Entre la Confédération (1867) et le début de la Première Guerre mondiale (1914), la croissance du Canada, qui passe du statut de colonie de la Grande-Bretagne à celui de nation moderne, en grande partie urbaine, industrielle et réellement autonome, se reflète dans son architecture. En 1914, l’Ouest canadien étant annexé et colonisé, le pays connaît une expansion importante, passant d’un groupe de provinces cernées par l’Atlantique et les Grands Lacs à un pays revendiquant sa souveraineté sur toute la moitié Nord du continent. Sous l’influence du capitalisme et du libéralisme, la finance et l’industrie revêtent une nouvelle importance, et deux métropoles considérables voient le jour : Montréal et Toronto. En 1911, Montréal compte près de 500 000 habitants, et Toronto, plus de 300 000. Plusieurs centres régionaux sont aussi en plein essor, Winnipeg et Vancouver en tête. Les politiques nationalistes de commerce du gouvernement fédéral en accentuent la présence dans la société canadienne, ce qui se reflète dans l’édifice gouvernemental de cette période. L’influence étrangère en matière d’architecture est aussi britannique qu’américaine, mais, en architecture de même qu’en culture généralement, les Canadiens sont à la recherche de formes uniques pour exprimer le caractère de leur jeune pays. Le changement rapide survenu en moins d’un demi-siècle ressemble, à certains égards, à une révolution architecturale.
Statut de la profession
En 1867, l’architecture est une activité marginale et, là où on la pratique, elle est dominée par les renaissances stylistiques victoriennes. La plupart des édifices sont vernaculaires (copiés sur des modèles connus ou traditionnels), et n’importe qui peut se prétendre architecte. Les concepteurs ayant reçu une formation professionnelle sont rares, bien qu’un petit nombre d’architectes formés en Grande-Bretagne se soient établis dans les grandes villes canadiennes au cours des deux décennies ayant précédé la Confédération. L’un d’entre eux, Thomas Fuller, vient de terminer les Édifices du Parlement canadien à Ottawa (Fuller & Jones, 1859-1866), version puissante du haut gothique victorien destiné à exercer une influence à long terme sur le design public canadien. Dans les rues commerciales, domine le style de la Renaissance des années 1830-1850 (style à l’Italienne), généralement réalisé en briques, offrant des corniches réunies par une accolade (souvent en bois) et des rangées de fenêtres en arches rondes ou plates. Les maisons, mis à part celles qui sont spacieuses, coûteuses et construites selon les styles à la mode, sont généralement simples et faites en bois, et leurs côtés ou leurs pignons font face à la rue. Un design plus public et moins naturel est influencé par ce qu’il est convenu d’appeler l’éclectisme pittoresque.
Styles de la fin du XIXe siècle
Au cours des années 1870, le style Second Empire, français d’origine, américain d’adoption et marqué par les riches effets sculpturaux classiques et les toits à hautes mansardes (parfois en ardoise), est la mode dominante dans le cas des édifices publics. Le style sert pour les hôtels, les gares de chemins de fer, les hôtels de ville, particulièrement l’hôtel de ville de Montréal (H.-M. Perrault, 1872-1878), et les assemblées législatives, entre autres celles du Québec (E. E. Taché, 1877-1887) et du Nouveau-Brunswick (Charles Dumaresq, 1880-1882).
Le gouvernement fédéral met également à profit le style Second Empire dans la plupart de ses édifices des années 1870, notamment la spacieuse et somptueuse maison des douanes du port de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick (McKean et Fairweather, 1877-1881).
Le style Second Empire est même appliqué à la conception architecturale de maisons particulières, particulièrement lorsque le designer et le propriétaire veulent produire une forte impression. Le design de William Tutin Thomas pour la Maison Shaughnessy à Montréal, construite en 1874-1875, montre le toit mansardé typique présentant un travail délicat de moulage en fonte de la crête faîtière à son sommet.
