine en 2021, les deux Michael sont accusés d’espionnage. Michael Spavor est condamné à onze ans de prison à Dandong. Le verdict de Michael Kvrig n’est pas annoncé et il demeure dans un centre de détention à Pékin en attendant sa condamnation. Les conditions de détention sont extrêmement dures. Les cellules sont humides, sans fenêtres et la prison est surpeuplée d’autres prisonniers. La nourriture est mauvaise, les services médicaux sont insuffisants et aucun exercice n’est permis. Les lumières sont allumées 24 heures sur 24. Au fil des mois, les deux Michael n’ont droit qu’à quelques appels téléphoniques et visites sporadiques de diplomates canadiens. Entretemps, ils subissent des interrogatoires quasi quotidiens.
Manœuvres politiques et juridiques
Dès la première comparution de Meng Wanzhou à Vancouver, ses avocats soutiennent que son arrestation est motivée politiquement. Plusieurs des arguments présentés au tribunal accusent l’Agence des services frontaliers du Canada et la GRC de ne pas avoir respecté les procédures légales appropriées lors de l’interrogatoire de Meng Wanzhou, de la saisie de ses biens et de son arrestation. Toutes leurs requêtes sont rejetées par les tribunaux.
En janvier 2019, alors qu’il explique les procédures juridiques du Canada aux médias chinois, l’ambassadeur du Canada en Chine, John McCallum, affirme que le gouvernement du Canada est impliqué dans l’arrestation de Meng Wanzhou et que son sort repose désormais entre les mains des tribunaux. John McCallum, un ancien politicien qui a une longue histoire de gaffes verbales, ajoute qu’il serait bon que les Américains renoncent à leur demande d’extradition, car cela permettrait d’obtenir la libération des deux Michael. Cette affirmation contredit la position officielle du gouvernement canadien, qui affirme que les deux Michael ne seraient jamais utilisés comme monnaie d’échange dans les négociations. John McCallum reconnait son erreur et présente ses excuses. Il est congédié par le premier ministre Justin Trudeau le 26 janvier 2019.
Pendant ce temps, la tension monte entre la Chine et le Canada. Justin Trudeau attend plusieurs mois avant de nommer un remplaçant à John McCallum. En juin 2019, la Chine annonce l’interdiction d’importer du porc et des produits du canola canadiens. Les exportations canadiennes en Chine chutent de 16 %. Justin Trudeau évoque le lien entre cette interdiction commerciale et l’arrestation de Meng Wanzhou et il affirme que la Chine « invente des excuses » pour ses actions. Dominic Barton, un dirigeant d’entreprise ayant des liens avec l’Asie et les gouvernements canadiens précédents, est nommé ambassadeur du Canada en Chine en septembre 2019.
La question qui se pose alors est de savoir si le Canada permettra à Huawei de collaborer au développement du nouveau réseau de télécommunications de cinquième génération (5G) du pays ou si la compagnie en sera complètement exclue. Les États-Unis et plusieurs autres pays alliés ont déjà exclu Huawei du développement de leurs réseaux 5G, de crainte que la Chine utilise cette participation pour mener des activités d’espionnage.
Pendant les deux années suivantes, la demande d’extradition de Meng Wanzhou progresse lentement dans le système judiciaire. Cette lenteur est due à des affrontements procéduraux et à des délais entrainés par la pandémie de COVID-19. L’audience est finalement conclue en août 2021. Toutefois, le jugement est différé jusque vers la fin de l’automne.
Règlement
En septembre 2021, plus de deux ans et demi après les arrestations de Meng Wanzhou, de Michael Kovrig et de Michael Spavor, le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping discutent de l’affaire durant une conversation téléphonique. Quelques semaines plus tard, Meng Wanzhou accepte un accord de poursuite différée avec le gouvernement des États-Unis. Dans le cadre de l’accord, elle reconnait avoir induit en erreur les enquêteurs au sujet de Skycom et des sanctions contre l’Iran. Elle plaide ensuite « non coupable » aux accusations portées contre elle. Les accusations sont immédiatement différées jusqu’au 1er décembre 2022, date à laquelle elles sont officiellement abandonnées. En échange de l’aveu d’avoir induit les enquêteurs en erreur, la demande d’extradition contre Meng Wanzhou est abandonnée. Le 24 septembre 2021, la Cour suprême de la Colombie-Britannique met fin aux procédures contre elle. Le jour même, Meng Wanzhou part pour la Chine sur un vol nolisé, tandis que Michael Kovrig et Michael Spavor sont libérés et ramenés au Canada.
