En 1837 et en 1838, des rebelles canadiens-français au Bas-Canada ont pris les armes contre la Couronne britannique au cours de deux soulèvements sanglants. Ces deux rébellions causent la mort de plus de 300 personnes et font suite à des années de tensions entre la minorité anglophone et les aspirations nationalistes grandissantes de la majorité francophone. La campagne des rebelles contre le régime britannique est un échec, mais leur révolte a précipité la réforme politique, y compris la création de la Province unie du Canada et l’adoption d’un gouvernement responsable. La rébellion du Bas-Canada, également connue sous le nom de la guerre des patriotes, a également donné aux Canadiens français l'un de leurs premiers héros nationalistes à Louis-Joseph Papineau.
Papineau et les nationalistes
Après la Guerre de 1812, l’Assemblée élue de la province du Bas-Canada (aujourd’hui le Québec) est dominée par la classe moyenne canadienne-française. Sous l’égide d’une nouvelle élite professionnelle, la population francophone éveille sa conscience nationale et cherche à s’approprier les pouvoirs de l’Église catholique dans des domaines comme l’éducation. Ils cherchent aussi à concurrencer les milieux d’affaires anglophones, qui élargissent leur base économique grâce à la croissance rapide du commerce du bois (voir Relations francophones-anglophones).
Les nationalistes sont dirigés par Louis-Joseph Papineau, élu président de l’Assemblée en 1815. Ce dernier fonde le Parti Canadien, qui devient le Parti patriote en 1826. Papineau et ses partisans souhaitent décider de l’affectation de tous les revenus de la colonie. Ils contestent aussi l’autorité de la Chambre haute nommée (le Conseil législatif) et veulent contrôler la fonction publique provinciale et le Conseil exécutif, semblable au cabinet, qui est l’organisme consultatif du gouverneur.
Au cours des années 1820, le gouverneur général, l’autoritaire gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique, le comte de Dalhousie, s’oppose à ces revendications. En 1828, un groupe de députés britanniques réformistes favorables à une entente avec l’Assemblée du Bas-Canada rédige un rapport désobligeant sur Dalhousie. Le Bureau colonial britannique le remplace alors par une série de gouverneurs plus conciliants : Sir James Kempt (1828-1830), Lord Aylmer (1830-1835) et Lord Gosford (1835-1838). Toutefois, malgré leurs efforts, la situation au Bas-Canada continue de se détériorer.
Dégradation des conditions de vie et tensions croissantes
Le début des années 1830 est marqué par un marasme économique généralisé, aggravé par une crise agricole qui conduit beaucoup d’habitants canadiens-français au bord de la famine (voirHabitants et le Québec). En outre, on assiste dans la province à une forte hausse de l’émigration des îles Britanniques, si bien que la minorité anglophone forme presque la majorité dans les centres urbains de Montréal et de Québec. Les immigrants apportent l’épidémie de choléra, qui tue des milliers de Canadiens français et amplifie les préjugés cultivés par la majorité francophone.
Les 92 résolutions
La majorité francophone et la minorité anglophone se polarisent de plus en plus. Une série d’incidents, comme le meurtre par balles de trois Canadiens français tués par les troupes britanniques pendant une émeute électorale en 1832, ravive la tension entre majorité et minorité, en plus de polariser la population. Le Parti patriote, qui a perdu son aile modérée et la plupart de ses appuis anglophones, durcit ses revendications, qu’il formule en 92 résolutions adoptées par l’Assemblée et envoyées à Londres en 1834.
Les résolutions assurent la loyauté des membres de l’Assemblée envers la Couronne. Cependant, elles comprennent aussi une liste exhaustive de revendications politiques, notamment une amélioration de l’autonomie gouvernementale et l’adoption d’un gouvernement responsable au Bas-Canada, qui obligerait le Conseil exécutif à relever de l’Assemblée élue et non d’un gouverneur nommé.
Impasse politique
Le gouvernement britannique ignore les 92 résolutions pendant trois ans. Pendant cette période, les membres du Parti patriote font campagne en faveur d’une rébellion. En 1837, l’Assemblée législative refuse d’accorder des fonds au Conseil exécutif non élu pour acheter du matériel, ce qui paralyse le gouvernement colonial. Les fonctionnaires ne sont pas payés et les travaux publics sont suspendus. La minorité anglophone réplique en formant des associations constitutionnelles et en faisant appel au gouvernement britannique pour qu’il résiste à l’Assemblée.