Les églises et autres édifices semi-publics imposants de cette période ont tendance à toujours reposer sur le gothique victorien, et le feront encore pour plusieurs décennies à venir, tel que le suggère l’Église de Notre-Dame (1876-1926) de Joseph Connolly (RC) à Guelph, en Ontario. Certaines églises catholiques, cependant, surtout la Cathédrale Marie-Reine-du-Monde (Joseph Michaud, Victor Bourgeau et Étienne-Alcibiade Leprohon, 1870-1894), à Montréal, privilégient le style baroque romain, en y ajoutant une touche contre-réformiste.
En dépit du précédent créé par le Parlement fédéral, le gothique victorien se prête moins aux grands édifices publics, bien que des exemples existent aussi loin qu’au milieu des années 1880. L’hôtel de ville de Winnipeg de Barber and Barber (construit en 1884-1886), et qu’on surnomme « l’hôtel de ville en pain d’épice » en est un exemple remarquable et pour le moins excentrique.
Essor économique et nouveaux styles
La décennie 1885-1895 représente un tournant décisif pour l’architecture au Canada. Entre des phases cycliques de croissance et de faillites économiques, advient une période de prospérité relative marquée par une construction rapide à grande échelle. Le chemin de fer transcontinental du Canadien Pacifique est achevé en 1886, ouvrant ainsi les Prairies de l’Ouest à la colonisation et cristallisant la prédominance de Montréal dans le monde de la finance et du transport au Canada.
Le gouvernement fédéral, sous la direction de John A. Macdonald et des conservateurs, construit à ses propres fins et de façon énergique. Avec Fuller dans le rôle d’architecte en chef pour le ministère des Travaux publics de 1881 à 1896, une série d’édifices fédéraux sont construits dans tout le pays. Le plus imposant est l’édifice Langevin à Ottawa (1883-88), mais on érige également des édifices locaux servant à accueillir certaines fonctions du gouvernement fédéral tels que des installations pour les services postaux et les douanes, des prisons et des palais de justice.
C’est au cours de cette décennie que de nouveaux types d’édifices font leur apparition au Canada, dont une bonne partie est fortement influencée par les formes des édifices réalisés aux États-Unis au cours de la période de croissance qui a suivi la Guerre civile dans ce pays. L’édifice à bureaux en hauteur, le magasin à rayons fort pratique, l’édifice de l’assemblée législative à coupole, l’immeuble à appartements et l’église protestante en forme d’amphithéâtre ont tous fait leur apparition au Canada dans les années 1880 ou 1890.
Professionnalisation de l’architecture
La décennie comprise entre 1885 et 1895 est celle de l’organisation et de la professionnalisation de l’architecture, de sa conversion en une forme moderne reconnaissable. Les architectes de plusieurs provinces se fédèrent en instituts professionnels possédant des codes d’éthique et des pouvoirs en matière de formation et de législation. L’Ontario Association of Architects est créée en 1889; de semblables regroupements voient le jour au Québec et en Colombie-Britannique en 1890-1892. Un journal professionnel, le Canadian Architect & Builder, est fondé en 1888, et la première école d’architecture dans une université canadienne ouvre ses portes à McGill en 1896.
Ces changements au sein de la pratique de l’architecture sont accompagnés de l’apparition d’un nouveau style, importé des États-Unis, qui domine le design public et, dans certains cas, le design privé également, jusqu’autour de 1900. C’est la manière néo-romane lancée par l’architecte américain Henry Hobson Richardson. Il s’agit de constructions typiquement imposantes, espacées de façon rythmée et présentant des ouvertures en forme d’arches arrondies, aux couleurs fortes et à la maçonnerie texturée. Richardson la déploie comme une mode pouvant répondre à tous les besoins : suffisamment pittoresque pour combler les goûts typiques de la fin de la période victorienne, mais marquée par la discipline qu’il avait acquise lors d’une formation aux Beaux-Arts à Paris. Au cours des années 1880, en Amérique du Nord, ce style remporte un succès sans précédent.