Suites
Par ses actions dans l’affaire Meng, le gouvernement chinois indique clairement sa volonté de s’engager dans ce qu’on appelle la diplomatie des otages. En d’autres termes, la Chine peut arrêter et détenir des citoyens de tout pays en représailles d’actions prises contre des personnes ou des entreprises chinoises. Ceci est considéré comme un élément central de la « diplomatie du loup guerrier » du président Xi Jinping, une approche beaucoup plus agressive et dominatrice que celle employée par la Chine dans le passé. (En plus des deux Michael, au moins six autres Canadiens ont été emprisonnés en Chine, dont Robert Schellenburg. Sa sentence de 15 ans d’emprisonnement pour trafic de drogue est changée en condamnation à mort à la suite d’un nouveau procès d’une journée au début de 2019.) En tant que moyenne puissance, le Canada dispose de moyens limités pour influencer les actions de la Chine et des États-Unis. Il peut cependant défendre les valeurs canadiennes et la règle de droit.
Dominic Barton démissionne de son poste d’ambassadeur du Canada en Chine en décembre 2021, après avoir été critiqué pour avoir fait pression en faveur d’un renforcement des liens commerciaux avec la Chine. En mai 2022, le ministre de l’Innovation Francois-Philippe Champagne annonce que Huawei ainsi qu’une autre compagnie chinoise, ZTE, ont toutes deux l’interdiction de collaborer au développement du réseau internet 5G au Canada. Il annonce également que les infrastructures 5G existantes des deux compagnies devront être retirées du Canada d’ici 2027. Le ministre invoque des raisons de sécurité pour justifier la décision du gouvernement de tenir les entreprises chinoises à l’écart des infrastructures technologiques du Canada.
Le 23 septembre 2022, le premier ministre Justin Trudeau annonce la nomination de Jennifer May, une fonctionnaire de carrière qui a auparavant été ambassadrice au Brésil, au poste d’ambassadrice du Canada en Chine.
En novembre 2023, Michael Spavor menace de poursuivre le gouvernement canadien et Michael Kovrig. Michael Spavor allègue que sa détention résulte du fait qu’il a fourni sans le savoir des renseignements sur la Corée du Nord à Michael Kovrig. Il affirme que les informations qu’il a transmises à Michael Kovrig avaient été relayées au gouvernement canadien et à Five Eyes, une alliance de partage de renseignements, par l’intermédiaire du Programme d’établissement de rapports sur la sécurité mondiale (PERSM) d’Affaires mondiales Canada. Le mandat déclaré du PERSM est de « recueillir des informations manifestes liées à la sécurité » dans les pays qui « ont de mauvais antécédents en matière de droits de la personne et/ou sont des environnements où la surveillance des étrangers et des citoyens est courante ». Les diplomates du PERSM, dont Michael Kovrig, recueillent des informations sur les problèmes de sécurité, mais ils ne sont pas des agents secrets.
Une source, protégée en vertu de la Loi sur la protection de l’information, suggère que même si Michael Kovrig n’était pas un employé du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), ses informations étaient précieuses pour l’agence. L’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR), un organisme gouvernemental indépendant nommé par le gouverneur en conseil, souligne également la possibilité de mesures de rétorsion contre les agents ne bénéficiant pas de l’immunité diplomatique. Le OSSNR conclut que le PERSM opère dans une zone grise juridique.
En mars 2024, Michael Spavor conclut un accord de plusieurs millions de dollars avec le gouvernement fédéral, d’une valeur estimée de 6 à 7 millions de dollars. Le gouvernement du Canada maintient toujours que les deux Michael ont été détenus injustement par la Chine en représailles à l’arrestation de Meng Wanzhou.
Voir aussi Relations canado-américaines; Relations extérieures du Canada; Affaires mondiales Canada (AMC); Représentation diplomatique et consulaire.