Autobiographies politiques
Les politiciens canadiens n'ont jamais été particulièrement cultivés. Leur talent réside davantage dans l'art du discours électoral et dans la distribution de faveurs que dans la rédaction de comptes rendus savants sur leur vie politique. Si cette remarque vaut surtout pour le Canada à ses débuts, elle demeure vraie au milieu du XXe siècle. En fait, ce n'est que depuis l'apparition des rédacteurs professionnels (scribes) et l'apparition des entrevues enregistrées et transformées en prose par la suite que les politiciens se précipitent pour faire publier des livres, souvent avec le soutien des maisons d'éditions qui leur accordent de grosses avances. Même dans ces conditions, le nombre de publications reste étonnamment restreint.
Sir Francis HINCKS figure parmi les premiers mémorialistes. Son oeuvre Reminiscences of His Public Life (1884) couvre une longue carrière qui va de la Rébellion de 1837 au service impérial, en passant par les années 1850, dans les deux Canadas. Truffé de discours et de correspondance publique, le livre de Hincks n'apprend que peu de chose au lecteur. Il sert cependant de modèle pour les ouvrages qui suivent. Recollections of Sixty Years in Canada (1914) de sir Charles TUPPER, premier compte rendu rédigé par un premier ministre du Dominion, est tout aussi terne. Libre-échangiste peu accommodant du caucus libéral, sir Richard CARTWRIGHT rédige par contre avec plus de mordant ses Reminiscences (1912) qui terminent malheureusement en 1896, soit avant son année au sein du cabinet Laurier. Les mémoires de George W. ROSS (Getting Into Parliament and After, 1913) couvrent onze années à Ottawa et près d'un quart de siècle à Queen's Park, à Toronto. Il y décrit aussi son mandat comme premier ministre de l'Ontario. On ne trouve cependant pas d'autobiographie de Laurier, Mowat, Mercier et autres personnalités dominantes de l'époque.
Le livre Memoirs de sir Robert BORDEN (2 vol., 1938), superficiel et ennuyeux, se réduit à une chronique au style sec et sans vie. E.M. Macdonald, un politicien sans grand intérêt des Maritimes, ministre de la Défense nationale sous Mackenzie KING, laisse des écrits qui n'apprennent rien au lecteur. Il en est de même pour Armand Lavergne (1934), un ardent nationaliste de tendance conservatrice. Dans son livre Farmer Premier (1966), E.C. DRURY, le premier ministre agriculteur qui a conduit les FERMIERS UNIS DE L'ONTARIO à la victoire puis à la défaite, révèle peu de choses sur la façon dont il s'y est pris pour arriver à ces résultats. Le sénateur Raoul Dandurand (1967) aurait pu éclairer les points restés dans l'ombre en ce qui concerne la politique étrangère des années 20, mais son livre est truffé d'erreurs, même s'il a été publié sous la direction d'un universitaire, longtemps après le décès de l'auteur. Autre politicien et diplomate de la même époque, Vincent MASSEY laisse lui aussi un témoignage sans relief dans What's Past is Prologue (1963).
Rédigé avant qu'il ne devienne chef des Conservateurs en 1938, Life is an Adventure (1936) de R.J MANION illustre bien les risques d'une publication trop hâtive. Ses commentaires sur la crise de la CONSCRIPTION de 1917 lui ont nui lors des élections de 1940 au Québec. Dans le domaine des autobiographies comme dans bien d'autres, la palme revient à Mackenzie KING qui meurt avant d'écrire un seul mot sur sa vie, mais dont le volumineux journal intime figure parmi les plus importants de notre époque.
Homme de talent, libéral québécois engageant, Chubby POWER remporte ses premières élections en 1917. Avec l'aide de Norman WARD, il écrit non sans humour un compte rendu fort utile de sa remarquable carrière. Ses observations sagaces sur l'organisation libérale du Québec méritent de retenir l'attention (1966). En Alberta, Alf Hooke publie 30+5: I Know I Was There (1971) qui relate l'histoire d'un député et ministre créditiste, de 1935 à 1968, qui donne l'impression que tout est simple. Enfin, Tim BUCK, un petit homme engageant qui a dirigé légalement et clandestinement les communistes canadiens, laisse un compte rendu des positions officielles du parti (1977).
Ouvrage au titre prétentieux, I Choose Canada (1973) de Joey SMALLWOOD est un récit fort détaillé du Père de la Confédération de Terre-Neuve, qu'on pourrait regrouper avec ceux de son ami et allié politique, J.W. PICKERSGILL. Ce dernier écrit My Years With Louis St. Laurent (1975), The Road Back (1986), et enfin son gigantesque Seeing Canada Whole: A Memoir, un ouvrage très instructif quoique manquant de rigueur. Les volumes de Pickersgill suivent de près le cours des débats en Chambre, de 1948 jusqu'aux premiers mois du gouvernement Pearson. Bien que rédigé par un « scribe », One Canada de John DIEFENBAKER (3 vol., 1975-1977) reflète malgré tout le style coloré du populiste des Prairies qui conduit les Conservateurs vers la victoire en 1957 et 1958, pour ensuite les mener à leur perte en 1963. Son grand adversaire, Lester B. PEARSON, a déjà publié trois volumes de son cru : Mike (vol. 1, 1972), puis deux autres volumes en 1973 et 1975 qui seront réunis après sa mort par le « scribe » de Diefenbaker. Sachant rire de lui-même, fidèle aux faits, il remporte la première place en ce qui concerne la rédaction des mémoires, tout comme il gagnait les luttes politiques.
