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Africville

Africville était un village de Canadiens noirs situé au nord de Halifax en Nouvelle-Écosse, et il a été fondé vers le milieu du 18e siècle. Au cours des années 1960, la ville de Halifax a démoli cette communauté balnéaire autrefois prospère dans ce que plusieurs ont qualifié d’acte de racisme. En 2010, le maire de la municipalité régionale de Halifax a présenté des excuses pour cet acte. Pour de nombreuses personnes, Africville symbolise l’oppression subie par les Canadiens noirs, ainsi que les efforts déployés pour réparer les torts historiques. En 2024, Africville a été désigné premier lieu d’histoire et de mémoire lié à l’esclavage et à la traite au Canada de l’UNESCO.

Origines

La fondation de Halifax remonte à 1749, lorsque des Africains réduits en esclavage creusent les routes et construisent une grande partie de la ville. Certaines preuves indiquent que cette première communauté noire vit à quelques kilomètres au nord de la ville, sur la rive sud du bassin de Bedford, une région qui devient Africville. D’autres preuves suggèrent que certains des Marrons jamaïcains (des Africains ayant fui l’esclavage), réinstallés par le gouvernement britannique en Nouvelle-Écosse, s’établissent dans le bassin de Bedford en 1796.

Le premier registre officiel d’Africville date de 1761. Les terres sont octroyées à plusieurs familles blanches, incluant les familles qui importent et vendent des femmes et des hommes africains réduits en esclavage. En 1836, le chemin Campbell relie le centre de Halifax à la région d’Africville. Il est probable que plusieurs familles noires habitent dans cette région, et donc elle est surnommée « village africain ». Sa population se compose d’anciennes personnes asservies, de Marrons et de Noirs réfugiés de la guerre de 1812. Plusieurs de ces réfugiés sont d’anciennes personnes asservies de la région de Chesapeake aux États-Unis. (Voir Esclavage des Noirs au Canada)

En 1848, William Arnold et William Brown, deux colons noirs, achètent des terres à Africville. D’autres familles se joignent à eux et en 1849, la Seaview African United Baptist Church ouvre ses portes pour desservir les 80 résidents du village. (Voir Baptistes au Canada.) L’église est surnommée « le cœur battant d’Africville », et elle constitue le centre du village tant pour les pratiquants que les non‑pratiquants. Les principaux événements civiques de la communauté comme les mariages, les funérailles et les baptêmes y sont célébrés. Les baptêmes et les services du lever du soleil de Pâques sont réputés. Les Néo‑Écossais noirs autant que les Néo‑Écossais blancs se rassemblent le long des rives du bassin de Bedford pour regarder la procession chantante partir de l’église vers la mer pour baptiser les adultes dans les eaux. Après de nombreuses pétitions des résidents d’Africville, une école y ouvre ses portes en 1883. Avant que l’école municipale ouvre ses portes, une résidente enseigne à de nombreux enfants d’Africville.

Des impôts, mais aucun service

Des résidents d’Africville dirigent des entreprises de pêche à partir du bassin de Bedford, ils vendent leurs prises localement et sur le marché de Halifax. D’autres habitants exploitent des fermes, et plusieurs d’entre eux ouvrent des petits commerces à la fin du 19e siècle. Africville devient un refuge contre le racisme auquel ses résidents sont confrontés à Halifax (voir Préjugés et discrimination). Dans cette ville, les femmes noires ne peuvent généralement trouver du travail que comme domestiques, et pour les hommes, les offres d’emploi se limitent à du travail comme porteurs de wagons-lits sur les trains. Les enfants se baignent dans l’étang Tibby et jouent au baseball dans les champs Kildare. Durant l’hiver, tout le monde joue au hockey sur l’étang gelé.


La ville de Halifax perçoit des impôts à Africville, mais ne fournit pas de services comme le pavage des routes, l’eau courante ou les égouts. En 1854, une extension de chemin de fer traverse le village. Plusieurs demeures sont expropriées ou détruites. Des propriétaires protestent et affirment n’avoir reçu aucun dédommagement pour la perte de leurs terres. Ils ajoutent également que les trains qui passent à toute vitesse posent un danger pour le village, en plus de le polluer. Mais en 1912 ainsi que durant les années 1940, encore plus de terres sont expropriées pour le chemin de fer. Au cours de la première moitié du 20e siècle, des services municipaux comme le transport en commun, la collecte des ordures, les installations de loisirs et une protection policière adéquate sont toujours inexistants à Africville.

