Sur les traces de Barbara Hanley
À la suite de sa victoire électorale en 1941, Barbara Hanley émet le souhait que seule une couverture médiatique limitée soit faite. Il semblerait que l’Histoire ait exaucé ses vœux : mis à part un bref article de James Doyle dans Ontario History en 1992 et une thèse de spécialisation par Amelia Kretzschmar de l’Université Laurentienne, il est presque impossible de trouver des détails sur la carrière de Barbara Hanley. Les registres municipaux de la ville, ayant été la proie de plusieurs incendies, ne contiennent aucune trace du mandat de la mairesse. Toutefois, sa fille, Ella Clifford Scutt, a suivi avec soin la carrière de sa mère et compilé un grand nombre de ses réalisations dans un album. Ce dernier est sans contredit la plus importante source d’informations sur Barbara Hanley, si l’on exclut les quotidiens. En août 1967, Ella Clifford Scutt fait don de l’album aux archives de l’Université Laurentienne, où il est aujourd’hui encore entreposé.
Enfance et carrière
Fille d’Henry John Smith et de Catharine Mitchell, Barbara Smith naît le 2 mars 1882 à Magnetawan, en Ontario, mais grandit dans une ville voisine, Burk’s Falls.
Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, Barbara Smith s’enrôle à la North Bay Normal School afin de devenir enseignante. Une fois sa formation terminée, elle se met à enseigner dans plusieurs villages de la région, dont Trout Creek et Emsdale, avant d’obtenir en 1908 un poste régulier à Webbwood, petite communauté de 600 habitants située à environ 70 kilomètres à l’ouest de Sudbury, Ontario.
C’est là qu’elle rencontre Joseph Hanley, contremaître pour le chemin de fer du Canadien Pacifique (CP). Les deux se marient le 27 août 1913 et adoptent, peu de temps après, la petite Ella, qui sera leur unique enfant.
En plus de son mandat d’enseignante, Barbara Hanley fonde la Webbwood Dramatic Society, qui met en scène des pièces de théâtre, des comédies musicales et des spectacles de variétés dans la communauté. Elle est aussi élue, en 1923, au comité de l’école publique de Webbwood, un poste qu’elle garde durant douze ans.
Politique municipale
Barbara Hanley commence à s’intéresser à la politique municipale en raison des conditions socio-économiques de son époque. Webbwood est très touchée par la Crise des années 1930 qui a causé la fermeture à la fin de 1929 de sa principale source d’emploi, l’usine de la papetière Abitibi Power and Paper située à Espanola non loin de là. L’objectif premier de Barbara Hanley est d’assurer de meilleurs travaux publics et des paiements de secours plus substantiels pour la municipalité. Elle se lance donc dans la course électorale en 1935 et devient la première conseillère municipale de Webbwood.
L’année suivante, Barbara Hanley vise le poste de mairesse. Son adversaire est Robert E. Streich, qui compte déjà à son actif plus de quatre mandats, de 1924 à 1934. La course est serrée, mais c’est Barbara Hanley qui défait Robert E. Streich, à 82 votes contre 69. Cette victoire fait d’elle la première mairesse de l’histoire du Canada, une histoire qui est relayée dans de nombreux journaux de part et d’autre de la planète.
Malgré ce succès, Barbara Hanley doit quand même composer avec les attitudes stéréotypées des hommes de l’époque. Après sa victoire, un journaliste lui demande si elle a l’intention de continuer à effectuer ses tâches ménagères. Sa réponse : « Oui, bien entendu. Webbwood est loin d’être assez grosse pour m’obliger à délaisser mes tâches ménagères au profit du mandat de mairesse. » Cette déclaration est citée dans les journaux sous le titre « Ontario’s first woman mayor still does housework » (La première mairesse de l’Ontario fait encore son ménage). L’importance que les quotidiens accordent aux tâches ménagères et au fait que Webbwood est une petite communauté semble une façon d’amenuiser son exploit et de rappeler au lectorat qu’elle ne reste qu’une femme.
Mairesse de Webbwood
Lors de la réunion inaugurale du conseil municipal le 19 janvier 1936, Barbara Hanley accepte la motion du conseiller Dr K. Bromley, qui annule les salaires du maire et du conseil pour le temps du présent mandat afin de soulager la ville de ce fardeau financier. La motion est votée à l’unanimité. Ainsi, il est décidé que les 4 dollars mensuels de la mairesse et les 2 dollars mensuels des conseillers, pour un total annuel de 200 dollars, serviront plutôt à offrir des dindes aux citoyens pour la fête de Noël à venir.
En avril 1936, Barbara Hanley est aussi réélue en tant que présidente de la Ontario Educational Association par plus de 5 000 délégués.
En janvier 1937, la mairesse cherche à reconduire son mandat, une élection qui l’oppose à nouveau contre Robert E. Streich. Cette fois, Robert E. Streich défie l’autorité de la mairesse sortante sur la base de son genre et de son travail à l’hôtel de ville. Lors d’une réunion de nomination des candidats le 4 janvier, Barbara Hanley répond aux critiques de Robert E. Streich, affirmant : « Il me semble que vos deux objections majeures sont, d’abord, que je suis une femme, et ensuite, que je suis trop généreuse dans mon aide aux concitoyens. Je ne m’excuse ni de l’un, ni de l’autre. » Elle est d’ailleurs réélue le soir même, affichant un score similaire à l’année précédente (86 voix contre 66).