Style roman richardsonien
Le style roman richardsonien, un style d’architecture néoroman qui tire son nom de l’architecte états-unien Henry Hobson Richardson, fait sa première apparition d’importance au Canada par le biais de la conception de l’édifice de l’Assemblée législative de l’Ontario (1886-1892) par Richard Waite et dans les églises et les édifices commerciaux de Toronto conçus aux alentours de 1886 par Edmund Burke et E. J. Lennox. Le style romanesque richardsonien se retrouve bientôt partout. L’immeuble canadien le plus imposant construit dans ce style est l’hôtel de ville de Toronto, de Lennox (1889-1899). Ce style se prête particulièrement bien aux besoins commerciaux des magasins et des entrepôts, grâce au rayonnement de l’entrepôt-magasin Marshall Field de Richardson à Chicago (1885-1887) et à la rude masculinité de la mode, qualité que les Victoriens associent au commerce. L’entrepôt J.H. Ashdown de Winnipeg (première partie par S. Frank Peters, additions par J.H.G. Russell, 1895-1911) en est un bel exemple.
En plus de se présenter dans sa forme pure, le style Beaux-Arts peut aussi être modifié pour répondre à la diversité canadienne. Certaines gares et certains hôtels construits par le CP présentent un caractère français de fin du Moyen Âge-début de la Renaissance qui porte l’étiquette « Style Château ». La gare Windsor de Montréal (parties originales de Bruce Price, 1888-89, avec additions subséquentes) constitue un exemple de ce type d’architecture.
Le Château Frontenac, dans la ville de Québec (parties originales de Bruce Price, entrepris en 1892) et l’hôtel Banff Springs, dans sa version d’origine (Bruce Price, 1886-88) et dans sa version actuelle (W.S. Painter, 1911-14, et J.W. Orrock, 1925-28) en sont également de bons exemples. Malgré les différences stylistiques qu’ils présentent, tous expriment le plaisir éprouvé lors de cette période de construire à partir d’un design néo-médiéval vigoureux, mais savant.
Le style richardsonien peut également être adapté pour lui donner un caractère plus britannique qui plaît énormément en Colombie-Britannique côtière. En plus de rappeler l’œuvre de Richardson, les édifices du Parlement de F.M. Rattenbury à Victoria (1893-1897) évoquent les édifices impériaux anglais et anglo-indiens et le dôme de l’immeuble administratif de l’exposition mondiale colombienne à Chicago en 1893. Le Craigdarroch Castle (W.H. Williams, 1887-1890), également à Victoria, possède, quant à lui, un caractère franco-écossais.
Style néo-Queen Anne
Alors que le style roman richardsonien domine l’architecture publique, commerciale et religieuse, le style néo-Queen Anne remporte le même genre de succès sans précédent en ce qui a trait à l’architecture domestique à partir du milieu des années 1880 et jusqu’à 1910 environ. Mode hybride sortie du design des débuts du XVIIIesiècle en Angleterre, elle devient la spécialité de certains architectes anglais, par exemple R.N. Shaw et J.J. Stevenson. Le style néo-Queen Anne se distingue par l’usage de brique rouge, souvent décorée d’ornements légers et jolis, tels des éventails et des tournesols, en bois, en brique moulée ou en terre cuite. On trouve rarement le style dans toute sa pureté au Canada, bien que des exemples, tels que la maison massive du baron du bois, J.R. Booth, à Ottawa (J.W.H. Watts, 1909) existent. L’importance réelle du style réside dans le caractère de variété, d’intimité et de pittoresque qu’il confère à un nombre infini de petites maisons individuelles ou en rangée et de petits ou moyens immeubles d’appartements au cours d’une période où l’immobilier de masse à proximité du centre-ville est en demande au Canada. Les interminables rangées de maisons de brique rouge qui longent les rues quadrillées à l’est et à l’ouest du centre-ville de Toronto en sont un bel exemple. Il en va de même pour les immeubles d’appartements tels que le Roslyn Court et les DeBary Apartments à Winnipeg (W.W. Blair, 1909, et C.S. Bridgeman, 1912, respectivement).
