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Bataille de la ligne gothique

Les Canadiens sont plongés dans la campagne d’Italie depuis juillet 1943. Lorsque l’été arrive, en 1944, les Alliés ont déjà repoussé les forces allemandes jusqu’à l’un des derniers postes de défense de ces dernières sur la péninsule italienne – une bande de terres lourdement fortifiée dans le nord de l’Italie, connue sous le nom de ligne gothique. La mission consistant à percer cette ligne est confiée au 1er Corps canadien, qui en viendra à bout après un mois de combats difficiles et au prix de plus de 4 500 victimes. Bien que cette bataille ait été éclipsée par la campagne de Normandie, la percée de la ligne gothique restera un des plus hauts faits d’armes canadiens de la Deuxième Guerre mondiale.

Plans des Alliés, été 1944

Le 8 août 1944, le 1er Corps canadien entame un déplacement vers l’est, savamment gardé secret, à partir de la ville de Florence et à travers les monts Apennins, jusqu’à la côte adriatique. Tous les soldats ont retiré leurs insignes canadiens et les véhicules sont eux aussi banalisés. Depuis les batailles de la vallée du Liri, en avril et en mai, les services de renseignement allemands se concentrent sur la détection des mouvements des Canadiens, car ils sont convaincus que la position de ces derniers leur indiquera le site de la prochaine offensive de la Huitième Armée alliée. Leur hypothèse s’avère correcte, car le 1er Corps canadien est dorénavant considéré comme la troupe de choc de cette armée.

Au début de l’été, le commandement allié en Italie avait prévu de lancer la prochaine grande offensive de la Huitième Armée à partir de Florence, en passant par le coude des Apennins, au nord. Cette section montagneuse constitue le point d’ancrage de la dernière ligne fortifiée allemande en Italie, la « ligne gothique ». Lorsqu’il devient évident que les Allemands sont solidement retranchés dans ces montagnes, l’offensive planifiée à partir de Florence est abandonnée.

Le lieutenant-général de la Huitième Armée, Oliver Leese, décide alors de déplacer ses troupes le long de la plaine côtière occidentale qui borde la mer Adriatique. Le terrain dans cette zone se prête plus à une attaque, mais la section côtière des fortifications de la ligne gothique a été édifiée en conséquence beaucoup plus solidement.

Pour l’offensive, Oliver Leese place les Canadiens au centre de l’armée, avec le 2e Corps polonais à droite et le 5e Corps britannique à gauche. Ces trois corps d’armée ont pour mission de percer la ligne au niveau de la ville côtière de Pesaro. Ils devront ensuite continuer vers le nord jusqu’à la ville touristique de Rimini, puis la vallée du Pô. Une fois atteint le Pô, Oliver Leese espère que les Allemands ne résisteront plus et qu’ils se replieront en masse vers le nord, mettant ainsi fin à leur contrôle des Apennins dans tout le nord de l'Italie.

Défenses allemandes

Pour renforcer la section de la ligne gothique située dans les plaines, les Allemands ont mis en place une série de postes auxiliaires devant leur ligne principale pour créer une défense profonde. Chaque poste est installé derrière un fleuve et l’ensemble des postes s’étale vers le nord sur 16 km à partir du fleuve Métaure jusqu’à la ligne gothique proprement dite. Dans cette zone, tous les civils ont été évacués et sur les 10 km en bordure de la ligne gothique, toutes les routes, tous les édifices et toute autre forme de couvert ont été démolis ou rasés par des bulldozers. Toute la zone a par ailleurs été densément minée.

Derrière cette « zone létale », comme l’ont baptisée les Allemands, la ligne gothique s’appuie sur trois rangées de Panzerturms – des tourelles de tank montées sur des socles en bétons et protégées sur les flancs par des nids de mitrailleuses installées dans des blockhaus. Seuls quatre Panzerturms et 18 petites tourelles armées sont cependant terminés à la fin août.

Passage du Métaure

Le 25 août, la 1re Division de l’infanterie canadienne prend la tête de l’assaut mené par le corps d’armée en passant en force le Métaure. Il faudra cinq jours de combats ardus et laborieux à la 1re Division pour qu’elle parvienne enfin à déloger les Allemands des rives du Métaure et à les repousser jusqu’à la première ceinture de la ligne gothique établie derrière le fleuve Foglia.


Le commandant du 1er Corps canadien, le lieutenant-général E.L.M. « Tommy » Burns, planifie alors une percée de la ligne gothique à l’aide de deux divisions. Le plan s’inspire du modus operandi habituel de la Huitième Armée : après un intense bombardement assuré par l’artillerie au sol et les forces aériennes, l’infanterie, soutenue de près par les chars, s’avancera vers l’objectif en se maintenant juste derrière ces tirs de barrage. Tommy Burns espère ainsi percer la ligne et poursuivre l’avancée par une série d’assauts classiques successifs sur chaque rangée défensive allemande jusqu’à l’entrée des Canadiens dans l’ancienne ville romaine de Rimini. Avec la chute de Rimini, la Huitième Armée sera en position pour prendre la vallée du Pô et passer le coude des Apennins.

