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Camille Laurin

Camille Laurin, homme politique et psychiatre (né le 6 mai 1922 à Charlemagne, Québec; décédé le 11 mars 1999 à Vaudreuil–Dorion, QC).

Camille Laurin
Buste \u00e0 l'effigie de Camille Laurin (1922-1999), au sud du parc de la Francophonie sur la Grande Allée Est. Sculpté par Léonard Simard (2008), dévoilé \u00e0 Québec le 6 mai 2015.
Camille Laurin, homme politique et psychiatre (né le 6 mai 1922 à Charlemagne, Québec; décédé le 11 mars 1999 à Vaudreuil–Dorion). Il est reconnu comme étant le « père de la loi 101 » ou le « père de la Charte de la langue française », qui a donné au français le statut de langue officielle du Québec. Camille Laurin s’avère de ce fait l'une des principales personnalités politiques des cinquante dernières années au Québec et l’une des trois principales figures du premier gouvernement du Parti québécois, avec René Lévesque et Jacques Parizeau.

Éducation

Issu d’une famille pauvre de 13 enfants, Camille Laurin voit son père travailler dur pendant la crise des années 1930, travaillant tour à tour comme meunier, barbier, restaurateur et chauffeur de taxi. Le député du comté, Paul Gouin, qui vient de fonder l’Action libérale nationale, parraine ce garçon brillant afin qu’il fasse des études classiques au Collège de l’Assomption, où il devient vite premier de classe.

Doté d’un esprit curieux, il débat dans la langue de Shakespeare à la St. Mary’s English Academy. Le jeune Laurin est un lecteur boulimique qui dévore l’œuvre du chanoine Lionel Groulx, qui a inspiré la fondation de la première chaire d’enseignement de l’histoire du Canada à l’Université Laval de Montréal (devenue l’Université de Montréal). Il discute, à l’Académie Saint-François-Xavier, tous les livres de l’historien qui, quelques années plus tard, va inspirer les travaux des historiens de « l’École de Montréal », soit Guy Frégault, Michel Brunet et Maurice Séguin.

Psychiatrie aux États-Unis et en France

En septembre 1942, il s’inscrit au Grand Séminaire de Montréal chez les Sulpiciens, mais il peine à accepter le climat restrictif du clergé de l’époque et il quitte le séminaire au bout de sept mois. Sans hésiter, il s’inscrit pour la rentrée 1943 à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal (UdeM), où il obtient des notes époustouflantes, notamment 100 % en gynécologie, en neurologie, psychiatrie et urologie. Il collabore, puis dirige le Quartier Latin, le journal des étudiants de l’UdeM. Attentif à son milieu, il participe à un cercle d’étudiants en médecine où sont abordées les questions d’éthique médicale et de psychiatrie.

En 1949, il écrit au directeur des études de médecine afin d’obtenir un stage au Queen Veteran Hospital (c’est le nom donné en 1946 à cet établissement, créé par les Sœurs grises en 1930; aujourd’hui, il correspond au pavillon Côte-des-Neiges de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal). « Les hôpitaux anglophones avaient commencé à s’éveiller aux courants modernes de la psychiatrie, qui comprenaient notamment une formation plus poussée en psychologie. Du côté francophone, on en était encore à l’école aliéniste qui expliquait la maladie mentale uniquement sous l’angle physique et physiologique […] », confie-t-il à son biographe Jean-Claude Picard (Camille Laurin. L’homme debout).

Il poursuit ses études à la Psychiatric Training Institute Faculty du Boston State Hospital de 1951 à 1953, puis à l’Institut de psychanalyse de Paris, de 1953 à 1957, tout en présidant l’Association des médecins canadiens en France. Par la suite, il est mandaté par le doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal pour une tournée des hôpitaux européens afin d’y comparer les modèles d’hôpitaux psychiatriques et entretient avec celui-ci une abondante correspondance à ce propos.

Les cris d’alarme du psychiatre

À son retour à Montréal, ce super-diplômé de 35 ans exerce sa profession de médecin-psychiatre à l'Institut Albert-Prévost où il accède au poste de directeur scientifique dès 1958. Professeur titulaire à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, il est nommé directeur du Département de psychiatrie dès 1957. Il est secrétaire de l’Association des psychiatres du Québec de 1958 à 1964, puis président.

Durant ces premières années, il contribue à transformer la pratique de la psychiatrie et gagne la plus haute estime de ses collègues. En 1961, il signe la postface d’un livre choc qui suscite un débat électrisant les foules, Les fous crient au secours, ce qui l’amène à animer des émissions de télévision.

En pleine Révolution tranquille, Laurin propose au gouvernement de Jean Lesage la création d’une commission d’étude des hôpitaux psychiatriques, donnant ainsi l’impulsion à une profonde réforme des hôpitaux psychiatriques Saint-Jean-de-Dieu et Saint-Michel-Archange. Cette réforme se prolongera par la suite avec la création d’une direction des services psychiatriques au sein du ministère de la Santé.