Comme la mode richardsonienne le suggère, dans les années 1880, la pression culturelle venant des États-Unis est un thème-clé de l’architecture canadienne. Souvent, de prestigieuses commandes de design sont attribuées aux architectes américains, tels que Price et Waite. C’est d’ailleurs en partie pour exclure les architectes américains que des organismes professionnels délivrant des permis sont créés, mais aussi pour élever les normes de l’enseignement et de la pratique canadienne, pour permettre aux architectes du terroir de rivaliser avec les Américains sur un pied d’égalité. Outre l’intervention directe, l’influence américaine a un impact sur le Canada de deux façons cruciales : il s’agit de l’émergence du soi-disant style commercial dans les magasins à rayons et dans les imposants édifices à bureaux, et du style néoclassique Beaux-Arts.
Style commercial
Les édifices à bureaux, en tant que type, sont construits surtout aux États-Unis et ne font leur apparition au Canada que dans les années 1880. Les premiers d’entre eux, malgré l’originalité de leur hauteur et de leur structure, reflètent des styles historiques. L’immeuble de la New York Life Insurance, une tour de plus de huit étages construite en 1888 à Montréal (Babb, Cook & Willard, de New York), est le premier gratte-ciel au Canada. Le traitement richardsonien de sa façade en arches arrondies fait allusion aux tours de maison de la fin du Moyen-Âge italien. L’édifice de la Confederation Life à Toronto (Knox, Eliot & Jarvis, de Chicago, 1890-1891) est, au dire de Harold Kalman, « une romantique fantaisie châtelaine romanesque-gothique ». Ces premiers édifices en hauteur comportent des murs de maçonnerie porteurs, mais ne font qu’un usage limité de la structure de métal qui se trouve derrière eux. Une structure métallique ignifuge, dont l’utilisation n’est possible qu’après la baisse des prix de l’acier de construction, fait son apparition en 1895 dans la reconstruction du magasin à rayons Robert Simpson à Toronto (Burke and Horwood). Pour sa réalisation, Edmund Burke conçoit un traitement externe franc en forme de boîte, virtuellement non historiciste, reflétant la cage de métal à l’intérieur.
Après 1900, des traitements tout aussi rationnels mais relevés par l’influence de l’École des Beaux-Arts deviennent la norme, et à l’époque de la Première Guerre mondiale, même les villes canadiennes de taille moyenne comptent des tours à bureaux de huit à dix étages. Les dix étages (plus mezzanine) de l’immeuble Henry Birks de Vancouver (1912-1913, Somervell & Putnam, de Seattle) possèdent une ossature de béton armé, revêtue d’une élégante terre cuite blanche. Les magasins à rayons, qui nécessitent de grands espaces ouverts (non encombrés par des poteaux) sont un phénomène connexe. Les magasins de la Compagnie de la Baie d’Hudson, en version adoucie du style baroque typique du règne d’Édouard VII, commencent à jalonner l’Ouest.
Beaux-Arts
L’autre indice de la présence des Américains avant les années 1900 est l’introduction des méthodes de formation et de design des Beaux-Arts ainsi que le néoclassicisme érudit qui les accompagne généralement. En France, l’École des Beaux-Arts offre une formation systématique en analyse et en design que les traditions d’apprentissage anglo-américaines ne peuvent égaler. Après la Guerre civile, les Américains, qui construisent à grande échelle et à grands frais, reconnaissent la valeur du système et organisent la plupart de leurs écoles d’architecture et certaines de leurs pratiques selon le modèle des Beaux-Arts. La manie d’organiser chacun des aspects de la vie et l’exemple de l’architecture et de l’aménagement (inspirés des Beaux-Arts) de l’Exposition mondiale colombienne de 1893 mettent à l’avant-scène la rigueur des Beaux-Arts et l’élégance néoclassique, leçons que les Canadiens retiennent, bien que certains aient critiqué cette « attitude américaine ».