Percée de la ligne principale

Le 29 août, alors même que ce plan méthodique continue d’être affiné, le général de division Bert Hoffmeister, commandant de la 5e Division blindée canadienne, se faufile jusqu’au sommet d’une crête qui surplombe le Foglia. Au lieu d’apercevoir des fortifications où fourmillent des soldats allemands, il n’aperçoit que des places fortes inoccupées. Bert Hoffmeister comprend alors que les Allemands ne se sont pas encore réorganisés après leur repli des jours derniers. Les divisions usées par les combats sont en cours de remplacement par de nouvelles unités qui commencent juste à arriver.

Bert Hoffmeister se rend immédiatement auprès de Tommy Burns et lui propose d’envoyer immédiatement les Canadiens percer par surprise la ligne gothique, les chars devant suivre dans la brèche ouverte par l’infanterie. Lorsque les chars auront dépassé les Panzerturms et les autres pièces d’artillerie, les Allemands n’auront d’autre choix que d’abandonner leur ligne, de la côte aux Apennins. Le lieutenant-général donne son accord.

Dans l’après-midi et la soirée qui suivent, le 30 août, deux régiments de la 1re Division d’infanterie – le West Nova Scotia et le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (PPCLI) – attaquent par la droite tandis que le régiment Perth de la 5e Division et le Cape Breton Highlanders chargent sur la gauche. Le West Nova Scotia est pris dans un champ de mines et subit de lourdes pertes. Sur la gauche, le Cape Breton Highlanders est bloqué, mais le Perth réussit à capturer un site tactique haut perché, le Point 111. Ce sont les premiers Canadiens qui réussissent à percer la ligne gothique. Pendant ce temps, le PPCLI pénètre les défenses avancées des Allemands et réussit à s’emparer des Points 115 et 133.

Ces percées permettent aux chars du British Columbia Dragoons de la 5e Division d’effectuer une charge sans aucun soutien sur 5 km à l’intérieur de la ligne gothique, jusqu’au Point 204, où un Panzerturm, qui aurait pu détruire les chars canadiens Sherman durant leur approche, est trouvé inoccupé. Bert Hoffmeister envoie alors immédiatement le régiment blindé Lord Strathcona’s Horse pour appuyer les Dragoons tandis que le régiment Perth suit en marche forcée. Dans la soirée, les hommes du Strathcona’s terminent de relever ceux du Dragoons, et l’arrivée du régiment Perth, peu après, finit de cimenter la position des Canadiens sur le Point 204.


Les combats qui suivent sont violents et souvent confus. Au nord de Pesaro, le terrain est un véritable labyrinthe de crêtes, de collines et de vallées étroites et profondes. Plusieurs bataillons s’y égarent. Les soldats allemands se retrouvent face à face avec les Canadiens en essayant d’atteindre des positions stratégiques. Plusieurs bataillons de chars se retrouvent isolés et encerclés par des parachutistes allemands armés des très efficaces grenades antichars Panzerfaust, tirées à l’épaule. Les deux camps subissent de lourdes pertes. Les soldats doivent s’emparer de pratiquement chaque positon de l’ennemi par des assauts frontaux. Le Point 204, Tomba di Pesaro, Monte Luro, la crête de Coriano et San Martino vont devenir d’importants honneurs de bataille pour plusieurs bataillons canadiens.

Victoire de septembre

On espérait une conclusion victorieuse à la mi-septembre, mais il a fallu attendre le 21 septembre pour voir tomber le dernier poste de défense allemand à l’ouest de Rimini, sur la crête San Fortunato. Les Canadiens dominent alors la vallée du Pô et les stratèges espèrent que les régiments blindés de la 5e division vont pouvoir faire irruption dans cette campagne ouverte et chasser définitivement les Allemands d’Italie.

La percée de la ligne gothique s’est soldée par 4 511 victimes dans les rangs canadiens, dont 1 016 tués. L’arrivée précoce des pluies d’automne va stopper la charge des blindés en les enlisant dans une mer de boue. L’attaque de la ligne gothique reste néanmoins l’une des victoires les plus importantes des forces canadiennes durant la Deuxième Guerre mondiale. Son importance a néanmoins été éclipsée par les événements, tout aussi primordiaux, qui se déroulent au même moment en Normandie, avec la fermeture de la « brèche de Falaise » à la fin du mois d’août et la déroute de l’armée allemande qui s’en suit, jusqu’au-delà des frontières françaises.


Deuxi\u00e8me Guerre mondiale (carte)

La percée de la ligne gothique par les Canadiens sera la dernière avancée des Alliés en Italie. Les pluies automnales, puis le début du pire hiver jamais survenu en Europe depuis 50 ans, vont par la suite paralyser l’ensemble du front italien.

La campagne d’Italie va continuer jusqu’au printemps 1945, mais le 1er Corps canadien quitte le pays en février pour aller soutenir la Première Armée canadienne qui mène ses campagnes finales dans le nord-ouest de l’Europe.