Ministre des Finances sous Diefenbaker, Donald FLEMING laisse un immense récit (2 vol, 1985) qui, bien qu'ennuyeux et intéressé, renferme des renseignements d'une grande utilité ainsi qu'une dénonciation en règle de Diefenbaker. L'histoire de Pierre SÉVIGNY (1965) est très discrète, tout comme Saturday's Child: Memoirs of Canada's First Female Cabinet Minister (1985) de Ellen FAIRCLOUGH qui occupe bon nombre de postes ministériels secondaires au sein des gouvernements Diefenbaker. Life of the Party: The Memoirs of Eddie Goodman (1988) raconte l'histoire pittoresque de l'un des principaux membres du Parti conservateur qui travaille en coulisse. Par contre, Red Tory Blues: A Political Memoir (1992) de Heath Macquarrie, député de l'Île-du-Prince-Édouard aux longs états de service, fournit malheureusement très peu de renseignements sur l'histoire politique du Canada ou de l'Île.
Sous la plume virulente de Judy LAMARSH, surtout à l'égard de Pearson, Memoirs of a Bird in a Gilded Cage (1968) sont les mémoires politiques canadiens les mieux titrés, tandis que Walter GORDON, dans A Political Memoir (1977), ne parle qu'accessoirement du tort causé par sa rupture avec Pearson. Paul MARTIN de Windsor, en Ontario, député et ministre pendant de longues années, produit deux volumes bien écrits (1983-1985), d'une grande précision historique et souvent révélateurs de sa personne. La seule autobiographie de langue anglaise qui lui soit comparable est Gentlemen, Players and Politicians (1970) de Dalton CAMP, laquelle termine bien avant ses combats contre Diefenbaker. Parmi les autres ouvrages rédigés par des Conservateurs, on trouve ceux de Jack HORNER (My Own Brand, 1980) et de Sean Sullivan (Both My Houses, 1986).
Ministre conservateur, Erik NIELSON exerce des fonctions importantes et détient beaucoup de pouvoir au sein du cabinet de Brian MULRONEY. Connu sous le pseudonyme « Lèvres de velcro » pour sa discrétion dans l'exercice de ses fonctions, il est d'une franchise remarquable dans The House is Not a Home: An Autobiography (1989), lorsqu'il décrit les faveurs accordées par le gouvernement. Enfin, Kim CAMPBELL rédige ses mémoires sur l'époque pendant laquelle elle était au pouvoir.
À gauche, on trouve l'autobiographie de Thérèse CASGRAIN qui, publiée en français (1971) et en anglais (1972), suit pas à pas la carrière de cette représentante d'une espèce extrêmement rare au milieu du XXe siècle : une Canadienne française d'allégeance socialiste. David LEWIS écrit The Good Fight (1981), un récit parfois émouvant de l'homme qui fut le coeur et l'âme de la CCF et du N.P.D. Malheureusement, tout ce que nous possédons sur le remarquable Tommy DOUGLAS est The Making of a Socialist (1982), rédigé à partir d'entrevues réalisées en 1958.
Parmi les politiciens québécois qui publient, on compte Jean CHRÉTIEN dont l'ouvrage Dans la fosse aux lions (1985; trad. : Straight From the Heart, 1985) se vend extrêmement bien, autant la première version avant que l'auteur ne devienne premier ministre, en 1993, que la version révisée après son accession au pouvoir. Les ventes s'expliquent davantage par la popularité de Chrétien que par le contenu. Parmi les autres politiciens québécois qui laissent des comptes rendus de leur passage au pouvoir figurent René LÉVESQUE (Attendez que je me rappelle, 1986; trad. : Memoirs, 1986) qui doit rectifier publiquement des erreurs après la publication de son livre, le très sobre Georges-Émile LAPALME (1969-1973), moins connu, qui dirige les Libéraux pendant les jours sombres du régime Duplessis, ainsi qu'un autre rouge de la même époque, Lionel Bertrand (1972). Les mémoires de Gérald PELLETIER, collègue et ami de longue date de TRUDEAU, surclassent cependant ceux des autres Québécois. Son récit, en français (1983-1986) comme en anglais (1984-1987), est perspicace et admirablement bien rédigé.
S'il y a un premier ministre du Canada dont la capacité intellectuelle aurait permis de produire de superbes mémoires, c'est bien Pierre TRUDEAU. Malheureusement, tout ce qu'il se laisse convaincre d'écrire, c'est un livre destiné avant tout à accompagner son autobiographie télévisée. Bien qu'ils s'avèrent une réussite commerciale, les Mémoires politiques de Trudeau (1993) sont dans l'ensemble superficiels et n'apprennent rien de nouveau, tant sur l'homme que sur ses politiques durant son long règne. La fin du régime Trudeau provoque un déluge d'autobiographies dont certaines s'apparentent à de la documentation électorale. Roy MacLaren (1986), Keith DAVEY (1986), James Jerome (1985), Don JAMIESON (1989, 1991) et Mitchell SHARP, Donald Johnston (1986), Eugene Whelan (1986), Roy MacLaren (1986) et Keith Davey (1986) y vont tous de leur interprétation des années Trudeau. Les meilleurs volumes sont ceux de Davey, récit d'un « faiseur de pluie » des coulisses, et de Jamieson, compte rendu tout aussi valable de la CRISE D'OCTOBRE 1970, vue de l'intérieur.
Pour l'essentiel, les autobiographies politiques canadiennes, plutôt éphémères, sont rédigées par intérêt ou vouées à la promotion d'une cause. Quelques-unes sont profondes et relativement honnêtes (celles de Camp, de Martin et de Pelletier) et ressortent de la masse comme un flambeau dans le désert.