Le Centre hospitalier Kateri Memorial (CHKM) est un établissement de santé situé à Kahnawà:ke, au Québec. Connu à l’époque sous le nom d’Hôpital du Sacré-Cœur de Caughnawaga, il est fondé en 1905 par Adèle Perronno. Au départ, son financement provient des Jésuites, d’un donateur privé, du gouvernement fédéral, puis du gouvernement du Québec. L’hôpital, nommé en l’honneur de Sainte Kateri Tekakwitha, dessert la collectivité depuis plus d’un siècle. Il se distingue pour plusieurs raisons. Tout d’abord, son conseil d’administration est composé de membres désignés par le Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke. Ensuite, il est situé au cœur d’une collectivité des Premières Nations. Enfin, la construction des nouveaux bâtiments découle de discussions entre nations et d’accords avec le gouvernement du Québec. À partir de 2015, l’hôpital fait l’objet de travaux d’agrandissement et de rénovation évalués à 31 millions de dollars. Il propose plusieurs services de santé, tels que des cliniques et une maison de soins de longue durée. La collectivité est très fière de cet hôpital, qu’elle perçoit comme un symbole de sa résilience.

Kahnawà:ke
Les Mohawks de Kahnawà:ke forment une collectivité haudenosaunee située à la limite géographique du Québec. Leur conseil est démocratiquement élu. Kahnawà:ke possède une histoire riche marquée par l’activisme, la résistance au colonialisme et la défense des droits des Autochtones au Canada.
L’assise territoriale sur laquelle se trouve Kahnawà:ke remonte à l’époque des colons sous le régime seigneurial (Seigneurie du Sault Saint-Louis). Ce régime joue un rôle important dans les revendications territoriales de Kahnawà:ke et dans la relation complexe qu’entretient la collectivité avec les Jésuites.
La collectivité entretient également une relation complexe avec les administrations municipales, provinciales et fédérales. Elle s’oppose aux gouvernements lorsqu’une municipalité québécoise envisage d’agrandir un terrain de golf et de construire des maisons en rangée sur un lieu de sépulture Kanyen’kehà : ka (Mohawk) près de Kanesatake, au Québec. La tension générale entre les Kanyen’kehà : ka de Kanesatake et les gouvernements mène à la résistance de Kanesatake (la crise d’Oka). Kahnawà:ke témoigne de sa solidarité envers les Kanyen’kehà : ka de Kanesatake en érigeant des barricades, en leur fournissant des ressources et en participant aux manifestations publiques. Cette crise et l’échec de l’accord du lac Meech conduisent à la création de la Commission royale sur les peuples autochtones, à laquelle participe la collectivité. Cette commission contribue à la création de la Commission de vérité et réconciliation. Cet événement revêt une grande importance pour Kahnawà:ke, ainsi que pour d’autres collectivités des Premières Nations, compte tenu des séquelles des pensionnats indiens et des externats indiens au Canada.
Étapes marquantes de l’histoire du CHKM
Le développement du Centre hospitalier Kateri Memorial (KMHC) est influencé par de nombreux facteurs clés, notamment la politique sur la santé. Cette dernière est étroitement liée à des événements historiques marquants, tels que la crise des années 1930 et les deux guerres mondiales (voir aussi Première Guerre mondiale; Deuxième Guerre mondiale). Ces événements et politiques, ainsi que les événements historiques survenus au sein de la collectivité élargie de Kahnawà:ke, ont une incidence sur le fonctionnement et le développement du KMHC.
Leadership religieux
En 1905, l’hôpital du Sacré-Cœur de Caughnawaga ouvre ses portes. D’après le livre sur l’histoire de l’hôpital, écrit par Lori Niioieren Jacobs (2005), c’est Adèle Perronno qui en prend la direction, aidée de trois infirmières. C’est elle qui lance l’idée de créer un hôpital pour les résidents de Kahnawà:ke. On s’oppose d’abord au projet, mais on l’approuve finalement à condition que la communauté récupère le terrain une fois que les infirmières auront quitté les lieux, et que l’entretien du bâtiment ne soit pas à la charge de la bande. De plus, on convient qu’aucune religieuse n’y travaillera comme infirmière. Les deux premières conditions sont écrites, mais pas la troisième. En plus d’Adèle et des infirmières, plusieurs médecins de Montréal s’y relaient.