Lors de la deuxième moitié du 19e siècle, la ville de Halifax continue à implanter des services indésirables à Africville. Ceux-ci incluent une usine de fabrication d’engrais, des abattoirs, la prison Rockhead (1854), des fosses d’enfouissement de déchets humains, ainsi que le Infectious Diseases Hospital, un hôpital spécialisé dans les maladies infectieuses (années 1870). En 1915, le conseil municipal de Halifax déclare qu’Africville « sera toujours un quartier industriel ». Un grand nombre de résidents d’Africville estiment que cette décision est motivée par le racisme anti-Noirs.

Explosion de Halifax

En 1917, l’explosion de Halifax met fin au projet de transformation d’Africville en zone industrielle. La catastrophe rase une grande partie de Halifax North End (dans le nord de la ville) et cause d’importants dommages à Africville. Un effort de secours mondial permet de recueillir des millions de dollars en dons afin de rebâtir Halifax, mais aucun fonds n’est consacré à la reconstruction d’Africville. La ville de Halifax n’effectue aucune enquête pour évaluer les dommages causés à Affricville, mais selon les archives de témoignages oraux, plusieurs maisons sont gravement endommagées et plusieurs ont perdu leurs toits. Environ quatre Africvilliens perdent la vie, mais on croit qu’ils se trouvaient dans la partie nord de Halifax au moment de l’explosion.

Tout au long des années 1930, les résidents d’Africville déposent des pétitions auprès de la ville de Halifax afin qu’elle leur fournisse des routes pavées, des services d’eau courante, l’évacuation des eaux usées, une collecte d’ordures, de l’électricité, des lampadaires, des services de police, ainsi qu’un cimetière. Mais leurs demandes sont largement rejetées.

Au cours des années 1950, Halifax construit une décharge à ciel ouvert à Africville. La ville envisage plusieurs emplacements, mais le conseil municipal juge que c’est inacceptable pour les résidents d’endroits comme Fairview. Un conseiller municipal déclare que le dépotoir constitue une « menace pour la santé », et qu’il ne devrait pas être placé dans le quartier de Fairview. Le conseil vote pour l’aménagement du dépotoir à 350 mètres de l’extrémité ouest d’Africville. Le procès‑verbal de cette assemblée municipale ne fait mention d’aucune préoccupation quant à la santé des résidents d’Africville ni d’aucune consultation ni protestation de leur part.

Lorsqu’arrivent les années 1960, un bon nombre de citoyens blancs de Halifax qualifient Africville de bidonville construit autour d’un dépotoir par des charognards. Le fait qu’Africville soit perçue comme un bidonville joue un rôle important dans l’acceptation par le public de la destruction d’Africville.

L’école d’Africville ferme ses portes en 1953 lorsque la Nouvelle‑Écosse met fin à la ségrégation de son système d’éducation. (Voir aussi Histoire de l’éducation; Ségrégation raciale des Noirs au Canada.) En pratique, cette mesure signifie la fermeture de plusieurs écoles noires et le transport par autobus des élèves vers les écoles blanches les plus proches. Ainsi, les élèves d’Africville commencent à fréquenter les écoles de Halifax. Un bon nombre d’entre eux font face à de la discrimination et ils sont envoyés dans des classes « auxiliaires » qui ne disposent que de peu de ressources.

Culture

Africville est un endroit culturellement important. Les Brown Bombers d’Africville sont une équipe de hockey populaire de la Colored Hockey League des Maritimes, une entreprise en grande partie dirigée à Africville, et ils attirent de larges foules du début de la création de la ligue en 1895 jusqu’à sa fin en 1930.

Durant les années 1960, le boxeur Joe Louis (1914-1981) visite Africville. Joe Louis se trouve à Halifax pour arbitrer un match de lutte, et il demande où habite la population noire de la ville. On lui répond qu’elle vit à Africville et il décide donc de s’y rendre. En fait, Africville a produit le premier champion mondial de boxe noire : George Dixon (1870-1908).