Dans son rapport, Lord Durham décrit le problème politique du Bas-Canada en disant qu’il y a « deux nations en guerre au sein d’un même État », mais ce n’est pas si simple, car ni le Parti patriote ni son opposant politique, le Parti britannique, ne sont des blocs monolithiques. Aussi, à mesure que les extrémistes des deux partis tendent davantage vers la violence, le fossé ethnique s’élargit.
En mars 1838, le gouvernement britannique adopte sa réponse officielle aux 92 résolutions au Parlement de Londres. Les 10 résolutions de Russell, nommées en l’honneur du secrétaire colonial britannique Lord Russell, rejettent toutes les revendications des Patriotes. Elles donnent également au gouverneur, Lord Gosford, le pouvoir de prélever des fonds sur le Trésor provincial pour payer les fonctionnaires de la colonie.
En réponse, les patriotes organisent un boycottage des produits britanniques et tiennent de grandes manifestations dans la colonie. Ils se préparent aussi à un soulèvement armé, mais cette stratégie suscite de profondes divisions entre les chefs des Patriotes. Les modérés n’y adhèrent que parce qu’ils croient que la Grande-Bretagne reculera devant la menace d’un soulèvement.
La première rébellion : novembre 1837
Les Patriotes commettent une erreur fatale en sous-estimant la détermination du gouvernement britannique, qui a déjà commencé à envoyer au Bas-Canada des troupes provenant de tout l’Empire, tout en laissant désormais les Anglophones organiser impunément leurs milices armées. À Montréal, les Patriotes militants fondent l’organisation des Fils de la Liberté, un mouvement paramilitaire indépendant. Le 6 novembre 1837, les Fils de la Liberté participent à une escarmouche avec le Doric Club, qui réunit les Anglophones militants. Pendant ce temps, les Canadiens français font de plus en plus preuve de désobéissance civile. L’autorité britannique s’affaiblit ainsi rapidement dans les campagnes.
Le 16 novembre 1837, le gouvernement cherche à prévenir la rébellion en tentant d’arrêter les chefs des Patriotes. Ces derniers se réfugient à la campagne. Le 23 novembre, les forces gouvernementales menées par le colonel Charles Gore subissent une défaite relativement mineure à Saint-Denis lors du premier affrontement important de la rébellion (voir Bataille de Saint-Denis). Malgré leur courage, les Patriotes sont mal organisés, mal équipés et mal dirigés. Ils sont écrasés par la force régulière britannique commandée par le colonel Charles Wetherall deux jours plus tard à Saint-Charles (voir Bataille de Saint-Charles).
Le 30 novembre, Gore retourne à Saint-Denis, mais la ville capitule sans combat. Les soldats la ravagent et incendient 50 maisons. Le 14 décembre, le commandant en chef britannique, sir John Colborne, prend Saint-Eustache (voir Bataille de Saint-Eustache). Après la résistance acharnée des habitants commandés par Jean-Olivier Chenier, la première rébellion est réprimée. Les volontaires britanniques pillent et brûlent de nombreuses habitations canadiennes-françaises.
Fuite de Papineau et arrivée de Durham
Plusieurs centaines de rebelles sont blessés ou tués lors des confrontations. Encore plus sont capturés. Papineau et plusieurs autres chefs patriotes s’enfuient aux États-Unis, et la constitution de la colonie est suspendue.
Lord Durham, envoyé à titre de nouveau gouverneur général et de commissaire spécial, accorde l’amnistie à la plupart des prisonniers et tente de rétablir l’harmonie. Il finit toutefois par démissionner quand les mesures qu’il a prises sont contestées et la confiance de Londres lui est retirée.
(Voir aussi Conseil spécial du Bas-Canada (1838-1841)).
Deuxième rébellion
Avec l’aide des sympathisants américains qui se sont regroupés dans des loges de chasseurs, les rebelles se préparent à un deuxième soulèvement, qui éclate tout de suite après le départ de Durham au début de novembre 1838. Les rebelles espèrent déclencher un soulèvement général des habitants en interrompant les communications entre Montréal et la rive sud du Saint-Laurent.
À nouveau mal organisés et mal approvisionnés, les rebelles menés par les docteurs Robert Nelson et Cyrille Côté sont défaits à Napierville et à Odelltown. Un groupe de rebelles est capturé à Caughnawaga par les Iroquois, alliés des Britanniques.
