La bataille de Saint-Eustache est un affrontement qui s’est produit entre les Patriotes et les troupes britanniques le 14 décembre 1837 lors de la rébellion des Patriotes au Bas-Canada. Cette troisième et dernière bataille du soulèvement s’est soldée par une dure défaite pour les rebelles. Ce jour-là, quelques 300 à 600 insurgés se retrouvent piégés dans le village de Saint-Eustache, encerclés par près de 1 500 tuniques rouges. Forcés de se rendre après un rude combat, 70 Patriotes y trouvent la mort. L’église de Saint-Eustache où ils avaient trouvé refuge porte encore aujourd’hui les marques des boulets de l’artillerie britannique.
Situation délicate chez les patriotes
En décembre 1837, la situation est délicate pour les forces patriotes. (Voir Rébellion du Bas-Canada.) Plusieurs affrontements violents ont déjà eu lieu, notamment les batailles de Saint-Denis et de Saint-Charles, qui se sont soldées respectivement par une victoire et une défaite. Après cette dernière bataille, les chefs rebelles ont du mal à maintenir le moral de leurs troupes. Un certain nombre de meneurs patriotes ont déjà quitté le mouvement et l’armée britannique, dirigée par le commandant en chef John Colborne, s’apprête à leur porter le coup fatal.
Après la défaite de la bataille de Saint-Charles le 25 novembre, plusieurs centaines d’insurgés se replient au camp de Saint-Eustache. Ils sont menés par le docteur Jean-Olivier Chénier, de Saint-Eustache, et Amury Girod, un agriculteur et un des plus fervents défenseurs de la cause patriote. Ces derniers n’ont toutefois pas l’expérience militaire de leurs adversaires et parviennent difficilement à s’organiser. Leurs soldats sont des habitants mal équipés qui disposent d’armes en nombre insuffisant et de calibres disparates.
Le curé de Saint-Eustache, un partisan loyaliste du nom de Jacques Paquin, décrit les rebelles avec dérision dans ses mémoires : « souvent on les voyait passer dans le village en petites bandes de cinq ou six, portant sur l'épaule de vieux fusils rouillés et en mauvais ordre, coiffés d'un bonnet bleu qui leur tombait au milieu du dos, ayant à la bouche un vieux tronçon de pipe noir et enfumé et jetant d'énormes bouffées de tabac. Ils avaient ordinairement de grosses mitaines de cuir, étaient habillés d'étoffe et marchaient lourdement, et souvent chancelaient par l'effet de la boisson. »
Le quotidien des chefs patriotes est davantage occupé par l’achat et la réquisition d’armes et de nourriture que par l’entraînement militaire à proprement parler. Ce manque de professionnalisme leur cause de vives critiques du curé Paquin, qui est hostile au soulèvement patriote et cherche à contrecarrer le mouvement. À quelques reprises, les deux chefs tentent de convaincre ce dernier de changer de camp, mais sans succès. Le village est profondément divisé par le conflit. Dans son journal, le prêtre décrit aussi le manque de préparation des Patriotes : « Tous ces malheureux étaient dans la sécurité la plus complète et ne s'attendaient nullement à être attaqués dans leur camp. »
Bataille de Saint-Eustache
Pendant ce temps, le général John Colborne mobilise une armée de près de 1 500 soldats britanniques dans le but d’écraser ce qui reste de la rébellion. (Voir Rébellions de 1837-1838.) Son armée est composée de deux brigades : la première, dirigée par le colonel John Maitland, est formée de deux régiments professionnels de 600 soldats chacun (le 32e et le 83e régiment), appuyés par 52 volontaires du Royal Montreal Cavalry. La seconde brigade est dirigée par le colonel George Augustus Wetherall, vainqueur à la bataille de Saint-Charles; elle est formée d’un corps d’artillerie de 78 hommes, 53 volontaires du Montreal Rifle Corps et même de 83 Loyal Volunteers (volontaires loyalistes) de Saint-Eustache. Ce détachement est commandé par le capitaine Maximilien Globensky, un fervent opposant à la cause patriote.