Au début du 20e siècle, de nombreuses Premières Nations font face à des problèmes de santé et de bien-être. Ces problèmes sont souvent causés par les mauvaises conditions de vie et le manque d’installations médicales dans leurs collectivités. On y observe des taux élevés de mortalité due à la tuberculose, à la grippe, à la pneumonie, à la bronchite ou encore à la malnutrition.
À l’approche de la fin de la Première Guerre mondiale, des militaires qui retournent chez eux propagent la grippe espagnole. La pandémie de grippe espagnole tue entre 17 et 100 millions de personnes dans le monde et constitue une menace accrue pour les collectivités des Premières Nations, des Métis et des Inuits du Canada. La grippe a des répercussions importantes sur les centres urbains comme Montréal, située à environ 15 km au nord de Kahnawà:ke. À l’époque, on peut aisément franchir la distance entre Montréal et Kahnawà:ke en bateau sur le fleuve Saint-Laurent ou en train. Non seulement la grippe espagnole représente-t-elle un risque accru pour les populations des Premières Nations, mais elle touche également d’autres résidents de ces collectivités, notamment les travailleurs de la santé, comme Adèle Perronno et les infirmières.
En 1919, alors qu’elle approche des 80 ans, Adèle Perronno prend sa retraite. C’est à cette époque que le Canada voit naître son tout premier ministère de la Santé (aujourd’hui Santé Canada). Le gouvernement fédéral le met sur pied quand il constate la nécessité d’une approche coordonnée en matière de santé publique pendant la pandémie. Bien que les fondateurs de l’hôpital se soient engagés à ne pas employer de religieuses comme infirmières, la direction de l’établissement est confiée à l’Œuvre de protection des jeunes filles, une congrégation religieuse composée de sœurs infirmières, après le départ à la retraite d’Adèle Perronno. En 1955, ces religieuses quittent la communauté en invoquant des difficultés financières. Elles auraient emporté la plupart des biens de l’hôpital, ne laissant derrière elles que les lits occupés par les six patients restants. Ces derniers sont soignés par un médecin nommé par le gouvernement fédéral et bénéficient de l’aide de bénévoles locaux, notamment des infirmières bénévoles. Selon l’ouvrage de Lori Niioieren Jacobs sur l’histoire de l’hôpital (2005), les sœurs intentent une poursuite contre le gouvernement fédéral pour récupérer le capital et les fonds d’infrastructure qu’elles ont investis dans le bâtiment au fil des ans, soit la somme totale de 35 000 dollars. Finalement, le gouvernement parvient à un règlement à l’amiable en versant une somme de 10 000 dollars.
Contrôle autochtone et recherche de financement gouvernemental
Après le départ des infirmières, le personnel du CHKM et la collectivité de Kahnawà:ke ne sont pas au bout de leurs peines. L’agent des Indiens au sein des Premières Nations exerce une influence considérable sur le financement et sur les autres aspects administratifs du centre hospitalier. De plus, la complexité juridictionnelle constitue un défi pour les parties concernées. En effet, le CHKM doit concilier la responsabilité constitutionnelle de la province en matière de soins de santé et celle du gouvernement fédéral envers les peuples des Premières Nations.
Malgré les nombreux défis que pose l’hôpital, la communauté suggère au gouvernement fédéral de créer un centre de santé Kateri distinct, géré par la collectivité. Ce projet voit le jour en 1970, alors qu’on entame la conception d’un nouvel hôpital, qui sera achevé en 1986. De 1970 à 1986, la collectivité s’emploie activement à négocier et à construire le nouveau centre hospitalier.
Le chevauchement des compétences des ministères fédéraux a une incidence sur la recherche de financement pour le nouvel hôpital. Bien que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien soit responsable des membres des Premières Nations, il n’est pas directement responsable de leur santé (voir aussi Ministères fédéraux des Affaires autochtones et du Nord). C’est plutôt le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social qui en a la charge. L’une des difficultés est que le gouvernement du Québec ne finance pas les projets d’investissement dans les collectivités des Premières Nations parce qu’il n’en a pas la responsabilité. L’hôpital serait à la fois sous la responsabilité de la province et du gouvernement fédéral, puisqu’il serait financé par la province et situé sur des terres fédérales réservées aux Mohawks de Kahnawà:ke. Dans ce cas, la province ne pourrait jamais en être propriétaire ni l’exploiter, ce qui contredirait la position constante de la collectivité en faveur de l’autonomie gouvernementale et du contrôle local.