Le confident de René Lévesque

Lorsque René Lévesque quitte en 1967 le Parti libéral du Québec avec un groupe de dissidents pour fonder le Mouvement Souveraineté-Association (MSA), Camille Laurin est invité à titre d’observateur. Peu après, il assiste à la création du Parti québécois (PQ) et se voit proposer à son grand étonnement le poste de président du conseil exécutif. Il devient ainsi le numéro 2 de ce nouveau parti politique.

Au cours des 15 années suivantes, il est l’ami et le confident de René Lévesque, souvent à l’occasion de parties de cartes qui se poursuivent tard dans la nuit. En 1970, il se présente dans le comté de Bourget où il se fait élire au titre de l’un des sept premiers députés du PQ à l'Assemblée nationale. Tandis que René Lévesque est défait, on le choisit pour le poste de chef parlementaire du Parti québécois, un poste qu’il assume jusqu’à l’élection d’octobre 1973.

L’un de ces sept députés, le syndicaliste Robert Burns, dira de lui : « Camille, c’était notre père, notre mère et notre psychiatre… Il nous a appris la force et la ténacité ». Défait en 1973 par 300 voix, il revient néanmoins en 1976 comme député de Bourget lorsque le Parti québécois prend le pouvoir; assermenté comme membre du Conseil exécutif du gouvernement, le Premier ministre lui confie le poste de ministre d'État au Développement culturel.

Le projet de loi numéro 1

René Lévesque lui donne comme mandat de corriger la Loi sur la langue officielle promulguée en 1974par le gouvernement de Robert Bourassa, loi qui avait pour but de mettre fin à la crise linguistique, mais qui n’avait que timidement fait du français la langue officielle du Québec (voir Politiques linguistiques du Québec). Cette loi prévoyait la tenue de tests linguistiques afin d’établir dans quelles écoles les enfants d’immigrants seraient scolarisés.

Dès lors, Camille Laurin s'entoure d'une équipe comprenant les brillants sociologues Fernand Dumont et Guy Rocher (celui-ci est à l’origine de la grande réforme de l’éducation pendant la Révolution tranquille), ainsi que le poète Yves Préfontaine. Avec l’appui de Jacques Parizeau, il propose une Charte de la langue française au Conseil des ministres. Le projet de loi numéro 1 devient la Charte de la langue française (dite « Loi 101 »), adoptée le 26 août 1977. Le préambule de la loi stipule : « Langue distinctive d’un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d’exprimer son identité. L’Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d’assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Elle est donc résolue à faire du français la langue de l’État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires. » À la suite de quoi, le premier article, très court, établit en langage clair : « Le français est la langue officielle du Québec ».

Par la même occasion, le Québec se dote d’institutions comme le Conseil de la langue française et la Commission de surveillance de la langue française ; commission qui, plus tard, devient la Commission de protection de la langue française et dont le rôle est aujourd’hui assumé par l’Office québécois de la langue française.

C’est certainement l'une des lois les plus importantes de l'histoire du Québec. Mais elle déchaîne les passions et suscite des recours devant les tribunaux. Ainsi, les articles 72 et 73 de la Charte de la langue française (Loi 101), qui traitent de l'enseignement en langue anglaise dans les écoles au Québec seront contestés sur l’argument qu’ils contreviennent à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (voir Affaire concernant la Loi 101).

Pour Laurin, la Charte de la langue française s’avère une « thérapie collective nécessaire ». À son avis, « il ne faisait pas de doute […] que le Québec majoritairement français, ne pouvait avoir qu’une seule langue officielle commune à tous ses habitants, langue de la communication et de la cohésion sociale, langue d’usage de l’administration et de toutes les institutions qui en dépendent, langue de la vie collective » (Une traversée du Québec).

« Le plus grand combat de ma vie »

Camille Laurin confie au moment de la discussion du projet de loi : « C’est le plus grand combat de ma vie ». Plus tard, il expliquera : « Je voulais faire une loi qui répare, qui redresse et qui redonne confiance, fierté et estime de soi à un peuple qui tenait à sa langue mais qui était devenu résigné et passif ».

On l’appelle « Dr No » dans les journaux anglophones, voire pire. Infatigable pédagogue, il précise avec calme : « Tout ce que j’ai voulu faire, c’est éradiquer le bilinguisme et franciser le Québec ».

Après le référendum de 1980, Camille Laurin devient ministre de l'Éducation, mais René Lévesque se méfie cette fois de la nouvelle grande réforme qu’il propose, par crainte de faire des vagues. Il le mute en 1984 au ministère des Affaires sociales en lui accordant en même temps le titre honorifique de Vice-Premier ministre. Malgré cela, celui-ci démissionne le 26 novembre 1984, refusant tout comme Jacques Parizeaude s'associer au « Beau risque » qu'assume René Lévesque.