Dans les jours qui précèdent la bataille, l’alerte est sonnée à plusieurs reprises au village. Les avant-postes rebelles repèrent des détachements britanniques venus reconnaître les lieux. Le matin du 14 décembre 1837, vers 11h15, on sonne à nouveau le tocsin annonçant la venue de l’ennemi. On signale la présence de troupes britanniques de l’autre côté de la rivière des Mille Îles. Il s’agit de la seconde brigade de l’armée britannique. Croyant qu’il s’agit là de toute l’armée loyaliste, Jean-Olivier Chénier se lance immédiatement à la rencontre de l’ennemi avec environ 150 à 300 volontaires sur le lac gelé qui sépare les deux armées. Mais alors qu’ils avancent sur la glace, les patriotes sont accueillis par des volées de mitrailles qui les forcent à la retraite.
La fuite refroidit considérablement l’ardeur des Patriotes. Ne disposant pas de canons pour répliquer, ils souffrent d’un désavantage tactique majeur. Au retour de la troupe au village, la moitié des troupes rebelles a déjà déserté. Amury Girod et Jean-Olivier Chénier répartissent leurs forces dans les principaux bâtiments du village, notamment le couvent, le presbytère, l'église et le manoir seigneurial ainsi que quelques demeures avoisinantes. Cette tactique de « guérilla urbaine » avait fait ses preuves dans la victoire patriote de Saint-Denis. (Voir Bataille de Saint-Denis.) Mais cette fois, les Patriotes ne parviennent pas à redresser la situation. Le général John Colborne, qui dirige personnellement l’assaut, fait aussitôt bombarder les principaux édifices où sont réfugiés les rebelles. Prétextant vouloir rallier les troupes, Amury Girod prend la fuite vers le village de Saint-Benoît, abandonnant le combat. Il se suicide trois jours plus tard.
À midi, le village est totalement encerclé par l’armée britannique. Petit à petit, les manteaux rouges parviennent à pénétrer dans le presbytère, le couvent et le manoir seigneurial. Pour y déloger les Patriotes, les troupes loyalistes mettent le feu aux édifices. Bientôt, il ne reste plus que l’église qui résiste encore aux flammes et aux coups de canon. Jean-Olivier Chénier s’y réfugie avec ses compagnons d’armes. Leur situation est désespérée. Conscient que ses hommes n’ont pas d’armes, il leur dit « Soyez tranquille, il y en aura de tués et vous prendrez leurs fusils ».
L’église subit bientôt le même triste sort que les autres bâtiments du village. Au cœur de la bataille, un groupe de soldats britanniques parvient à infiltrer l’église par la sacristie et y met le feu. Les Patriotes n’ont d’autre choix que de sauter par les fenêtres pour éviter d’être brulés vifs. Dès qu’ils touchent le sol, la plupart d’entre eux sont abattus par l’infanterie britannique, incluant Jean-Olivier Chénier, qui est touché par deux balles. Il s’effondre près du cimetière, peu de temps après.
Bilan
Vers 16 h 30, le village de Saint-Eustache est en flammes. Près de 65 maisons sont brulées et le village est soumis au pillage. Du côté des Patriotes, on compte environ 70 morts et une quinzaine de blessés, pour seulement quelques morts du côté britannique. Environ 120 Patriotes sont faits prisonniers.
La défaite de Saint-Eustache met définitivement fin à la première rébellion des Patriotes. Suite à l’affrontement, Louis-Joseph Papineau s’enfuit aux États-Unis, d’où il tente un second soulèvement en 1838, sans plus de succès.
Aujourd’hui, la mémoire collective associe souvent à tort le soulèvement des Patriotes à une forme embryonnaire du mouvement souverainiste québécois né de la Révolution tranquille des années 1960. Cette association révèle une certaine méconnaissance des revendications des Patriotes, lesquels souhaitaient plutôt exercer une citoyenneté responsable tout en demeurant au sein de l’Empire britannique. Les patriotes s’inspiraient surtout des idéaux républicains qui caractérisent les révolutions atlantiques au tournant du 19e siècle, comme la Révolution américaine (1775-1783), la Révolution haïtienne (1798-1804), la Rébellion irlandaise de 1798 ou encore celles d’Amérique latine de 1810 à 1825.
Les marques des bombardements du 14 décembre 1837 sont toujours visibles sur les murs de l’église de Saint-Eustache. Elles constituent un des rares témoignages des violences de l’époque et un rappel important des luttes qui ont mené à l’unification du Haut-Canada et du Bas-Canada en 1840.