Africville a un lien fort avec la musique. La Seaview African United Baptist Church est réputée pour ses prédicateurs et sa musique. La chanteuse Portia White (1911-1968) travaille comme institutrice à Africville. Le musicien américain Duke Ellington (1899-1974) visite Africville dans les années 1960. Son beau-père est originaire de la ville et Duke Ellington y séjourne pour rendre visite à sa famille.

Malgré des conditions de vie difficiles et sa réputation grandissante de « bidonville » au cours du 20e siècle, les habitants d’Africville maintiennent généralement une profonde fierté pour leur communauté. Elle est perçue comme une idylle rurale distincte de Halifax. Plusieurs font l’éloge de sa population et de son emplacement au bord de la mer, et un de ses résidents, qui a beaucoup voyagé, l’appelle « l’un des plus beaux endroits où je sois jamais allé ».

« Renouveau urbain »

Les plans visant à transformer Africville en zone industrielle sont relancés et approuvés par le conseil municipal de Halifax en 1947, lorsque la région est rezonée à cette fin. Des rapports préparés en 1956 et 1957 recommandent au conseil municipal de reloger les résidents d’Africville afin de libérer l’espace pour des projets industriels. En 1962, la ville approuve les plans pour la construction d’une autoroute en direction du centre‑ville de Halifax qui passerait par Africville, mais elle n’est jamais construite.

Fonctionnaires municipaux d'Halifax tenant des plans, avant la démolition d'Africville, 1965.

Dans le cadre d’une assemblée publique à Africville en 1962, 100 résidents se prononcent fermement contre la relocalisation, et ils déclarent qu’ils préfèrent améliorer leur communauté existante. Dans une entrevue de l’époque pour la CBC, le propriétaire Joe Skinner explique qu’Africville est un endroit où les Noirs sont libres, et qu’il refuse de déménager à Halifax pour mettre fin à la ségrégation. « Je crois que nous devrions avoir la chance de redévelopper nos propriétés autant que n’importe qui », déclare-t-il.

Joe Skinner :
« Lorsqu’on est dans ce pays et qu’on est propriétaire, on n’est pas un citoyen de seconde classe. C’est pourquoi mon peuple possède ces terres, il a travaillé dur pour ces terres, il a peiné pour ces terres. Ce sont des terres qui nous appartiennent, et auxquelles nous tenons. Mais lorsqu’on tente de nous enlever nos terres, sans rien offrir en retour, alors on devient un paysan, dans n’importe quel pays ».


Le conseil de Halifax vote en faveur de l’élimination « des logements insalubres et des structures délabrées de la région d’Africville ». La ville promet un processus de « renouveau urbain », en relogeant les résidents dans des habitations de qualité supérieure à Halifax. (Voir aussi Réformes urbaines.) Le premier terrain est exproprié en 1964. Au cours des cinq années suivantes, les maisons d’Africville sont rasées par des bulldozers. Certains résidents sont relogés dans des logements insalubres ou dans des logements sociaux. Lorsque l’entreprise de déménagement engagée par la ville annule son contrat, Halifax fait venir des camions à ordures pour déplacer les résidents et leurs biens. Les préjugés envers les habitants d’Africville s’aggravent lorsque ceux-ci arrivent dans leur nouveau quartier à bord de camions à ordures.

Une résidente d'Africville, Dorothy Carvery, dont on a déménagé les biens à l'aide d'un camion ordures de la ville d'Halifax

Les habitants comparent Africville à une zone de guerre où les maisons disparaissent chaque jour. Plusieurs propriétaires découvrent que leurs maisons ont été démolies au bulldozer à leur insu ou sans leur permission. D’autres reçoivent un avis d’éviction quelques heures à peine avant la venue des bulldozers. Un homme rentre chez lui après un séjour à l’hôpital et découvre que sa maison a été démolie pendant son absence. De nombreux résidents doivent se résoudre à quitter les lieux en emportant uniquement ce qu’ils peuvent transporter. Au printemps 1967, la Seaview African United Baptist Church est détruite au beau milieu de la nuit. Pour plusieurs résidents, ce geste sonne le glas de la communauté. Le mouvement d’expropriation s’accélère alors que les résidents décident d’accepter les offres offertes, quelles qu’elles soient.