Le 9 novembre, les Patriotes l’emportent sur une petite troupe britannique à Beauharnois, puis se dispersent à l’approche d’une armée plus puissante. En une semaine, la deuxième révolte est étouffée, presque uniquement par les volontaires locaux. En effet, ceux-ci se livrent au saccage dans les campagnes et sèment la dévastation. Des prisons improvisées sont remplies de personnes soupçonnées d’être des rebelles et 108 hommes sont condamnés par les cours martiales. Les rumeurs de soulèvement et d’invasion des États-Unis persistent, mais sont sans fondement. Papineau s’exile même à Paris.
Au cours des deux rébellions, 99 militants capturés sont condamnés à mort. Douze d’entre eux sont pendus et 58 sont envoyés à la colonie pénitentiaire de l’Australie. En tout, les six batailles des deux campagnes font 325 morts, 27 parmi les soldats britanniques et le reste chez les rebelles. Treize hommes sont exécutés (dont un par les rebelles), un est assassiné, un autre meurt par suicide et deux prisonniers sont fusillés.
Causes
Les causes des rébellions demeurent controversées. Certains historiens arguent que les lacunes fondamentales des arrangements constitutionnels au Bas-Canada donnent aux Assemblées élues le pouvoir de neutraliser l’exécutif, mais non de le diriger. Selon eux, le gouvernement britannique serait coupable d’avoir répondu inadéquatement aux doléances légitimes de la majorité canadienne-française. Cette interprétation ne tient toutefois pas compte de la division ethnique qui règne au Bas-Canada et des tensions économiques et sociales qui prévalent pendant les années 1830.
La cause sous-jacente des rébellions est le conflit entre la majorité canadienne-française et la minorité britannique (voir Relations francophones-anglophones). Les Canadiens français revendiquent que les pouvoirs soient centralisés à l’Assemblée élue (qu’elle contrôle). La minorité anglophone, elle, est résolue à résister à la domination canadienne-française.
Dans une certaine mesure, les chefs patriotes sont entraînés dans une rébellion sans disposer de moyens suffisants pour l’emporter. Bien des Canadiens français modérés s’opposent au recours à la force, y compris la hiérarchie de l’Église catholique. L’Église en effet profite de la défaite de chefs patriotes anticléricaux. Toutefois, une majorité des Canadiens français appuie la révolte, et Papineau et ses lieutenants gagnent à tout jamais le cœur des nationalistes canadiens-français.
Conséquences
En fin de compte, l’influence des radicaux dans la colonie est ébranlée et un souffle nouveau est donné au mouvement réformiste grâce à des chefs plus modérés, comme Louis-Hippolyte LaFontaine. Les rébellions, et leurs échos plus limités au Haut-Canada en 1837, ont comme répercussions directes la mise sur pied de la commission dirigée par Lord Durham et la rédaction du rapport Durham. Le rapport recommande l’union des deux Canadas en une seule colonie, une mesure réclamée depuis longtemps par la minorité britannique au Bas-Canada, particulièrement les marchands.
L’Acte d’Union est adopté en 1840, et la Province du Canada unifiée voit le jour en 1841, malgré l’opposition des chefs rebelles. Ces mesures entraînent la mise en place de ce qu’on appelle aujourd’hui un gouvernement responsable. En février 1849, la province adopte la Loi d’amnistie, qui offre un pardon complet à tous ceux qui se sont impliqués dans les rébellions.
Il est peu probable qu’un gouvernement britannique ait pu instaurer une réforme politique, particulièrement un gouvernement responsable au Bas-Canada, plus tôt. Il aurait fallu une forme d’union politique entre la minorité anglophone du Bas-Canada et l’importante population anglophone du Haut-Canada. On peut également se demander si cette union aurait pu être imposée aux Canadiens français sans susciter un vaste mouvement de résistance. Dans cette optique, c’est la rébellion du Bas-Canada qui dénoue l’impasse politique qui règne au milieu des années 1830.
Certains historiens sont d’avis que les rébellions ont inutilement répandu le sang et qu’elles ont compliqué et sans doute retardé la transition vers une plus grande autonomie gouvernementale. Cela étant dit, les tentatives des rebelles d’établir un système de gouvernement plus démocratique et populaire dans le Bas-Canada continuent de susciter beaucoup de sympathie.