C’est ainsi que se retire du gouvernement Lévesque celui que tout le monde dans son entourage continue d’appeler affectueusement le « docteur ». En effet, Camille Laurin retourne à la pratique psychiatrique et devient directeur du Département de psychiatrie de l'Hôpital Sacré-Cœur.

L’érosion de la loi 101

Dans les années 1980, Alliance Québec, un groupe de pression mis sur pied pour défendre les intérêts de la langue anglaise au Québec, conteste avec l’aide de l’avocat Thomas Mulcair plusieurs dispositions de la « Loi 101» devant les tribunaux. Avec le temps, la Cour suprême entérine le jugement de la Cour supérieure du Québec qui a déclaré invalide le chapitre de cette loi proclamant le français « langue de la législation et de la justice ».

Le Premier ministre Robert Bourassa, revenu au pouvoir en 1985, fait adopter en 1988 la Loi modifiant la Charte de la langue françaiseLoi 178 »), invoquant la clause nonobstant de la Charte canadienne des droits et libertés afin de confirmer l’affichage unilingue extérieur. La nouvelle Loi modifiant la Charte de la langue française, adoptée en 1988, permettra néanmoins l’affichage bilingue intérieur. En outre, le gouvernement Bourassa décide d’alléger des dispositions de la loi 101 dans le domaine de l’enseignement. Sous les assauts incessants du journal montréalais The Gazette, la Commission de protection de la langue française est abolie en 1986 (elle sera rétablie de 1997 à 2002 par le Parti québécois), ce qui ouvre la porte à l’affichage d’enseignes commerciales souvent fort curieuses du point de vue linguistique.

Lorsque Jacques Parizeau devient chef du Parti québécois en 1987, Camille Laurin accepte de l’accompagner dans sa démarche. Tandis qu’il est élu pour une quatrième fois dans Bourget en 1994, The Gazette, terrifiée, titre : « He’s back ». Lui répond, pince-sans-rire, à la télévision : « Keep your children indoors ».

Prudent devant les attaques du Canada anglais, à la veille du deuxième référendum, Jacques Parizeau le nomme seulement ministre délégué de la région de Montréal, un poste symbolique. Devenu Premier ministre après la démission de Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, plus prudent en matière de langue, le garde à l’écart.

Héritage et legs culturels

Lorsque ce grand fumeur meurt d’un cancer fulgurant en 1999, après de grandes épreuves familiales, on salue, à ses funérailles d’État, la disparition d'un homme de culture et de conviction, de science et d'humanisme, le maître d’œuvre de la revalorisation de la langue française dans le Québec moderne.

Afin de souligner son rôle dans la protection de la langue française, le Grand prix de l’Office de la langue française est renommé « Prix Camille-Laurin » en 1999. Deux bustes jumeaux sont sculptés en son honneur par Léonard Simard en 2011 et 2014, puis dressés respectivement à l’angle des rues Saint-Urbain et Sherbrooke à Montréal (près de l’édifice Camille-Laurin) et dans le parc de la Francophonie à Québec. On peut y lire cette citation de lui : « La langue est le fondement même d’un peuple, ce par quoi il se reconnaît et il est reconnu, qui s’enracine dans son être et lui permet d’exprimer son identité ».

Camille Laurin suscite souvent une comparaison avec un auteur considéré comme le fondateur de la pensée tiers-mondiste dans les années 50, le Martiniquais Frantz Fanon, qui agissait comme médecin psychiatre à l’hôpital de Blida-Joinville, au moment de la guerre d’indépendance d’Algérie. Ce dernier a publié, entre autres, Peau noire, masques blancs (1952), où il dénonce le racisme et la « colonisation linguistique » ainsi que Les Damnés de la Terre (1961), un essai sur les questions de la violence, des guerres de libération, de l’assimilation culturelle de l’intellectuel colonisé.

Le docteur Laurin avait fouillé au début de sa carrière, et pendant trente ans, les méandres du cerveau de celui qu’on appelait, dans sa jeunesse, le « Canadien français » et il lui a en quelque sorte administré une thérapie de choc. Il serait sans doute étonné de constater qu’après l’importante immigration qu’a connue le Québec au tournant du 21e siècle, plus de la moitié des habitants de la région administrative de Montréal n’ont pas le français comme langue maternelle.

Prix et distinctions

Prix Chomedey-de-Maisonneuve, ville de Montréal (1986).

Prix d’excellence, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal (1989).

Prix d'excellence en psychiatrie (désigné comme le Prix Heinz E. Lehman depuis 2002), Association des médecins psychiatres du Québec (1990).

Médaille du 150e anniversaire, Faculté de médecine, Université de Montréal (1993).

Commandeur de l’Ordre de la Pléiade (2004).