Le classicisme des Beaux-Arts, tout de blancheur et de dignité, commence à envahir la plupart des domaines du design, mettant en fuite le style richardsonien, de telle sorte qu’en 1914, il est la mode qui domine le design public (et privé dans bien des cas) au Canada. De 1901 à 1905, McKim, Mead & White, de New York, rénovent et agrandissent le siège de la Banque de Montréal, transformant la banque en forme de temple créée par John Well dans les années 1840 en simple vestibule d’une nouvelle banque immense dotée d’un intérieur classique coloré rappelant celui d’une ancienne basilique chrétienne. Bientôt, les banques à fronton de temple munies de façades à colonnes classiques font leur entrée comme signe extérieur de richesse dans les grandes villes canadiennes. La Banque de Commerce du Canada de Darling & Pearson à Winnipeg (1910-1912) et la Banque de Nouvelle-Écosse, d’un goût plus fin, de John M. Lyle à Ottawa (1923) en sont de beaux exemples.
L’influence du classicisme des Beaux-Arts n’apparaît que rarement dans les maisons, bien qu’on puisse en relever des exemples, tels que la maison de J.K.L Ross (E. et W.S. Maxwell, 1908-1909) dans le « Mille carré doré » abritant l’élite de Montréal. Cependant, les édifices publics de tout type ont vite fait de s’y conformer. Les édifices d’assemblées législatives construits dans les trois provinces des Prairies entre 1908 et 1920 sont des structures formelles, dotées de dômes, conçues selon les principes de l’École des Beaux-Arts au goût de la Grande-Bretagne impériale.
Les édifices fédéraux érigés après 1900 : hôtels de ville, écoles et bibliothèques municipales empruntent ce style. Par ailleurs, lorsqu’ils sont faits de brique rouge, ils évoquent légèrement le style néo-Queen Anne. Les méthodes de composition des Beaux-Arts peuvent s’adapter à des styles autres que celui du classicisme, comme c’est le cas de l’édifice ministériel Connaught, de style médiéval, construit à Ottawa de 1913-1914 (David Ewart pour le ministère des Travaux publics).
À long terme, l’École des Beaux-Arts a peut-être exercé l’influence la plus marquante pour ce qui est de l’enseignement de l’architecture. Bien que le programme de McGill demeure obstinément pittoresque, orienté vers les Arts & Crafts, les écoles de la génération suivante adoptent toutes le modèle systématique de formation des Beaux-Arts au moyen d’exercices gradués de dessin, mettant normalement l’accent sur les styles classiques. Cela est vrai en ce qui concerne l’Université de Toronto, qui offre un enseignement en architecture à partir de 1890 (l’école ouvre en 1948), et l’Université du Manitoba, qui démarre son programme en architecture en 1912.
La composition formelle et symétrique des Beaux-Arts s’étend même à l’échelle de la ville grâce à l’initiative du Mouvement City Beautiful, un rejeton américain des Beaux-Arts, qui préconise une planification néo-baroque axiale et symétrique pour l’élaboration de projet de centres municipaux et, dans de rares cas, de villes entières. L’élaboration globale, comme on se plaît à la nommer, tire son origine de la planification de parcs du milieu du XIXe siècle, dont le principal porte-parole est Frederick Law Olmsted de Boston. Son travail comprend la conception de l’aménagement du Parc du Mont-Royal, puis du flanc Nord de Montréal (élaboré en 1874-1877), dans un style naturaliste plutôt anglais.
Toutefois, dès 1900, la planification rationnelle s’applique à des villes entières, telles que Chicago en 1907-1909. Un projet présenté en 1915 par Edward Bennett, architecte américain (originaire de Grande-Bretagne) qui a travaillé sur ce projet, pour une grande circonscription électorale fédérale longeant les sommets des falaises surplombant la rivière des Outaouais, fait écho à la grandeur formelle de Washington, mais recommande l’emploi d’un style évoquant les châteaux pour la capitale du Canada. L’année précédente, le concepteur anglais, Thomas Mawson, publie un projet élaboré pour Calgary, projet qui avortera cependant, dans lequel il préconise des édifices classiques uniformes en rangées et des boulevards radiaux traversant une grille de rues numérotées et se terminant sur des échappées néo-baroques. En réalité, autant à Ottawa qu’à Calgary, peu de réalisations seront menées à terme, en partie parce que la Première Guerre mondiale éclate.