En 1969, la dernière propriété est expropriée et démolie, et le dernier des 400 résidents d’Africville quitte les lieux. Un résident, Eddie Carvery, âgé de 24 ans, retourne à Africville en 1970 et y plante sa tente en guise de protestation. Il exige une enquête publique et une indemnisation individuelle pour les résidents de la communauté, et il occupe activement le site de temps en temps pendant plus de cinq décennies. En novembre 2019, le camp de protestation d’Eddie Carvery à Africville est démantelé. C’est l’une des plus longues manifestations en faveur des droits civils de l’histoire du Canada.

Conséquences

Après leur relocalisation, les résidents déplacés constatent rapidement que l’offre « maison pour maison » proposée par la ville ne se concrétise pas. Plusieurs d’entre eux réalisent que le montant octroyé en échange de leur terrain et de leur propriété ne suffit qu’à payer un acompte sur l’achat d’une nouvelle maison ou à louer un logement social durant une courte période. Les emplois sont toujours difficiles à trouver, car plusieurs entreprises refusent d’embaucher des Noirs. Sans église et sans lieux communautaires, les anciens résidents déplacés s’éloignent les uns des autres. Certains d’entre eux déménagent à Montréal, à Toronto ou à Winnipeg. Ceux qui demeurent à Halifax se voient obligés de se tourner vers l’aide sociale pour couvrir les coûts croissants de la vie en milieu urbain.

En 1969, d’anciens résidents forment le Africville Action Commitee afin d’obtenir réparation et de maintenir la communauté en vie. La Africville Genealogy Society est créée en 1983 dans le même but, et les anciens résidents commencent à organiser des pique-niques, des services religieux et des rassemblements durant les fins de semaine sur l’ancien site d’Africville.

Le terrain d’Africville est transformé en logements privés, en rampes d’accès pour le pont A. Murray MacKay et en terminal à conteneurs pour Fairview. La zone centrale est transformée en parc à chiens nommé Seaview Park.

En 1996, le site est déclaré lieu historique national du Canada. La citation le qualifie de « lieu de pèlerinage pour les personnes qui rendent hommage à la lutte contre le racisme ». Le 24 février 2010, Peter Kelly, maire de la municipalité régionale de Halifax, présente des excuses pour la destruction d’Africville, et il déclare que la ville va construire une réplique de son église; le musée de l’église ouvre ses portes en 2012, et la région est rebaptisée Africville Park (voir aussi Parcs urbains). Le 30 janvier 2014, la Société canadienne des postes émet un timbre commémoratif dépeignant une photo de sept jeunes filles, toutes d’anciennes membres de la communauté, avec une illustration du village en arrière-plan.

Chaque été, d’anciens Africvilliens et leurs descendants continuent d’organiser des réunions dans le parc, et un bon nombre d’entre eux campent sur les lieux de leur ancienne demeure. Au musée de l’église, une messe de Noël est célébrée depuis 2012.

En février 2020, à l’occasion de la Journée du patrimoine de la Nouvelle-Écosse, le gouvernement provincial annonce qu’une cloche, qui était autrefois suspendue dans l’église Seaview United Baptist Church, serait restituée et placée sur le terrain à l’extérieur du Africville Museum. La cloche, qui a survécu à la démolition de l’église en 1967, est conservée en lieu sûr dans une église de Beechville pendant plus de 50 ans.

Aujourd’hui, Africville est un symbole puissant de la lutte contre le racisme et la ségrégation, tant en Nouvelle‑Écosse qu’ailleurs dans le monde.

Le saviez-vous?
En 2024, l’UNESCO a créé un nouveau réseau de lieux d’histoire et de mémoire liés à l’esclavage et à la traite (voir Sites du patrimoine mondial d’UNESCO au Canada). À ce jour, 22 sites répartis dans 10 pays différents se sont joints au réseau. Africville est l’un de ces sites. Ce réseau vise à promouvoir la protection de sites interconnectés qui mettent en valeur l’histoire de l’esclavage et de la traite des personnes asservies.

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