La réunion inaugurale de 1937 marque l’établissement par Barbara Hanley d’une nouvelle politique, qui transforme le conseil municipal en comité de secours. À travers cette initiative, elle dirige des projets qui cherchent à améliorer les conditions de la ville, comme la création de potagers et de jardins de fleurs.
Personne ne s’oppose à Barbara Hanley lorsqu’elle vise à obtenir son troisième mandat, qui est reconduit de façon officielle le 27 décembre 1937. Son quatrième mandat est aussi obtenu de manière similaire.
Lors de son troisième mandat, Barbara Hanley suit un cours universitaire avancé en administration publique conçu spécifiquement pour les fonctionnaires municipaux ontariens à l’Université de Toronto, du 25 au 29 avril 1938. Elle est l’une de deux seules femmes inscrites, sur 150 fonctionnaires et administrateurs.
Le 1er janvier 1940, Barbara Hanley défait le contremaître de locomotive du CP George Mine et remporte son cinquième mandat comme mairesse.
L’année suivante, la course à la mairie se déroule entre Barbara Hanley et une autre femme, Mme Walter Blue, conseillère municipale. Que deux femmes se disputent le poste de mairesse à Webbwood crée une certaine excitation, un fait que Barbara Hanley balaie toutefois du revers de la main, affirmant qu’elle ne se « soucie pas du genre dans les affaires municipales. » En fin de compte, c’est Barbara Hanley qui l’emporte, par 37 voix.
En 1942, elle est réélue. L’année suivante, elle défait l’ancien conseiller Mark Smith pour un prochain et dernier mandat. Barbara Hanley ne convoite en effet pas un neuvième mandat, préférant plutôt prendre sa retraite en 1944. Elle est remplacée par C. Dwyer.
Malgré ses huit mandats consécutifs comme mairesse, il semble que Barbara Hanley n’était pas prête à se retirer véritablement de la politique municipale. En 1946, elle est élue greffière, poste qu’elle défend pendant quatre ans, avant de prendre sa retraite de la politique municipale de façon définitive.
Conseils et comités
Durant la Deuxième Guerre mondiale, Barbara Hanley est présidente du conseil de rationnement local de Webbwood N-10, en vertu de la Commission des prix et du commerce en temps de guerre.
En août 1946, le foyer pour personnes âgées du district de Sudbury est bâti, et Barbara Hanley en préside le comité. C’est d’ailleurs grâce à ses efforts auprès du Ontario Department of Public Welfare (maintenant ministère des Services sociaux et communautaires) en 1943 qu’elle obtient que l’on construise une telle résidence dans le quartier. Son travail au comité fait également en sorte qu’on ouvre le Pioneer Manor à Sudbury en 1953.
Le 26 janvier 1959, Barbara Hanley décède au Sudbury Memorial Hospital à l’âge de 76 ans. Elle est enterrée le 29 janvier dans la ville de son enfance, Burk’s Falls.
Patrimoine
Barbara Hanley fait partie d’une longue lignée de fonctionnaires municipaux. Son oncle, Samuel Kedey, a été maire de Arnprior en 1902, et son frère Robert a défendu deux mandats en tant que maire de Cochrane, en Ontario, de janvier 1934 à décembre 1935 et de janvier 1944 à décembre 1945.
La portée de son exploit aux élections de 1936 a été soulignée par le New York Sun, qui a ajouté Barbara Hanley à sa liste annuelle des femmes d’exception. Cette liste de 14 femmes incluait Lucy Moore, la plus jeune femme à recevoir le droit d’exercer devant la Cour suprême des États-Unis, et la future épouse du roi Édouard VIII, Wallis Simpson. Barbara Hanley est la seule Canadienne de la liste.
La première mairesse du Canada a bientôt été rejointe par de nombreuses autres femmes. En 1951, l’Ontario pouvait s’enorgueillir de compter quatre mairesses au pouvoir : Marjorie Hamilton, élue à Barrie en 1950; Grace B. McFarland, à Leamington en 1951; Bernadette Smith, à Woodstock en 1951 et Charlotte Whitton à Ottawa en 1951.
Barbara Hanley a indéniablement tracé la voie pour toutes les femmes qui l’ont suivie, même si ce fait est souvent ignoré ou minimisé. Lorsque Marjorie Hamilton est élue comme mairesse de Barrie en décembre 1950, le quotidien Barrie Examiner prétend qu’elle est la première femme à obtenir le poste de mairesse en Ontario. Un membre du lectorat rappelle au journal que cette distinction revient de droit à Barbara Hanley. De même, l’édition 1985 de l’Encyclopédie canadienne déclarait Charlotte Whitton « la première mairesse de l’histoire du Canada en 1951 » lors de son élection à la tête d’Ottawa. La déclaration est plus tard corrigée, affirmant qu’elle est la première mairesse d’une grande ville canadienne.
À ce jour, Barbara Hanley est celle qui a exercé le plus long mandat à Webbwood. Elle devrait être vue comme une pionnière de la politique municipale et comme une icône de l’histoire des femmes canadiennes. En 1966, soit plus de 30 ans après sa première victoire électorale, le Sudbury Star soulignait ses réalisations : « Beaucoup de femmes ont suivi les traces de Mme Hanley à la chefferie de gouvernements municipaux du Canada, mais elle demeurera toujours la “première.” »