Simplicité domestique
Comme le suggère la grande longévité du style néo-Queen Anne, tant de formalité devient lassant dans le cadre domestique, et le style commercial rationnel et celui, érudit, des Beaux-Arts provoquent une réaction naturaliste dans l’architecture domestique inspirée des Arts & Crafts. Au Canada, notamment, on trouve dans ces constructions une touche anglaise, étant donné que le mouvement des Arts & Crafts tire son origine d’une réaction à l’égard de la Grande-Bretagne industrielle du milieu de l’ère victorienne. Après 1900, des maisons de style Arts & Crafts, rustiques mais spacieuses et luxueuses, et des « banlieues-jardins » dessinées dans un esprit naturaliste, commencent à faire leur apparition aux abords de plusieurs villes canadiennes, encouragées en cela par l’extension des lignes de tramway. Citons à titre d’exemples le travail d’Eden Smith, né et formé en Angleterre, qui a conçu à Toronto les appartements-jardins des Riverdale Courts (1914-1916) et plusieurs maisons dans le Wychwood Park. De même, les nombreuses et spacieuses maisons de type bungalow de Samuel MaClure construites à Victoria et dans les alentours ainsi que dans la banlieue-jardin des Shaughnessy Heights installée sur des terres du CP au sud de la péninsule du centre-ville de Vancouver qui, peu après 1900, déclasse Victoria comme métropole de la Colombie-Britannique. Le travail de Maclure s’inspire également des mouvements des Craftsman et du bungalow californien aux États-Unis.
Percy Nobbs, arrivé au Canada en provenance de l’Écosse pour diriger le programme d’architecture à McGill où il introduit la notion de critique architecturale au pays, met l’accent sur les valeurs des Arts & Crafts dans ses cours, ses conférences, et ses publications, de même que dans certains de ses dessins. Sa propre résidence à Westmount, au Québec (1913-1915), en est un bel exemple. La ville de Mont-Royal, dans l’île de Montréal, dont le développement relève du Canadian Northern Railway grâce aux conceptions de l’architecte paysagiste Frederick Todd en 1910-1911, est un remarquable exemple précoce de banlieue-jardin qui est à l’origine du phénomène de la banlieue canadienne du XXe siècle.
Entre 1900 et la Première Guerre mondiale, l’architecture progressiste du Canada se polarise entre deux extrêmes : rusticité pittoresque à la maison et rationalité et formalité en public, spécialement au centre-ville. Un thème qui marquera toute cette période, mais surtout le début du siècle, c’est celui de l’expression nationale. Lorsque survient la Grande Guerre, soutient Kelly Crossman, de nombreux architectes en viennent à considérer l’expression de l’identité canadienne comme étant la tâche-maîtresse de la conception architecturale. La recherche prend plusieurs formes, passant par la prolifération du style château des hôtels des compagnies de chemins de fer, la construction de nouvelles lignes transcontinentales par le Grand Trunk Pacific et le Canadian Northern amène la construction de plusieurs autres, incluant le Château Laurier d’Ottawa (Ross & MacFarlane, 1908-1912, avec additions subséquentes), jusqu’aux études d’édifices vernaculaires de Québec réalisées par Nobbs et d’autres. De même que pour l’émergence du Groupe des Sept en peinture, ces tendances en architecture reflètent à la maturité de l’identité canadienne et l’appréhension des Canadiens face à l’impérialisme britannique et à la pression culturelle apparemment irrésistible de la part des puissants États-Unis.
Voir aussi : ARCHITECTURE, HISTOIRE DE L' : PREMIÈRES NATIONS; ARCHITECTURE, HISTOIRE DE L' : RÉGIME FRANÇAIS; ARCHITECTURE, HISTOIRE DE L' : 1759-1867; ARCHITECTURE, HISTOIRE DE L' : 1914-1967; ARCHITECTURE, HISTOIRE DE L' : 1967-1997.