Le problème pour le gouvernement fédéral, c’est que la Constitution ne lui attribue que la responsabilité de gérer les établissements de santé sous le contrôle des Forces armées canadiennes. Dans le livre sur l’histoire de l’hôpital, Myrtle Bush, ancienne membre du conseil d’administration du CHKM, déclare que, selon le sous-ministre adjoint de Santé et Bien-être social de l’époque, le gouvernement fédéral « ne s’occupait plus des hôpitaux ».
Les deux paliers de gouvernement abordent ces questions et d’autres questions de compétence. Ils envisagent une répartition des coûts, mais l’hôpital resterait sous la responsabilité de la province. En 1978, le gouvernement du Québec propose une procédure de constitution en société, soit par le conseil d’administration de l’hôpital, soit par le Conseil mohawk de Kahnawà:ke, à des fins administratives et juridiques. La constitution en société signifierait la création d’une personne morale qui agirait au nom de l’hôpital. Cela lui permettrait d’émettre des obligations pour financer la construction, que le gouvernement du Québec pourrait ensuite acquérir. De plus, cela éliminerait l’ambiguïté juridique soulevée par les avocats du gouvernement du Québec, ainsi que la confusion quant à l’application des lois du travail québécoises. Cependant, le Conseil mohawk estime que la création d’une personne morale nuirait à l’identité de la collectivité. La question de la constitution en société et celle de la compétence provinciale sur l’hôpital entravent les négociations pendant plusieurs années.
Le 3 juillet 1976, le gouvernement du Québec reconnaît l’existence de la bande indienne mohawk de Kahnawà:ke en vertu de la loi fédérale. Il confirme également que cette dernière gère le CHKM, et que celui-ci se trouve dans les limites géographiques du Québec. En 1978, le gouvernement adopte une loi qui reconnaît que l’hôpital fait partie du système de santé, mais qui l’exempte de certaines exigences administratives. En 1982, le CHKM s’impose comme un établissement de soins de santé essentiel à Kahnawà:ke.
Transformation et construction du nouveau bâtiment
De 1984 à 2019, le CHKM subit d’importantes transformations. En 1984, son existence est légitimée par la négociation et la signature d’un accord pour la construction et l’exploitation d’un nouvel hôpital. Cet accord est signé en 1984, lors d’une assemblée publique à Kahnawà:ke, par des représentants du Conseil mohawk et du gouvernement du Québec, dont le premier ministre René Lévesque. Il est appuyé par une loi du gouvernement québécois ainsi que par une résolution du conseil de bande, qui témoignent des profonds changements vers l’autodétermination et l’autonomie des peuples autochtones au Canada. Le but de l’accord, de la législation et de la résolution du conseil de bande est de garantir la construction d’un nouvel hôpital. Les travaux s’échelonnent sur deux ans et cinq mois avant l’inauguration de l’hôpital en 1986.
Des événements marquants ont lieu durant les années 1990, dont la résistance de Kanesatake (la crise d’Oka) au cours de l’été 1990, qui met en lumière la résistance autochtone et la quête de l’autodétermination (voir aussi Organisation politique des Autochtones et activisme au Canada). Ces événements se déroulent en même temps que les débats sur la séparation du Québec. Cette période se caractérise aussi par la suspension temporaire du poste de directeur général et du conseil d’administration, ainsi que par la nomination d’un ombudsman au CHKM.
De 2015 à 2019, l’établissement fait l’objet d’un projet d’agrandissement et de rénovation en trois phases. Grâce à ces travaux, le centre devient une installation de pointe quelques mois avant la pandémie de COVID-19. Le CHKM fait face à des défis similaires à ceux du secteur des soins de santé en général. Il doit notamment composer avec la pénurie de ressources humaines et sanitaires, les maladies infectieuses (COVID-19, etc.) et les bactéries résistantes aux antibiotiques. Il s’efforce de relever ces défis par une planification stratégique adéquate, par la formation du personnel, par l’accréditation, ainsi que par l’innovation, tout en s’appuyant sur le travail accompli durant les dernières décennies par des bénévoles et des membres de la communauté.
Le Conseil mohawk de Kahnawà:ke conclut avec le gouvernement du Québec divers accords qui touchent plusieurs aspects de la vie, comme le travail, le développement économique, l’enregistrement des naissances, les services sociaux, la santé et les soins de longue durée, les mariages et les décès.